Débuts de l’orchestre Métropolitain


Débuts de l’orchestre métropolitain

Au début de juillet, je me présente chez un ami musicien qui n’est jamais à court de moyens, le violoniste HunBang.

«Hun, peux-tu me former un orchestre symphonique en quinze jours?

– Certainement!» affirme-t-il.

La même semaine, Hun rencontre Marc Bélanger (chef d’orchestre) et réunit des musiciens de la Guilde des musiciens et de l’Orchestre des jeunes du Québec (un ensemble que, depuis, on a honteusement laissé mourir). Enfin, la talentueuse Denise Lupien, sa belle-sœur, quitte l’OSM pour devenir le violon solo de la nouvelle formation, baptisée Orchestre des Concerts Lachine.

Le maire est pétri de doutes. À son avis, il eut mieux valu payer plus cher pour faire venir l’OSM que de créer un autre orchestre. «Il n’y aura personne dans la salle», craint-il. Je m’emploie à le convaincre. Un orchestre symphonique est un orchestre symphonique, peu importe son nom. C’est le chef qui compte, et j’en ai un bon en réserve.

Otto Werner Mueller est un vieil ami personnel. Je le connais depuis l’automne 1956. Notre première rencontre m’avait d’ailleurs bien donné à rire. Mes collègues et moi attendions le maestro à Radio-Canada pour une répétition de l’opérette du dimanche soir. Soudain une petite Coccinelle de Volkswagen débouche en face des studios. Fasciné, je regarde Otto s’extirper de la voiture. Une fois déplié, il mesurait 2,03 mètres (6 pieds, 7 pouces et demi)! Je lui demande: «Prenez-vous un chausse-pieds pour monter là-dedans? » La glace était rompue.

Le grand chef d’orchestre, coach, pianiste et orchestrateur était débarqué d’Allemagne depuis peu. Comme son compatriote Herbert- Ruff, un autre merveilleux pianiste qui animait des émissions musicales pour les enfants à Radio-Canada, c’était un homme d’une immense culture – en plus de l’allemand, sa langue maternelle, de l’anglais, du français et de l’italien, il parlait le japonais et lisait la Bible dans le texte hébreu! Ruff et lui avaient choisi le Canada comme terre d’asile après la guerre. À l’époque, le milieu musical canadien s’est enrichi ainsi du talent de beaucoup de grands musiciens européens.

Otto enseignait dans deux des meilleures écoles de musique américaines: le Curtis lnstitute et la Juilliard School of Music. Grand pédagogue, il faisait des miracles avec les orchestres de jeunes musiciens. C’était donc l’homme tout désigné pour inspirer notre nouvel orchestre.

Généreux comme il est, Otto accepte de venir diriger pour presque rien la Huitième Symphonie de Dvonik. Le 31 juillet 1981, l’Orchestre des Concerts Lachine donne son premier concert et, comme je m’y attendais, la grande église est bondée.

Le maire est très heureux. Et les musiciens donc, à qui s’offrira chaque année une belle série d’engagements pendant l’été! Quant aux membres du conseil des Concerts Lachine, ils jubilent. Les voilà devenus «propriétaires» d’un orchestre symphonique. Du jamais vu dans la province. Une belle plume au chapeau du maire!

Un mot sur la façon dont les Concerts Lachine se débrouillent financièrement pour présenter quatre ou cinq concerts symphoniques par année. D’abord, ils ont un budget limité, bien entendu, mais quand même beaucoup plus important que le budget artistique de la majorité des municipalités de l’île de Montréal. Ce n’est pas rien.

Ensuite, la Guilde des musiciens gère un programme de soutien financier (le Music Performance Trust Fund) pour les organismes sans but lucratif qui présentent des concerts publics faisant appel aux musiciens de la Guilde. En vertu de ce programme, le syndicat paie deux heures de répétition de même que 30 p. cent du coût du concert, et cela à deux conditions: que les concerts soient gratuits et qu’on annonce en public la participation financière du M.P.T.F. C’est ainsi que, pour les deux tiers du coût habituel, on organisait et on continue d’organiser des concerts symphoniques à Lachine. Merci à la Guilde des musiciens.

Bientôt, les musiciens de l’Orchestre des Concerts Lachine décident de se constituer en société pour être reconnus comme formation. En réunion -les fondateurs Hun Bang, Marc Bélanger et moi sommes présents – ils m’élisent président. En formant le conseil d’administration, j’exprime tout de suite le vœu que les membres de l’orchestre y soient majoritaires. Ainsi, le chef et les musiciens pourront toujours faire valoir leurs besoins en matière artistique.

