Une semaine plus tard, ils sont à ce collège dirigé par les Frères de la Congrégation Sainte-Croix et situé sur le chemin de la Reine-Marie à Montréal. C’est une communauté enseignante, surtout dans les villages, qui comprend aussi des frères convers qui viennent en aide à la communauté des pères Sainte-Croix en agissant comme domestiques et hommes à tout faire.
Le plus célèbre d’entre eux est le frère André, un homme tout petit, natif de Saint-Grégoire d’Iberville, village situé au sud de Montréal, qui a joint les rangs de la communauté en 1870. Il n’a pas d’instruction et sait à peine signer son nom. Il est portier, jardinier, commissionnaire, coiffeur et s’acquitte de toutes ses tâches avec entrain, sans se plaindre, nonobstant sa santé fragile. Il porte une dévotion particulière à Saint-Joseph et s’est développé une réputation de guérisseur. Après sa nomination comme portier du Collège Notre-Dame, les gens de la ville prennent l’habitude de venir au Collège se confier à lui et solliciter son écoute et son aide. Il devient ainsi le confident d’une multitude de gens.
Il a 60 ans quand commence sa vie publique. La communauté achète le terrain en face du Collège et y érige à sa demande une petite chapelle. L’Oratoire Saint-Joseph est né. En peu de temps, la chapelle est agrandie plusieurs fois. Les autorités du collège prennent conscience du pouvoir d’attraction du petit frère et de la force de sa dévotion à St-Joseph. Ils préparent les plans d’une grande cathédrale qui sera entièrement financée par des dons privés. En 1917, on inaugure la crypte (l’église inférieure), puis on commence la construction de la basilique en grosses pierres. Quand le frère André meurt en 1937, à l’age de à 91 ans, les murs de la basilique se dressent sur le Mont-Royal. Le toit et le dôme seront complétés au cours des années suivantes.
La foi de Charles-Emile en St-Joseph et sa vénération pour le frère André sont profondes et sincères. Il va très souvent à l’Oratoire, avec ses garçons, pour demander des faveurs et acheter des lampions, en témoignage de sa dévotion. Le nombre de ceux-ci est directement proportionnel à l’importance de la faveur demandée. Il gravit le grand escalier de bois en avant de l’Oratoire sur les genoux, en récitant à chaque marche une prière à St Joseph. Sa foi semble récompensée, car il s’exclame souvent: «Merci, Saint-Joseph». De plus, il achète des statuettes miniatures en métal à l’effigie de St-Joseph, d’à peine deux pouces de hauteur, qu’il place ici et là dans la maison pour protéger sa famille, de même que des bouteilles de l’huile du frère André, la même, dit-on, que celui-ci utilisait pour frictionner ses visiteurs et guérir leurs douleurs, au cas où sa famille en aurait besoin.
Pour financer leur projet de construction, les autorités religieuses ont imaginé, entre autres, d’identifier chaque pierre d’un numéro et de les mettre en vente. Charles-Émile en achète deux, dûment numérotées et localisées. C’est avec beaucoup de fierté qu’il appose au mur de sa shop le certificat attestant qu’il les a payées et qu’elles ont bien servi à la construction de l’Oratoire. À Pierre-Paul, il remet un grand cahier à colorier dans lequel sont reproduits en croquis tous les plans de l’Oratoire, y compris ceux de la future basilique et du dôme. Pour Jean-Claude, il achète un ensemble de petits panneaux en carton qui, montés et collés, représentent en trois dimensions tous les bâtiments de l’Oratoire, sur une hauteur de plus de seize pouces. Charles-Émile est bien loin d’imaginer que son fils, un jour, travaillera comme ingénieur sur les plans du chauffage radiant qui sera incorporé au plancher de la grande cathédrale pour la chauffer en hiver.
Jean-Claude arrive au Collège Notre-Dame et il est reçu par ses nouveaux camarades comme une nouvelle poule qui débarque dans un poulailler. Ses nouveaux copains prennent un malin plaisir à le faire souffrir, à le bousculer, à l’ignorer. Ainsi, au repas, il se retrouve assis au bout d’une longue table où les élèves sont face à face. Un élève responsable de la tablée, assis à l’autre extrémité, sert les assiettes qui sont passées des uns aux autres jusqu’au destinataire. Au premier repas, Jean-Claude n’est pas servi. Il se plaint à son responsable qui l’insulte en le traitant de «fils de barbier» et en l’enjoignant d’être plus poli. Jean-Claude, toujours aussi impressionnable, ne pipe mot. Il est blessé qu’on insulte son père à cause de son métier. Il se demande qui a pu leur fournir cette information et qui peut bien être ce garçon pour lui parler sur un ton aussi arrogant. Il s’imagine qu’il doit s’agir d’un fils de riches et se jure de s’en faire un ami. Pour tout repas, il se contente d’une tranche de pain en plus du fruit qu’on lui remet au dessert.
Il prend la décision, pendant les trois mois qui suivront, de se concentrer sur ses cours, de s’occuper de ses affaires et de tenter, s’il le peut, de se créer quelques amis. Mais il est soudainement pris d’un mal de ventre violent, du côté droit. À l’infirmerie du collège, on pense qu’il fait une appendicite. Antoinette vient le chercher et l’amène chez le Dr. Archambault qui confirme le diagnostic de l’infirmier. Il est transporté directement à l’hôpital des Saints-Anges de Lachine pour y être opérer d’urgence. Tout se passe bien. Il récupère vite et reçoit la visite du préfet de discipline du Collège, le frère Cécilien. En moins de trois semaines, il revient au collège avec son bout d’appendice dans une petite bouteille en verre clair, remplie de liquide.
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