le 20 octobre 2003


Ce dialogue traite de solutions pour l’Algérie face à la montée du mouvement islamiste fondamentaliste.

Le 20 octobre 2003

Mansour: Je comprends très bien tout le raisonnement derrière tes commentaires lors de notre dernier dialogue. Mais je crois encore qu’il y a une erreur fondamentale dans ton raisonnement, concernant la situation particulière de l’Algérie. Tu crois dur comme fer qu’un système démocratique à l’occidentale, même si aboutit a une majorité islamiste en Algérie est une bonne chose. Il faut faire confiance à la démocratie. Je ne partage pas ton optimisme. Je suis persuade que nous aurons dans les mois qui suivent la victoire des islamistes une nouvelle constitution basée sur les valeurs les plus rétrogrades de l’Islam.

Claude: Si tu crois que les islamistes imposeront une nouvelle constitution, la charia, c’est que la constitution actuelle est laïque (tu réponds ainsi à ma question du précédent dialogue). Étant élu démocratiquement, les islamistes fondamentalistes devront faire un grand débat démocratique et public avant qu’une telle décision de modifier la constitution soit prise. Le vote ne viendra qu’après. Si cette opération n’est pas faite démocratiquement, la suite pourra être contestée. Si les islamistes par leurs manœuvres manipulent et imposent leurs vues, si tout se déroule comme tu prédis et s’ils changent radicalement la constitution en changeant la nature du pays de laïque à religieux, n’est-ce pas là une bonne raison pour l’intervention de l’armée algérienne, qui se doit d’être la protectrice de la constitution.. Et l’armée aura une bonne raison de les chasser du pouvoir. L’Algérie se retrouvera dans la situation de la Turquie. En 1991, elle les a déloger par crainte qu’ils prennent le pouvoir. C’est à mon avis une mauvaise raison. Dans un scénario comme celui que je te donne, l’armée a au moins la raison de dire que la constitution algérienne doit être protégée. Les islamistes sachant qu’ils pourront perdre le pouvoir se raviseront. Par contre, es-tu absolument certain que les islamistes seront élus?

A mon humble avis, pour atteindre l’objectif de la démocratie il faut vivre en démocrate. Si le système change d’un président dictateur à un groupe dictateur, on peut prédire que l’avenir sera semblable. L’histoire nous montre que cela prend beaucoup de d’années avant qu’une vie démocratie réelle s’implante dans un pays. Il faut cependant commencer à la pratiquer. Pourquoi pas tout de suite en Algérie? Tu me diras que je rêve en couleurs, et je reconnais que c’est vrai. Je sais bien que ceux qui sont en place actuellement ne joue pas le jeu et ceux qui attendent en coulisses font de même. Alors quelle est la solution pour aujourd’hui? Je sais que vous êtes dans une situation très particulière mais l’avenir du grand peuple algérien en dépend. Une autre solution, que j’aime moins, est que l’armée prenne publiquement et ouvertement, pour les raisons invoquées, le contrôle du pays, qu’elle prépare une nouvelle constitution (clairement à la turc si tu veux), la fasse adopter par un vrai référendum national et qu’elle organise des élections générales pour permettre aux différentes forces de la nation de chercher à se faire élire par le peuple. La nouvelle constitution établirait les fondations d’une vie démocratique en Algérie et elle serait officiellement protégée par l’armée qui ne pourrait pas intervenir dans la gestion du gouvernement sauf si la constitution est bafouée par les élus.

Mansour: Même le régime des moullahs en Iran nous paraîtra comme évolué comparé au régime que les islamistes algériens voudraient imposer a notre pays. Il ne faut pas oublier que les moullahs iraniens sont tous des érudits de la jurisprudence islamique, alors que les islamistes algériens sont totalement illettrés dans ce domaine, alors qu’ils prétendent parler au nom de l’Islam. Le fondamentalisme islamiste algérien est le plus rétrograde de tous les mouvements islamistes du monde. Le chef culturel actuel de ce mouvement en Algérie est Benhadj qui vient juste d’être libèré par Bouteflika, en espérant qu’il aura les voix des islamistes aux prochaines élections présidentielles. Mais ce bonhomme n’a pas hésité à déclarer qu’il était prêt à immoler deux millions d’algériens pour purifier l’Islam en Algérie. Et qu’il préférait ramener 500,000 Talibans afghan pour remplacer tous l’élite algérienne qui préfèrent s’émigrer en France plutôt que de vivre sous le joug des islamistes. Voila le risque que l’Algérie court aujourd’hui. Et c’est pour cette raison que je continue à favoriser même les actions antidémocratiques pour empêcher ce fléau islamiste de s’installer dans mon pays d’origine. Pour me comprendre tu dois te rappeler que je suis foncièrement algérien et culturellement Jules Ferryen.

