Beaucoup d’appelés, pas tous élus
À Milan, pendant mes années d’études, Joseph et Barbara Rouleau habitaient à côté de chez nous, André et Yolande Turp à l’autre bout de la ville. Chaque fois que l’occasion de nous recevoir mutuellement se présentait, nous en profitions, malgré nos maigres ressources. À d’autres moments, c’était toute la petite communauté de chanteurs québécois qui se retrouvait, comme ce fut le cas au fameux party du Jour de l’an 1954.
Je me souviens d’une fois où un nouvel «émigré» du Québec, venu lui aussi étudier le chant, nous avait invités chez lui pour faire plus ample connaissance avec ses compatriotes. Ce jeune Montréalais tranchait dans notre groupe: il arrivait avec une bourse bien garnie, gracieuseté du paternel, mais pas de voix! De cette petite lacune, c’est Jos qui s’était aperçu le premier.
Chaque fois qu’un nouveau débarquait à Milan, c’était à qui de nous le convaincrait de venir travailler chez son professeur, chacun, évidemment, clamant avoir le meilleur maître! Jos avait réussi à amener la nouvelle recrue chez signor Basiola pour passer une audition. À la question de Basiola, «Qu’aimeriez-vous chanter, cher monsieur? », notre novice avait répondu: «Le Ô Canada!» Joseph s’était recroquevillé de honte dans son fauteuil…
Bref, nous sommes une douzaine à recevoir une invitation à souper chez l’aspirant chanteur et sa femme. Pas question d’un petit logement pour eux, ils avaient loué un étage de maison au complet.
Pour je ne sais quelle raison, le baryton Guy Lepage décide de jouer un tour au nouvel arrivant. Il lui tient ce petit discours: «Tu sais, quand on reçoit des artistes comme Rouleau, Savoie, Turp, Piché ou Lambert, il faut s’habiller très chic. Ces gens-là sont célèbres. Ils ne sortent jamais autrement qu’en smoking … »
Le soir venu, nous arrivons tous ensemble dans deux tassi à sept places, vêtus comme pour une réception au palais de Buckingham. Tous les hommes en habit de cérémonie, toutes les femmes en robe longue.
Je sonne. En nous ouvrant la porte, nos hôtes reculent d’un pas. Ils sont complètement déconcertés. Lui est en bretelles bleu-blanc-rouge, sa femme en jupe et tricot. Comble d’humiliation, ils avaient invité les voisins d’en haut, des Italiens, pour être sûrs que le bruit ne les incommoderait pas …
Au cours du souper, les Italiens nous demandent si le Canada a un hymne national. D’un bond, tout le monde se lève et entonne, en parties, le Ô Canada. Le plafond a levé. Cet air-là, du moins, le nouveau résident milanais le connaissait …
À côté de ces connaissances plus ou moins éphémères, j’ai fréquenté au cours de ma carrière d’innombrables collègues que je prenais plaisir à retrouver d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un théâtre à l’autre. Mais je me suis fait également de vrais amis. Je parle de ceux à qui l’on raconte tout, à qui l’on peut tout dire sans crainte d’offenser, de ceux avec qui, dans d’autres professions, on ne se contenterait pas de déjeuner le midi mais qu’on inviterait à dîner le soir, à la maison. Ces vrais amis, comme André Turp, Jos Rouleau et quelques autres, je vous les présente.
Pas de commentaire