Yoland Guérard


Yoland Guérard

La première fois que j’ai entendu Yoland chanter, vers la fin des années quarante à l’émission de radio Nos futures étoiles, je me suis dit: on dirait Ezio Pinza. Yoland avait le même timbre de voix que la célèbre basse du Metropolitan Opera de New York. D’ailleurs, c’est lui qu’on allait choisir pour remplacer Pinza, vingt ans plus tard, dans la tournée américaine de South Pacific.


Les sol graves

Dans le Barbier de Séville qui a remporté le trophée Emmy, Yoland Guérard campait un merveilleux Basilio, le maître de musique que tout le monde s’amuse à berner. Durant le quintette du deuxième acte, Figaro fait croire à Basilio qu’il a attrapé la scarlatine. Le barbier compte là-dessus pour faire déguerpir Basilio qui a surpris la belle Rosine avec son soupirant déguisé en … maître de musique!

En apprenant la nouvelle, le pauvre Basilio chante avec effroi, sur des sol médiums: Sono Giallo (je suis jaune); la suite de la phrase, come un morto (comme un mort), est écrite sur des sol graves, une octave plus bas.

Yoland n’ayant pas un grave très puissant, je lui ai offert de chanter les notes basses à sa place, comme un ventriloque, sans bouger les lèvres. Lui, pendant ce temps, articulait comme un bon. Personne ne l’a jamais su ! Pardon, il y a vous, chers lecteurs, qui le savez maintenant …


À 25 ans, Yoland Guérard était déjà connu du public. Beaux traits, haute taille, prestance, belle voix, il avait tout pour plaire. Y compris un extraordinaire entregent: il connaissait tout le monde et tout le monde le connaissait.

Yoland faisait beaucoup de télévision lui aussi. En 1957, nous avons même fait un pari tous les deux: c’était à qui obtiendrait le plus grand nombre de contrats cette année-là. J’ai gagné par un seul engagement. Cette gageure est la seule chose que je n’aie jamais gagnée avec lui. Quand nous tirions au poignet, entre autres, c’est toujours lui qui l’emportait.

Au printemps 1956, le Festival de Montréal lui a offert le rôle du Comte dans les Noces de Figaro. Cet ouvrage compte des pages et des pages de récitatifs, c’est-à-dire des passages où le chanteur «fait de la conversation» sur des notes. Yoland ne sachant pas trop comment s’y prendre avec les récitatifs (il faut trouver une formule intermédiaire entre les parler et les chanter), je lui ai offert de les­ travailler avec lui, À la fin, quand il a cru les posséder parfaitement, nous nous sommes soumis à l’épreuve finale de la balle de baseball: il s’agissait de nous lancer la balle en déclamant nos récitatifs – sans rompre la mesure! Yoland a passé le test haut la main; ses récitatifs s’étaient bel et bien gravés dans son cerveau.


Don Giovanni

Do 1957, le président du Festival de Montréal, Robert Letendre, avait engagé Yoland pour chanter Don Giovanni de Mozart. A ses côtés, je jouerais Leporello, le dévoué serviteur et le complice – souvent involontaire – de toutes les frasques amoureuses de son maître.­

Un soir où l’opéra était radiodiffusé coast to coast, Yoland me joue un tour. Au banquet où Don Juan a invité la statue du Commandeur (oui, la statue s’anime, elle chante même!), Leporello est censé trouver une cuisse de faisan dans l’assiette de l’honorable invité. Il doit la subtiliser et la manger (pour vrai) en chantant: «Ce morceau de faisan, je vais l’ingurgiter. »

Sauf que Yoland a remplacé la cuisse de faisan par un gros hot dog. Et sa blague n’a pas échappé au public du Saint Denis. Le rire a explosé dans la salle. Heureusement pour la CBC et Radio-Canada, les choses n’ont pas dégénéré comme dans les Noces de Figaro: nous avons réussi à nous maîtriser!­


Yoland et moi étions très proches; nous avons toujours partagé une loge, par exemple. Un jour, il avise ma montre Omega et m’avoue qu’il la trouve très belle.« La veux-tu? – Ben oui.» De ce jour, c’est lui qui a porté ma montre. Autre point commun, la relève lyrique lui tenait très à cœur. Québec sait chanter et Découvertes, ses émissions à TVA, ont eu du succès pendant des années et ont ouvert des portes à beaucoup de jeunes.

Grand amateur de théâtre, Yoland décide à l’été 1984 de monter une pièce de Robert Lamoureux, Le Charlatan, à la Cité des jeunes de Vaudreuil. Il me demande de jouer à ses côtés.

J’avais déjà fait du théâtre parlé à la radio et à la scène. Au Théâtre Club, notamment, à la demande de Monique Lepage, de même qu’à La Poudrière, dans un spectacle intitulé The Hollow Crown – une collection d’extraits de Shakespeare – et dans Love thy Neighbour, une pièce à deux personnages écrite à mon intention par Jack Krips, où j’incarnais … un chanteur d’opéra prénommé Robert.

L’offre de Yoland pique mon intérêt. J’accepte, malgré l’horaire invraisemblable auquel je serais astreint pendant deux mois: mon job à temps plein à Lachine s’additionnerait de six représentations par semaine du Charlatan. Mais la pièce était très drôle. Nous avons eu un plaisir fou tous les deux cet été-là.­

Ce fut là ma dernière association professionnelle avec Yoland Guérard. Peu après, il a été nommé directeur du Centre culturel canadien à Paris, événement souligné par un hommage spécial au réseau TVA que j’ai eu l’honneur d’animer.

Un soir de l’automne 1987, vers 22 heures, le téléphone sonne chez moi. C’était l’Agence France-Presse. «Quelles sont vos réactions à l’annonce du décès de Yoland Guérard à Paris? » Je ne savais même pas qu’il était mort! J’en ai beaucoup voulu au journaliste de son horrible manque de tact.

En tout cas, j’espère, mon Yoland, que tu t’entends bien avec André là-haut. (Tous les chanteurs vont au ciel, c’est certain.)