au 7 avril 2002


 

Ce dialogue met en relief, la place de la Kabylie en Algérie et souligne le traitement des Palestiniens par les Américains suite au classement par les Américains du Hamas comme mouvement terroriste.

7 avril 2002

Mansour: Pour ce qui concerne la situation politique en Algérie, j’ai l’impression, que sous l’influence en particulier de son ministre de l’intérieur, Bouteflika a décidé de faire la guerre au mouvement de protestations des citoyens algériens de la Kabylie. Le mouvement anti-violence qui mène la lutte pour les droits des Kabyles en Algérie a apparemment été déclaré hors la loi par le régime Bouteflika. Il a ordonné l’arrestation de tous les représentants des villages Kabyles de ce mouvement. Plus de 30 des membres dirigeants de ce mouvement sont sous les verrous en Algérie. De plus tous les manifestants Kabyles arrêtés lors des manifestations sont immédiatement traduits devant des tribunaux kangourous sans aucun «due process» et condamnés à de lourdes peines de prisons.

Claude: Si tout cela s’avère vrai, il est clair qu’une répression majeure est en marche contre le mouvement anti-violence. Je te souligne que ce n’est pas le temps de cesser d’agir de cette façon, au contraire. Il faut continuer à réclamer la justice, l’égalité pour les Kabyles et la liberté des prisonniers. Ces demandes pourraient être accompagnées de campagnes généralisées de désobéissance civile par les Kabyles. Cela entraînera probablement d’autres arrestations, mais elles feront mal au gouvernement. Gandhi a entrepris de telles campagnes de désobéissance civile qui se sont avérées très efficaces malgré qu’elles aient causé momentanément une plus grande répression de la part des autorités anglaises. Finalement, l’Empire britannique a été ébranlé. Une guerre civile ferait beaucoup plus de morts et n’assurerait pas au mouvement Kabyle la sympathie de la communauté mondiale. Les arrestations inopinées, les jugements des tribunaux kangourous, la mise hors de la loi du mouvement anti-violence sont des injustices flagrantes qui justifient une réaction comme la désobéissance civile. Elle sera entendue dans le monde.

Mansour: Face à ces vagues d’arrestations, qui ne sont pas différentes des arrestations des Palestiniens par les services de sécurité israélienne, les dirigeants du mouvement populaires en Kabylie sont apparemment déjà en clandestinité. Je crois sincèrement que c’est le début d’une guerre civile que le régime veut et pense gagner ave le temps.

Claude: J’espère que non car la guerre civile ne règlera rien et les possibilités sont qu’un très grand nombre de tes compatriotes soient tués. Si les chefs sont en clandestinité, espérons que c’est pour planifier une réaction comme je le disais précédemment. Sinon, ils feront, à mon avis, une erreur magistrale.

Mansour: Mais la réalité sera toute autre. Tout comme Sharon ne pourra jamais étouffer les revendications des Palestiniens, Bouteflika ne réussira pas à décourager les Kabyles de continuer à revendiquer leurs droits légitimes en imposant une occupation militaire et policière. Un jourou l’autre, le régime deBouteflika disparaîtra et une Algérie pluriculturelle et démocratique sortira des décombres de ce régime fasciste et militariste. Mais entre-temps une fois de plus le peuple Kabyle paiera cher cette attente, tout comme il l’avait fait durant la guerre de libération de l’Algérie. Je pense maintenant que l’avenir de l’Algérie dépendra beaucoup plus des populations arabophones que des populations berbérophones. De deux choses l’une, ou on abouti à une Algérie démocratique et multiculturelle ou on aboutit à l’implosion de la nation algérienne. Dans le dernier cas, les Kabyles se retrouveront certainement dans une situation économique désastreuse à court terme, mais s’ils arrivent à créer des institutions réellement démocratiques et un système économique favorable à l’ouverture sur le reste du monde. Ils pourront croire à un avenir certainement meilleur que celui que lui qu’offre l’Algérie d’aujourd’hui. Les Kabyles ont déjà près d’un million des leurs de l’autre coté de la Méditerranée, en France en particulier. Ils ont une population qui est relativement plus éduquée que le reste de l’Algérie, et surtout une ouverture d’esprit que les autres régions sont loin d’avoir. La Kabylie n’a pas besoin de la manne du pétrole pour survivre à court terme et se définir un avenir assez attrayant à moins et à long terme. La Kabylie n’aura aucune difficulté à s’adapter culturellement à la culture occidentale en générale et française en particulier. Même les femmes les plus âgées en Kabylie comprennent la culture française mieux que les ingénieurs arabophones des autres régions du pays. Tu sais très bien que ce n’est certainement pas mon choix préféré, mais si les arabophones du reste du pays refusent de reconnaître les revendications des Kabyles alors je ne peux que militer pour la séparation une bonne fois pour toute entre la culture arabo musulmane moyenâgeuse et la culture berbère qui veut s’attacher au reste du monde tant bien que mal.

