Ce dialogue traite de pays avec régime totalitaire, du passé politique de l’Amérique latine et de son avenir.
Le 23 janvier 2006
Mansour: Merci d’avoir répondu à tous mes messages que je t’ai envoyés dans le passé. J’ai apprécié la candeur de tes réponses même si je n’étais pas d’accord avec un grand nombre de tes commentaires.
Claude: C’est normal.
Mansour: Je vais essayer une bonne fois de toute remettre l’horloge à l’heure concernant ta perception de mes penchants politiques. Contrairement à ce que tu penses je n’ai jamais été un membre d’un parti communiste ou même d’un parti tout court.
Claude: Je croyais que tu étais membre du FLN. Si tu ne l’étais pas tu me semblais du moins sympathique à ce groupement politique.
Mansour: J’ai toujours été militant nationaliste toute ma vie et j’ai été aussi toujours pour une justice sociale.
Claude: Tout comme moi. Les red tories, étaient les membres du parti progressiste-conservateur qui tout en défendant une politique financière conservatrice faisaient la promotion de politiques sociales.
Mansour: Si la justice sociale est synonyme de socialiste et même communiste à tes yeux je n’y peux rien pour changer ta vue.
Claude: Je n’ai jamais dit cela car j’ai toujours défendu la justice sociale dans mon pays.
Mansour: Je ne sais pas pourquoi tu continues à m’accuser d’être socialiste.
Claude: Je ne t’accuse pas d’être socialiste. Il n’y a pas d’honte à être sympathisant socialiste. À chacun sa façon de penser et de voir. Il en va de même pour les pensées communistes. J’ai simplement dit, lors d’une conversation récente, que nous avons discuté ensemble de socialisme, de totalitarisme, etc. Je ne suis pas de la gauche mais du centre droit teinté de gauche. Ce matin, j’ai voté centre-droit lors des élections canadiennes pour la simple raison que je crois qu’il est temps que l’on change de gouvernement dans mon pays. Ce sera bon pour la démocratie et l’expression d’idées différentes.
Mansour: Mais je voudrais tout de même t’informer que quand j’étais président de l’association des étudiants FLN en Algérie en 1961, j’ai été jusqu’en Allemagne de l’est pour enquêter sur les étudiants algériens qui prétendaient parler au nom du mouvement de libération en Algérie et au nom d’un parti communiste. J’avais fait un rapport sévère contre ces gens là au gouvernement provisoire algérien en Tunisie pour les dénoncer comme des usurpateurs du mouvements nationaliste algérien dirigé par le FLN.
Claude: Je comprends ce que tu dis et je crois que tu as fait ton travail. Il s’agissait d’usurpateurs, comme tu dis, et voulaient probablement prendre crédit pour la révolution algérienne à des fins personnelles.
Mansour: Pendant toute ma carrière au ministère de la planification en Algérie durant les années 70 j’ai toujours été dénommé, par mes «partners» supérieurs au plan, comme l’économiste américain tout simplement parce que j’insistais pour l’instauration des lois du marché à travers toutes les activités économiques du pays.
Claude: Il ne faudrait quand même pas oublier notre première rencontre durant laquelle tu as défendu ardemment les principes du socialisme après que je t’ai dit que l’approche socialiste de gouvernement algérien ne me semblait pas une bonne approche pour régler les problèmes de relance du pays. On parle des années ’70. C’est d’ailleurs au cœur de cette discussion que nous avons développé notre amitié. Comment l’oublié !
Mansour: Tout comme Bismark qui a créé la nation allemande je pensais que l’élite algérienne des années 70 pouvait créer une nouvelle société algérienne moderne et créer une économie nationale rationnelle capable de tenir tête a la compétition mondiale. Ceci étant dit je voulais que l’Algérie puisse construire une économie moderne sans pour autant abandonner ses valeurs de justice sociale.
Claude: Oui, mais votre gouvernement ne mettait l’accent que sur les sociétés nationales et éliminait ou limitait le privé à des insignifiances. Je ne voyais pas comment vous pouviez réussir en ne profitant pas des talents, des initiatives, des efforts que démontrent les individus qui œuvrent dans le privé et qui créent leur propre entreprise. Chez nous, j’ai remarqué que ceux qui travaillaient pour l’état devenaient petit à petit des ronds de cuir. Pourquoi faire des efforts, se former et se casser la tête pour réussir quand l’emploi est permanent et garanti. C’est la source du problème des sociétés nationales. Les employés ne donnent pas tout ce qui doit être donné pour le meilleur intérêt de la société. Ils ne sont pas motivés. C’est la société qui en souffre.
