Face à cette nouvelle croissance économique, le pourcentage des syndiqués au Québec approche les 29 %. Le mouvement ouvrier retrouve une meilleure unité organisationnelle et fait reconnaître ses droits. Même si depuis 1943, les syndicats sont reconnus par le gouvernement du pays, les conflits de travail demeurent nombreux. La formule du juge Ivan Rand vient forcer dorénavant le respect des conventions collectives et oblige la direction d’une entreprise à accepter un syndicat.
En 1949, Claude suit de près la grève qui éclate à la mine d’Asbestos, une parmi plusieurs, où plus de cinq mille travailleurs de l’amiante réclament l’amélioration de leur sort à la compagnie Canadian Johns-Manville. Les ouvriers demandent l’élimination de la poussière d’amiante à l’intérieur et à l’extérieur des mines pour enrayer l’«amiantose». Ils réclament aussi une justice salariale et veulent une augmentation de salaire de 15¢ l’heure qui portera leur salaire minimum à $1.00 l’heure, une augmentation de 5¢ l’heure pour le travail de nuit et un salaire double le dimanche et les jours de fête. Cette grève s’annonce longue.
A cette époque, Claude ne comprend pas pourquoi Duplessis qualifie cette grève d’illégale. Par contre, l’Église, par ses évêques, soutient la compagnie qui affirme qu’elle ne peut rien faire puisque le syndicat n’a pas obéi aux lois de la province. Elle ne conteste pas non plus une fausseté flagrante répandue par la compagnie, un rapport médical à l’appui, qu’il n’y a pas de problème de santé pour les travailleurs. Claude sait bien que Duplessis et l’Église prônent le respect de l’ordre social mais il se demande si cela est justifiable dans le cas de ces travailleurs qui sont confrontés aux dangers mortels de l’amiante tout en gagnant un salaire misérable. De jeunes intellectuels comme Pierre Trudeau, Jean Marchand, Gérard Pelletier et d’innombrables syndiqués, dont Michel Chartrand, se joignent aux ouvriers de la mine pour supporter leur syndicat, l’aider à s’organiser et à revendiquer leurs droits. Les ouvriers plaident leur cause et se frottent à la police provinciale qui cherche à protéger les lieux. Il y a engueulades, échauffourées et coups de matraque. La police arrête plusieurs grévistes et se bastonne avec d’autres. Cette grève devient violente et durera quatre mois et demi.
Le 2 mai 1949, Monseigneur Joseph Charbonneau, archevêque de Montréal depuis près de dix ans, lance à l’issue d’une grand’messe pontificale en l’église Notre-Dame, un vibrant appel en faveur des familles éprouvées par la grève de l’amiante: «La classe ouvrière est victime d’une conspiration qui veut son écrasement et quand il y a conspiration pour écraser la classe ouvrière, c’est le devoir de l’Église d’intervenir». Il réclame des autorités provinciales un code de travail qui soit «une formule de paix, de justice et de charité» et demande une quête pour aider les grévistes dans toutes les églises de son diocèse. Elle rapporte $167,558.24 et représente 28,6 % de l’aide extérieure donnée aux grévistes. Claude a une forte impression de ce bel homme de haute stature, au maintien digne, presque majestueux, avec sa mine ascétique. Il l’a croisé avec ses parents et Pierre-Paul lors de la bénédiction de leur nouvelle église paroissiale de Notre-Dame-de-la-Garde, en 1946. C’est Monseigneur Charbonneau qui avait autorisé quatre ans plus tôt la formation de la paroisse. Il l’a aussi rencontré lors de la fête de Saint-Joseph à la cathédrale où l’archevêque est descendu après l’office religieux dans la grande allée rencontrer les fidèles. Claude lui a donné la main et de fait une génuflexion pour embrasser la bague épiscopale de cet impressionnant archevêque. Sa famille l’aime beaucoup.
Finalement, c’est grâce à l’intervention de Monseigneur Roy, l’archevêque de Québec (il était à Rome au début de la grève tout comme Monseigneur Charbonneau), que la compagnie Johns-Manville cède et les intéressés s’entendent. La grève prend fin. Avec celle chez le constructeur automobile Ford à Windsor, où la compagnie refuse la constitution d’un syndicat, ces grèves favorisent le regroupement des syndicats ouvriers et leur décision de s’unifier dans le Congrès du travail du Canada. Au Québec, la Confédération des Travailleurs Catholiques du Canada conserve cependant son indépendance.
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