Claude: Cette diaspora algérienne doit être un atout important dans la stratégie des Kabyles. Vous êtes partout dans le monde, occupant des postes souvent importants et diversifiés, et vous êtes, comme tu le dis si bien, des gens éduqués et expérimentés et votre attachement aux valeurs occidentales facilitera vos liens avec les autres peuples. Cela aidera sûrement à expliquer la situation Kabyle aux nations du monde, à mieux la faire connaître, et lui faire comprendre la raison de la désobéissance civile. Cela générera la sympathie nécessaire au renversement de la situation dans ton pays.

Mansour: Passons à la question palestinienne. J’ai, hier, écouté le discours de Bush Junior, comme tu l’appelles. Et je t’avoue que cela m’a vraiment donné la nausée.

Claude: Moi aussi et je l’ai trouvé très petit. C’est pourquoi dorénavant je l’appelle ti-Bush. Il n’est pas à la hauteur de la situation et le démontre chaque jour.

Mansour: Tout en proposant une feuille de vigne aux Palestiniens en, soit-disant, acceptant leur droit de créer une nation, il a passé tout le reste de son message à dénoncer les représentants des Palestiniens en les traitant de terroristes, tout en se disant comprendre les angoisses de Sharon face aux réactions palestiniennes contre sa politique d’annihilation de tout un peuple. Je t’avoue que cela ne m’a pas étonné de la part des autorités américaines. Il suffit de se rappeler de l’histoire de l’extermination et dépossession des nations indiennes au 19 ième siècle pour comprendre le mépris que Bush junior a pour les populations faibles où qu’elles se trouvent. Malheureusement pour les autorités américaines et israélienne on n’a jamais pu complètement exterminer un peuple tout entier. Il y a encore plus de 4 millions de Palestiniens aussi bien a l’intérieur même d’Israël que dans les territoires occupés de la Cisjordanie et de Gaza. Ce qui est le plus abominable dans le discours de Bush Junior c’est qu’il a ouvertement donné le feu vert à Sharon pour continuer ses massacres en Palestine ad infinitum.

Claude: L’erreur principale de ti-Bush est de n’avoir pas pensé plus loin que son nez le 11/9. Certes, ce fut effroyable et dès les premiers jours il a décidé de faire la guerre à Ben Ladin et aux terroristes. Il obtint l’appui de son pays. Le malheur c’est qu’il s’est emporté et a transformé, par après, cette guerre en une guerre ouverte à tous les terroristes de la planète. Il a même publié une liste des groupes qu’ils qualifient de terroristes. Il a entrepris une guerre qui devra durer éternellement car il ne viendra jamais à bout des terroristes de la planète, surtout qu’à cause de ses gestes, de nouveaux naissent tous les jours. Il est prisonnier de sa politique, et a permis aux oppresseurs de partout d’employer cette argumentation pour accentuer leurs actions contre les oppositions. Ainsi en Israël, il ne fait pas la part des choses et fait mine de ne pas comprendre que les Palestiniens n’ont d’autre ressort que d’agir comme ils le font contre un pays armé jusqu’aux dents. Il a sanctionné les gestes de Sharon, dénigré Arafat, et laissé faire l’occupation actuellement en cours. Il manque de vision et entraîne son pays dans une voie d’impopularité sans pareille au point que des manifestations et révoltes s’organisent dans un très grand nombre de pays et qu’il devient dangereux pour un américain de voyager dans le monde. Vraiment c’est un petit homme. Je le croyais suite à son élection, je le croyais moins suite à ses discours et ses positions en rapport avec 11/9, mais depuis je le revois comme je l’avais imaginé: Un homme qui n’est pas à la taille du poste important qu’il doit remplir. Certes il est populaire aux USA, mais je crois qu’il connaîtra le sort de son père aux prochaines élections, car les Américains finalement jugeront les résultats de ses politiques qu’ils trouveront désastreux.