Mansour: Et pour moi à l’époque, tout comme aujourd’hui, je croyais que la justice sociale ne pouvait être accomplie qu’à travers le plein emploi. On peut aujourd’hui discuter des déficiences de la politique de développement que l’Algérie avait adoptée durant les années 70, et je suis le premier a dénoncer les carences de cette stratégie même quand j’étais encore au plan. Mais il ne fait pas de doute que cette stratégie a tout de même donné un grand sens d’honneur à nos citoyens pendant toute cette période, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui où la grande majorité de notre société se sent écrasée par le chômage le mal être.
Claude: Je pense que tu vas admettre avec moi que ce fut un grand échec. Ce n’est pas une question d’honneur, car on peut l’avoir dans n’importe quel système. C’est une question des développements qui ont des suivis, de réussites, de progrès réels, de compétitivité, etc… Dans un régime totalitarisme, socialiste à tendance communisme, comme en URSS, il n’y avait pas de chômage mais peu d’efforts et pas de valeur ajoutée. Les gens ne travaillaient pas. Cela fait son temps mais après un moment «reality comes crashing down». Je crois que si l’Algérie dès les premières années de son indépendance avait opté pour un système social démocrate, qu’elle ne serait pas où elle est actuellement et le niveau de chômage actuel serait beaucoup plus bas. Les jeunes d’aujourd’hui subissent les résultats des longues années perdues au point de vue économique. Mais le temps viendra et petit à petit la situation changera et le niveau de chômage baissera.
Mansour: L’Algérien des années 70 était fier d’être Algérien. Par contre, l’Algérien d’aujourd’hui a même honte d’admettre qu’il est Algérien même si il est un grand chirurgien à Paris ou même à Washington.
Claude: Il faut que tu tiennes compte de la conjoncture actuelle. Je dois te dire que tous les Algériens que je rencontre dans mes voyages m’expriment leur fierté d’être Algérien. Il y a du racisme aux USA et ailleurs en Occident et il y en a toujours eu. Il ne faut pas cependant généraliser. Il faut aussi reconnaître qu’ils subissent tous les torts du passé.
Mansour: Et pourtant l’Algérie n’a jamais connu l’aisance financière qu’elle a connue depuis des années déjà à cause de la hausse des prix du pétrole. Figures-toi que l’Algérie a maintenant des réserves d’échanges qui tournent autour de 100 milliards de dollars et pourtant le chômage des jeunes en Algérie est au dessus de 50% Je te parle de tout cela pour essayer de démontrer qu’il y a une différences entre les réformes économiques (qui sont non existantes en Algérie à ce jour) et les reformes politiques. J’ai l’impression que d’après toi, il suffit de remplacer un régime qui se dit socialiste par un régime qui se dit démocratique pour que tout s’arrange dans une société.
Claude: Oui, je crois que c’est un bon départ. Mais il y a aussi des conditions. La compétence des dirigeants, l’intégrité de leur administration, la qualité des écoles et des universités, l’ouverture aux gens d’affaires, l’aide gouvernementale, l’honnêteté, une chance égale à tout le monde, etc… Ce n’est pas facile mais c’est la recette. Avec uniquement le socialisme totalitaire, malgré que l’on peut retrouver plusieurs des conditions que je viens de mentionner, il manque la liberté. La liberté de parole, d’assemblée, d’investir, de construire, d’initier, de risquer, de gagner, de diriger, etc… en somme, tout ce qui motive. Sans motivation, les différents secteurs de la société ne peuvent atteindre l’optimum.
Mansour: Ce n’est certainement pas le cas à travers toute l’Amérique latine du moins. Nous avons eu des régimes soit disant démocratiques qui ont été plus fascistes que même le régime de Fidel Castro. Et pourtant tous ces régimes ont été installés par la CIA et les agences américaines ou européennes à travers l’Amérique latine pendant plus d’un siècle déjà. Depuis la mise en place de la doctrine de Munroe pour l’Amérique latine à la fin du 19me siècle tous les régimes politiques de ce sous-continent ont été installés et soutenus par les USA qui soit disant défendaient la démocratie. Qui a installé le régime de Batista à Cuba, ou le régime fasciste des généraux en Argentine ou les régimes au Honduras, en Bolivie, au Nicaragua, au Chili sinon les USA.
Claude: Oui tu as raison. Je suis entièrement d’accord avec toi pour dénoncer les manœuvres des USA depuis des siècles en Amérique latine. C’est un mauvais exemple. En fait, ce n’étaient pas des systèmes démocratiques réels et libres puisqu’ils mangeaient dans le main de l’oncle Sam. J’espère, quand je parle de démocratie, que tu ne penses pas que je veux donner comme exemple les pays de l’Amérique latine du siècle dernier. Je me réfère surtout au Canada, aux pays nordiques, à la France, l’Angleterre…. Etc.
Mansour: Alors ne me parle pas du passé du soviétisme et de ses effets néfastes à travers le monde entier. Si la démocratie comme tu la définies, a été combattue à travers le monde, il ne fait de doute que le monde occidental d’une manière générale a été le plus grand acteur dans cette oppression de la démocratie à travers toute l’histoire de l’humanité depuis la révolution française.