Claude: Je te comprends, et j’ai toujours à l’esprit les massacres effrayants que vit l’Algérie depuis si longtemps. Mais ce genre d’individus devra être chassé, mis aux pas. Le gouvernement, devra mettre ses culottes pour les pourchasser et leur faire les procès qu’ils méritent. Mais est-ce une raison d’avoir peur ? N’est-ce pas vraiment le régime de motus et bouche cousue que pratiquent les algériens éduqués du pays ? Comment un meilleur avenir démocratique peut-il se dessiner si ceux qui peuvent faire quelque chose se taise, s’enfuit, se plie ou se cache ? La nation, n’est-elle pas le souci de chacun ? La vie est un chemin parsemé de risques pour tous ? Ce n’est sûrement pas en les craignant que l’on avance ! Où est-il celui qui pourra avoir le courage, l’intelligence et la vision d’amener votre peuple à son destin ?

Mansour: Le général Nezzar qui a pris le pouvoir en 1991, en arrêtant l’élection, vient finalement de se rendre compte que Bouteflika ne fait que préparer le lit à un régime islamiste en Algérie, et a enfin décidé d’encourager le FLN de se rebeller contre Bouteflika. Mais si ce dernier arrive à voler les élections présidentielles prochaines, je suis certain que Nezzar arrivera à mobiliser les services de sécurité du pays pour arrêter une fois de plus la montée des islamistes au pouvoir. D’après moi, je pense que Bouteflika sera remplacé par Benflis, si les élections présidentielles sont libres de toutes interventions des administrations contrôlées par Bouteflika et son ministre de l’intérieur, mais si les élections sont truquées alors l’armée sortira dans la rue pour assurer que Bouteflika et ses amis islamistes seront une bonne fois pour toutes renvoyés à leurs supporters du Moyen-orient (notamment les Émirats arabes, qui ont hébergé Bouteflika pendant plus de 20 ans).

Claude: Bouteflika, Nezzar, Benflis, Chadli ne sont-il pas tous du pareille au même? Ils s’accusent mutuellement et manipulent pour prendre le pouvoir et le garder. Si Nezzar a réellement la force de persuasion, le pouvoir et les bonnes intentions que tu lui attribues, qu’il prenne avec l’armée le pouvoir dans le but précis que j’ai expliqué auparavant. On repart à la case zéro ! Une nouvelle constitution (genre à la turque), un vrai référendum, des élections supervisées par les Nations-Unies et réellement démocratiques, un gouvernement qui s’occupe de ses affaires et respecte la constitution, une armée qui joue son rôle de défense de l’état sous le gouvernement mais qui aussi, et cela est très important, s’assure que la constitution est respectée. L’armée algérienne a-t-elle la culture pour agir ainsi ?

Mansour: Même si nous arrivons à éviter la prise de pouvoir des islamistes aux prochaines élections présidentielles, je crois que ta proposition est bonne. Aujourd’hui même je viens de voir dans la presse américaine que le gouvernement turque, dominé par les forces islamistes, a été obligé d’abandonner son projet d’introduire des valeurs religieuses dans le système éducatif du pays. Sans une constitution telle que celle introduite par Kamal Atta Turk dans les années 20, la Turquie serait aujourd’hui sur le point d’adopter un système éducatif aussi rétrograde que celui de l’Arabie saoudite. Je te concède le fait que le pouvoir politique exercé par les forces militaires turques aussi bien dans le passé qu’à présent, n’est certainement pas démocratique, mais peut être une bonne solution.

Claude: Voilà exactement ce que je préconise. Il faut cependant que le plan soit bien compris et que l’armée veille au grain. Une armée qui oblige le respect de la constitution du pays, adoptée par un vrai référendum, joue un rôle démocratique à long terme car ce ne sont pas des coups de vents passagers qui doivent changer le cap d’une nation.

Mansour: Mais ce qui me rends encore plus malade c’est le comportement de l’Europe en particulier vis-à-vis de la Turquie. Voilà une civilisation occidentale qui accuse un régime politique qui fait tout pour défendre les valeurs les plus fondamentales de sa culture. Depuis l’avènement d’Atta Turk au pouvoir en Turquie, la constitution de ce pays a toujours été basée sur l’élimination du pouvoir religieux sur les affaires politiques et sociales de ce pays. Et pourtant l’Europe continue à dénoncer le régime turc parce qu’il veut ancrer son pays à l’Europe. Giscard d’Estaing, président du groupe européen chargé de préparer la constitution d’une Europe unie a eu le courage de dire publiquement que la Turquie n’avait pas le droit de s’intégrer à l’Europe unie de demain parce quelle est un pays musulman alors que le l’Europe n’est qu’une nation chrétienne .Apparemment, la Bosnie ou l’Albanie ne pourront jamais faire partie de cette nouvelle nation européenne tout simplement par ce que ces nations sont musulmanes.