Mansour: A la fin de la semaine prochaine l’armée israélienne termine sa boucherie et ce n’est qu’à à ce moment-là que le secrétaire d’état aux affaires extérieures se rendra finalement au Moyen-orient pour soit disant obliger Israël à arrêter ses massacres, alors qu’en fin de compte la mission sera déjà bien terminée. Mais là où les soit disant «thinking heads of Washington» se trompent c’est que la destruction de toutes les infrastructures de l’État naissant qu’est la Palestine ne joue ni en faveur d’Israël ou des USAà moyen et long terme. Bien au contraire. Ces destructions massives de tous les symboles d’un État palestinien qui a tout misé sur une solution négociée du conflit israélo palestinien, ne fera que renforcer le camp des opposants à une telle solution de ce conflit.

Claude: Je crois que tu as raison. Un peuple ne peut accepter de se mettre à genoux, et les Palestiniens ont bien démontré que jamais ils le feront.

Mansour: Avec la marginalisation d’Arafat et de toute son administration, les Israéliens et les Américains n’auront d’autre voie de sortie que de négocier un jour ou l’autre avec les groupes comme le Hamas et les autres associations violentes engagées dans ce conflit. Sharon ne demande que cela, car cela lui permettra de lui donner la chance de créer le grand Israël qu’il a toujours espéré. Le plus grand criminel dans cette farce du Moyen-orient, en fin de compte, ce n’est ni Bush Junior, ni Sharon d’Israël, mais, plutôt les régimes arabes asservis aux Américains depuis plus d’un demi siècle. Ils ont les moyens d’amener les Américains à considérer les revendications légitimes des populations palestiniennes sous le joug de l’occupation israélienne depuis 1967 au moins. Mais ils sont tellement asservis à l’empereur américain qu’ils ne peuvent pas bouger le doigt avant de demander l’autorisation des USA. Mais le peuple palestinien est toujours là, présent, et c’est la tache noire de la conscience de ces régimes arabes asservis. Ils souhaiteraient vivement que ce peuple disparaisse mais cela ne se fera pas de sitôt. Alors les régimes soit-disant démocratiques et libéraux du monde arabe comme l’Arabie saoudite, le Koweit, la Jordanie, l’Égypte, le Maroc et la Tunisie, font semblant de défendre les droits des Palestiniens, ils n’ont pas le courage et surtout la volonté politique de mettre l’administration américaine au pied du mur.

Claude: Oui, les gouvernements fantoches des pays arabes sont à la base de la déconfiture de tout ce qui arrive. Je te donne encore raison et nous en avons discuté souvent dans nos messages passés. J’espère que tout cela transformera l’ensemble de la vie politique en Arabie et favorisera une réelle démocratie dans ces pays qui se doivent de devenir autonomes et indépendants.

Mansour: Imaginesun peu le discours de Bush Junior s’il avait été menacé d’un boycott pétrolier alors que les troupes israéliennes entreprenaient leur offensive contre les Palestiniens. La réaction n’aura pas été la même.

Claude: Ce serait tout à fait différent. Mais comme tu aimes à dire ce n’est qu’un rêve.

Mansour: Oui c’est un rêve, car les palestiniens doivent savoir après plus de 40 ans de lutte contre les juifs d’Israël qu’ils ne peuvent compter que sur eux-même. Je me souviens d’un débat à l’université du Kansas durant la guerre de 1967. Ce débat avait principalement rassemblé des étudiants israéliens, renforcés par des étudiants américains notamment (des membres de ROTC, si je me souviens bien) et des étudiants arabes de toutes nations du Moyen-orient, mais la majorité des arabes étaient à l’époque représentés par des étudiants de l’Arabie saoudite, de la Libye, de l’Égypte et enfin un Algérien, moi. Et durant ce débat, j’étais le seul soit-disant arabe à dire aux palestiniens que tant qu’ils attendaient l’aide de leurs frères arabes du Moyen-orient pour rendre justice il allaient vers la catastrophe. J’avais à l’époque insisté sur le fait qu’aucun peuple ne s’était libéré avec l’aide extérieure d’ou qu’elle vienne. J’avais même donné à l’époque l’exemple de la lutte de libération nationale algérienne, qui non seulement devait se prendre entièrement en charge mais devait souvent lutter contre les soit-disant frères arabes, comme la Tunisie qui confisquait une grande partie de l’aide internationale destinée à l’Algérie qui transitait en Tunisie et de l’Égypte qui a été jusqu’à geler les comptes du FLN parce que Ben Bella, instrument des services secrets du régime de Nasser, n’avait pas la main mise de la représentation du FLN à l’étranger. Ce qui prévalait durant la guerre de libération en Algérie s’applique aujourd’hui comme par le passé en Palestine. Tant que la nouvelle bourgeoisie créée durant la longue lutte des Palestiniens continue à définir l’avenir du peuple palestinien, les Sharon et les Bush du monde continueront à se moquer des revendications de ce pauvre peuple.