Claude: Tu sais qu’il y a des exceptions mais généralement la démocratie a démontré ce quelle peut apporter aux pays qui l’appliquent honnêtement. Le Japon, est un autre exemple. C’est quand même De gaulle qui a finalement donné l’auto-détermination aux pays colonisés français. Ils souffrent toujours car il y a un manque évident de dirigeants honnêtes et compétents. Trop de bakchis.
Mansour: Je ne suis certainement pas enthousiasmé avec le régime politique de Fidel Castro que tu considères comme le pire régime qui puisse exister a travers le monde. Mais tu oublies que Fidel Castro a été après tout le seul homme politique de l’Amérique latine à avoir tenu tête aux arrogances des USA en Amérique latine, pendant plus de 40 ans déjà. Il ne fait de doute que son exemple a été après tout le rassemblement de toutes les forces nationalistes en Amérique latine.
Claude: Je ne sais pas ou tu prends cet argument que je n’admire pas Castro. Le contraire est vrai. J’ai eu l’opportunité de le rencontrer dès le troisième mois de sa prise de pouvoir en 1959 et je connaissais alors l’État du pays dirigé par Batista et les gangsters américains. Dès le début il a promis de donner une démocratie à son pays. Il a promis des élections lors d’une conférence de presse que je présidais à Montréal. L’intransigeance des Américains, l’événement de la baie aux cochons, l’interférence de l’URSS ont chambardé ce projet. Castro a quand même remis Cuba aux Cubains, les a instruits, logés, soignés. Ce ne fut pas facile pour lui et ce ne l’est toujours pas. J’y suis retourné il y a deux ans et j’ai vu des médecins comme chauffeurs de taxis, des ingénieurs comme waiters dans les hôtels, etc… j’ai vu des logements détruits et usés, des rues sales sans électricité, etc… Un laisser-aller général. Les Cubains sont un peuple brave, solide, intelligent et capable. Mais Fidel maintient sa folie de socialisme totalitaire et le pays s’en va à sa perte. S’il avait accepté il y a dix ans ou vingt ans, de créer une démocratie, l’île aujourd’hui serait totalement différente. Le danger qui plane maintenant sur ce pays c’est que le régime ne durera pas après la mort de Fidel, et que ce sont les riches cubains (les descendants des bandits, voleurs, etc… qui ont fui Cuba avec leur or) de Miami qui retourneront prendre le pays et exploiter le peuple car ils ont l’argent.
Mansour: Et aujourd’hui, si il y a un seul homme politique dans cette région a célébrer la débâcle politique des USA dans ce sous-continent, celane peut être un Fidel Castro même si cette victoire n’apporte rien de positif à son propre pays.
Claude: Même si Fidel célèbre, cela ne change rien. Il a fait l’erreur de ne pas muté son pays au moment propice vers la démocratie.
Mansour: Étant né au Canada, je comprends très bien que tu ne puisses pas comprendre entièrement le comportement des nations qui ont été pendants des décennies sinon des siècles subjuguées.
Claude: Il me semble que tu me donnes peu de crédit en rapport avec la compassion et la compréhension que j’ai pour ces pays. Depuis l’âge de 26 ans, j’ai visité 85 pays et j’ai vu partout la pauvreté, étudier leur politique, chercher à comprendre leur situation et quoi encore. Je crois comprendre ce qui se passe. D’ailleurs les Canadiens sont comme çà. Nous avons toujours aidé Fidel malgré l’embargo américain. Non pas pour Fidel, mais pour le peuple cubain. Nous appuyons dans le monde d’innombrables mouvements de toutes sortes pour aider les peuples qui on besoin d’aide.
Mansour: Je peux me mettre à la place du Bolivien qui a voté pour son nouveau président ou du Chilien ou même du Brésilien. Il y a une faim pour la dignité que le monde occidental n’arrive pas à comprendre et cette faim à travers tout le monde de l’Amérique latine souffle comme il ne l’a jamais fait dans le passé. Dans une décennie, j’ai l’impression que nous allons avoir un nouveau sous-continent qui se soulèvera en masse contre l’oppression del’Amérique du nord et la culture anglo-saxonne. La culture latine commencera sa nouvelle renaissance dans les années à venir, avec ou sans les USA et le reste du monde occidental.
Claude: Je suis en partie d’accord avec toi. Cependant, j’ai la conviction que les nouveaux dirigeants qui sont élus enfin démocratiquement apporteront des changements radicaux pour aider leurs peuples.
Mansour: J’ai toujours promis d’être extrêmement franc avec toi, J’espère que mes commentaires ne t’ont pas trop choqués.
Claude: Non pas choqué puisqu’ils m’ont permis de faire aussi une mise au point. A très bientôt.
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