Dès le départ, comme nous tenons à ce que l’orchestre se produise partout, et pas seulement à Lachine, il est décidé de le rebaptiser. L’Orchestre des Concerts Lachine devient alors l’Orchestre Métropolitain du Grand Montréal.

Pendant quatre ans et demi, soit jusqu’en 1985, j’ai assuré la présidence. Mais la somme d’efforts et de temps qu’exige la conduite de l’orchestre est telle, finalement, que je décide d’abandonner mes fonctions. A Pierre Dupuis, qui occupe le poste pendant six mois, succède Pierre Péladeau, puis Jean- Pierre Goyer.

Dès la première réunion, Péladeau exige la démission de tous les anciens membres du conseil, sauf moi. Son conseil à lui, déjà entièrement constitué, attend dans la pièce attenante. Il ne s’y trouve que des hommes d’affaires. Pas un seul musicien.

Pareille situation met Agnès Grossman, chef attitré de l’orchestre depuis plusieurs années, dans un grand embarras. Elle a de plus en plus de mal à faire accepter ses décisions artistiques. Sensible à son dilemme, je lui offre de la défendre devant le conseil. Un jour où j’ai le malheur de l’appuyer un peu vigoureusement, Péladeau m’apostrophe: «Savoie, tu parles trop.» Séance tenante, je démissionne.

L’Orchestre Métropolitain a continué à donner des concerts à Lachine jusqu’en 1985, année où les Jeunesses musicales du Canada ont proposé au maire Descary d’organiser dans sa ville, l’été, un Festival de musique de dix jours consécutifs. Le Festival comprendrait un seul concert symphonique et une série de récitals. Le maire a accepté. Je mentirais en disant que sa décision m’a fait plaisir; en effet, elle signifiait que la programmation des concerts passerait en d’autres mains.

Quatre ans plus tard, cependant, l’administration rechange son fusil d’épaule. La participation des JMC a coûté trop cher à la Ville. On revient donc à l’ancien arrangement; les concerts d’été seront l’affaire du directeur artistique. Dans la foulée, cependant, les subventions municipales sont coupées de moitié. J’organiserai un festival mais je ne peux plus me payer les services de l’Orchestre Métropolitain, d’autant plus que, depuis 1985, les cachets des musiciens ont été relevés. Encore une fois, je forme un orchestre avec l’aide de la Guilde: l’Orchestre philharmonique de l’Isle. (De bons musiciens, il n’en manque pas chez nous. Il en sort des dizaines par année de nos écoles.)

Un jour où l’église des Saints-Anges n’est pas disponible pour une répétition du nouvel orchestre, je suis obligé de la tenir à l’aréna municipal. Ô miracle! Je découvre que l’acoustique y est impeccable. L’orchestre sonne très bien et les chanteurs n’ont pas besoin de micro tellement la voix porte facilement. Et comme le curé nous fait depuis quelque temps des difficultés de toutes sortes, la décision est facile à prendre: dorénavant, à Lachine, les grands concerts se dérouleront à l’aréna.

Les premières soirées révèlent cependant un problème sérieux: il fait une chaleur insoutenable dans l’aréna. Comment faire pour convaincre le conseil municipal de dépenser les 250 000 dollars nécessaires pour installer la climatisation? Je me creuse les méninges.

Finalement, une idée me vient: je vais programmer la Symphonie des jouets de Haydn (écrite pour orchestre et enfants) et inviter tous les conseillers municipaux à se transformer en musiciens! Chacun jouera de son instrument: la crécelle, la flûte à eau, l’oiseau, le tambourin, etc. Le stratagème fonctionne. Les conseillers résistent un peu pour la forme – ils ne sont jamais montés sur une scène de leur vie – mais finissent par se laisser prendre au jeu. Et que pensez-vous qu’il arrive? Ils se font ovationner par leurs commettants, ce qui arrive plutôt rarement dans le cours normal des choses, et … ils ont très chaud. Tellement chaud qu’ils approuvent le projet de climatisation!

Nos concerts continuent d’être gratuits. Bon an mal an, les salles se remplissent à 90 p. cent. Nous engageons 130 artistes par année et nous accueillons en moyenne 4 500 spectateurs. À l’échelle d’une ville comme Lachine, c’est toute une réussite. Si toutes les villes du Québec en faisaient autant …