Epilogue


De la venue de Jean-Robert en 1673 en Nouvelle-France jusqu’à celle de Jean-Claude en 1932, 259 années se sont écoulées. D’une bourgade de 4,000 habitants, le pays est passé à une population de 10,5 millions. D’un territoire limité à l’Acadie et aux rives du Saint-Laurent de Tadoussac à Trois-Rivières, le pays couvre maintenant toutes les terres de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, jusqu’à la mer Arctique et il a en plus cette mer intérieure que forment les Grands Lacs. C’est le pays le plus grand au monde, l’un des plus modernes et voisin des Etats-Unis, le pays le plus puissant de la planète. Il est favorisé par les nombreuses richesses de son territoire où on trouve d’immenses forêts, d’abondantes réserves d’eau et, surtout, de très importants gisements de minerais variés, de charbon, de pétrole, de fer et de nickel. Les océans qui baignent ses rives regorgent de poissons. Cas unique dans le monde, il connaît simultanément un développement industriel accéléré et la mise en exploitation intensive de toutes les sources d’énergie. Handicapé par la rigueur de l’hiver, le peu de fertilité de ses sols et les grandes distances entre ses différents centres de production souvent séparés par des zones très étendues, impénétrables et sauvages, il surmonte ses défis à coups de voies ferrées, de canalisations et de drainage à grande échelle des terres. Il imagine même la construction d’un gigantesque réseau routier qui pourra relier entre elles toutes les villes du pays.

Son système politique élaboré sur deux siècles, influencé par la présence des francophones, est une Confédération d’à peine 65 ans qui recèle tous les ingrédients pour permettre la survie de la culture française et le respect des droits des Canadiens français. Certes, le pays est un dominion et dépend du Royaume-Uni, mais son action durant la première guerre mondiale démontre qu’il est devenu une puissance internationale capable de se montrer indépendante.

La solidarité des Canadiens français et la fibre politique que la France leur a léguée constituent les raisons principales de leur présence relativement importante en 1932. De peuple conquis, bafoué, diminué, la nation canadienne française trouve tous les grands chefs politiques dont elle a besoin pour remporter des victoires importantes. Elle a toujours su tirer son épingle du jeu, même quand les règles établies visent à la contrôler, l’assimiler ou l’angliciser. On répète souvent que le clergé a sauvé les Canadiens français des jours noirs depuis la conquête, mais l’histoire démontre plutôt que c’est la solidarité exceptionnelle des Canadiens français entre eux qui leur a permis de vaincre, se maintenir et progresser.

La situation en 1932 est difficile. Généralement, les Canadiens français sont pauvres, leur niveau d’éducation est très bas et leur combat politique de plus en plus nécessaire. Ils sont minoritaires et participent à peine à l’activité financière. Ils reconnaissent, cependant, leurs faiblesses, les expriment et recherchent des solutions. Pour les Dupras, par exemple, de Jean-Robert à Jean-Claude, seul Jean-Robert fut instruit (en France). Après lui, neuf générations passent durant lesquelles aucun des descendants de la lignée n’est éduqué convenablement. Jean-Baptiste et Julienne rêvaient d’instruire leurs enfants, mais n’y sont pas parvenus. Charles et Angélique avaient décidé d’éduquer les leurs, mais en furent incapables. Wilfrid et Marie-Anne déménagent à Montréal et réussissent à maintenir Charles-Émile jusqu’en huitième année, mais la réalité des contraintes du budget familial, qui nécessite la contribution de leur fils, compromet son éducation.

Charles-Émile et Antoinette sont jeunes, en bonne santé, intelligents, travaillants, bilingues et entreprenants. Ils ont beaucoup d’atouts pour eux. Ils ont chacun un métier, puisqu’Antoinette a suivi un cours de coiffeuse et a obtenu son certificat. Ils vivent à Montréal, la métropole du pays, une ville dynamique et en plein essor. Ils veulent changer de quartier et améliorer leur condition. Ils veulent fonder une famille et faire l’impossible pour donner à chacun de leurs enfants la meilleure éducation, car ils croient que c’est la meilleure façon de leur donner toutes les chances de réussir une vie meilleure que la leur.

Dès la naissance de leur premier enfant, Jean-Claude, ils se sentent remplis d’une motivation nouvelle. Pleins d’espoir, ils ne voient pas la menace qui se profile à l’horizon.