Claude: Merci de ce récit intéressant. J’aurais aimé être à ce débat, assis pour écouter et surtout pour t’écouter. Mais je devine comment c’était, car je reste toujours marqué par notre première rencontre et notre longue conversation sur la terrasse du St-Georges à Alger. Ce fut, jusqu’à un certain point, un débat!

Mansour: Personnellement je ne crois pas qu’une solution durable à long terme entre Israël-USA et le peuple palestinien sortira de cette nouvelle mascarade américaine.

Claude: C’est beaucoup plus qu’une mascarade. C’est une faute impardonnable à un pays qui se dit la démocratie modèle. Il accepte que les chars d’assaut terrorisent la population palestinienne, que les droits fondamentaux de ce peuple soient bafoués, qu’on expulse les journalistes, que les hôpitaux soient bloqués, que les ambulances soient braquées par les canons des chars, que l’armée empêche les médicaments d’arriver et que les Palestiniens se retrouvent au milieu d’une vraie guerre. C’est indigne et devant cela nos gouvernements ont suivi la consigne américaine sans dire un mot. Et, si un groupe de civils Européens, encore aujourd’hui, n’était pas dans le bureau d’Arafat, je crois qu’il aurait été tué il y a plusieurs jours. Devant la montée de l’opinion mondiale face à ce drame, ti-Bush, qui selon moi est à blâmer pour ce calvaire que vivent actuellement les Palestiniens, s’écrie «assez, c’est assez» en attaquant principalement le chef des Palestiniens et en ne blâmant pas le terrorisme d’État du gouvernement Sharon. Ce qui me révolte le plus, c’est de voir depuis quelques jours Sharon affichant un grand sourire à la télé alors qu’il devrait être accusé comme Misolevic à LaHaye.

Mansour: Le peuple palestinien vit la dure réalité quotidienne et, tant que cette réalité ne changera pas radicalement, le problème de la Palestine demeurera sur la table malgré toutes les manipulations diplomatiques et médiatiques que les Sharon, Bush et Arafat peuvent transmettre sur les ondes. Le grand dilemme d’Israël aujourd’hui, c’est qu’il ne peut pas surmonter la contrainte démographique que lui posent les Palestiniens des zones occupées. Israël ne peut pas absorber près de 4 millions de Palestiniens dans le schéma d’une grande Israël cher à Sharon.

Claude: Il me semble que tu as raison. Déjà, le gouvernement d’Israël refuse de reprendre les réfugiés palestiniens qui dé-balanceront la situation démographique s’ils reviennent. J’imagine combien il devrait augmenter le taux de naissance et d’immigration de juifs dans un grand Israël, d’autant plus que les Palestiniens n’ont pas ce problème.

Mansour: De l’autre côté, je ne vois pas comment les régimes arabes asservis à l’empereur USA pourront survivre indéfiniment devant ce tort qui est fait aux Palestiniens. La stratégie américo israélienne d’aujourd’hui ne pourra que mener vers un Moyen-orient de plus en plus turbulent. Et l’Amérique en particulier à trop à perdre dans cette région si cela devait se réaliser. En conclusion de toutes mes élucubrations, je pense que l’Amérique en particulier sera obligée, un jour ou l’autre, de négocier non pas avec Arafat qui est déjà dans son camp depuis les accords d’Oslo, mais avec le Hamas et tous les autres mouvements religieux de la région si elle veut protéger les intérêts qu’elle a déjà dans la région, en particulier dans le domaine pétrolier. Tout comme la France qui avait raté sa sortie du Vietnam et de l’Algérie, j’ai l’impression que l’Amérique sortira un jour du Moyen-orient dans les mêmes conditions. D’ailleurs n’est-ce pas ce qui est arrivé au Vietnam en 1958 ?

Claude: Comme moi, tu entends sans doute l’argument qu’Arafat est responsable de l’évolution de la violence en Israël et en Palestine. On lui reproche de ne pas avoir accepté les propositions de Clinton lors de sa négociation avec le chef israélien Barak. Comment expliques-tu qu’Arafat a refusé de signer ? Pouvait-il signer ? Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Les propositions étaient-elle justes pour le peuple palestinien ? J’apprécierais connaître ton opinion sur ce sujet qui me semble de grande importance pour le peuple palestinien.

À très bientôt, j’espère.