Claude: Je ne comprends pas pourquoi D’Estaing ou d’autres prennent cette position ? Heureusement qu’il y a d’autres leaders européens qui ne pensent pas ainsi. Toute la question de l’assise de la religion chrétienne fait le sujet d’un grand débat, comme tu sais, et j’ai entendu que même le pape s’en mêle en affirmant que la CE devrait tenir compte de ses racines chrétiennes dans sa constitution (du moins c’est que j’ai compris). Ce débat m’intéresse et je vais le suivre. N’hésite pas à me renseigner au fur et à mesure que cette question est étudiée.

Mansour: Pour te dire la vérité, je ne suis certainement pas d’accord avec les dirigeants politiques turques, bosniens, ou albaniens, sans parle des marocains et des tunisiens qui essaient par tous les moyens de se faire accepter comme membre de la communauté européenne. Il ne fait pas de doute que ces sociétés ont des cultures totalement différentes des européens. Ce qui me rend malade avec ces mouvances politiques pro-européennes, c’est qu’en fait ils ont honte de leurs propres héritages
culturels.

Claude: Non, tu exagères, Ils n’ont certes pas honte de leurs héritages culturels mais voient plutôt dans l’union avec la CE, un avantage pour bâtir sur ce qu’ils ont déjà et assurer à leur pays une meilleure vie économique. Il me semble aussi que les Européens et les pays Arabes profiteront mutuellement des échanges de cultures. La constitution de la CE devrait être neutre en rapport avec toutes les religions.

Mansour: Je peux à la rigueur comprendre un Algérien voulant adopter une culture occidentale, vue le vide culturelle et politique qui l’étouffe. Mais comment peut-on imaginer un Marocain, par exemple, ignorer ou même refuser son passé culturel. Le royaume marocain d’aujourd’hui est plus vieux que le royaume d’Angleterre. Le peuple marocain a une histoire fabuleuse datant même avant la conquête de l’Espagne par les arabes. Ne parlons pas du peuple Turc qui a tout de même dominé la Méditerranée pendant plusieurs siècles. Comment ce peuple peut-il oublier le passage de Suleyman le magnifique, qui avait chassé les croisés de toutes les terres saintes islamiques du Moyen-orient, sans parler de l’empire qu’il avait construit au dépend de l’Europe dans le passé ? Le problème d’identité culturelle reste le plus grand problème pour toutes les nations arabo-islamiques.

Claude: A mon avis se joindre, pour ces pays, à la CE ne veut pas dire être assimilé. Chacun gardera les valeurs issues de l’histoire de son peuple. Mais le monde change. Les empires disparaissent avec le temps et il ne faudrait pas que les peuples de ces empires lointains rêvent toujours des conquêtes passées sans voir le futur. Les Romains, les Maures, les Turcs et les autres font partie de l’histoire du monde et nous sommes tous, jusqu’à un certain point, la synthèse de cette histoire quelle que soit notre origine ou notre continent.

Mansour: Je t’avoue que je n’arrive à comprendre pourquoi toutes les sociétés asiatiques ont réussi à rejoindre le « monde civilisé » sans jamais abandonner leurs valeurs culturelles et sociales, alors que le monde musulman a essayé depuis plus d’un siècle à imiter le monde des maîtres sans jamais arriver à avoir une chaise autour de leur table. Je crois aux valeurs universelles de l’homme, mais quand je vois le comportement des sociétés arabes en particulier je me demande s’il n’y a pas quelque chose qui ne va pas avec ces sociétés. Il ne fait pas de doute que les sociétés arabes, par exemple, ont fait d’énormes progrès dans le domaine de l’universalité des systèmes éducatifs. Le taux d’alphabétisation de ces sociétés a évolué au même rythme que celui des sociétés asiatiques. Et pourtant les sociétés arabes en particulier sont toujours dans des valeurs médiévales.

Claude: D’un côté du dis n’être pas en accord avec l’objectif des dirigeants de pays musulmans comme la Turquie, la Bosnie, l’Albanie, le Maroc et la Tunisie de vouloir se joindre à la CE, et d’autre part tu es triste et affirmes que quelque chose ne va pas avec les sociétés musulmanes qui n’ont pas fait comme les asiatiques qui ont accepté, depuis longtemps, le monde civilisé sans pour autant perdre leurs valeurs sociales et culturelles. Cela revient à ce que j’ai dit plus haut, se joindre à l’union européenne pour les pays musulmans peut vouloir dire améliorer leur vie économique. Ils savent que s’ils ont une chaise autour de la table ils pourront participer au débat et en profiter. Je crois que cela va se concrétiser sûrement un jour. Mais ce ne sera pas pour demain.

Mansour: Comme tu me dis souvent, je t’avoue que je suis très pessimiste car je ne vois pas comment ce monde arabe peut sortir de son système médiéval de valeurs sociales, malgré toutes les tentatives des systèmes éducatifs qui ont essayé de pousser les sociétés arabes vers un nouveau monde.

Claude: Là, tu exagères ton pessimisme…

À très bientôt