John Ruskin est un auteur et un réformateur anglais qui a eu une grande influence sur le Mahatma. Au début du siècle, alors que Gandhi résidait à Johannesburg au Transvaal, son ami Henry S. L. Polak lui prêta un petit livre intitulé « Unto this last » (Jusqu’au dernier) de ce Monsieur Ruskin.
Gandhi se mit à lire le volume dès le départ du train qui l’amenait de Johannesburg à Durban et il en poursuivit la lecture toute la nuit. Ruskin dans cet ouvrage prêche la dignité du travail manuel, recommande de vivre simplement et insiste sur les complications débilitantes du système économique moderne.
On y lit que :
« La richesse est un pouvoir comme l’électricité; elle agit par ses inégalités ou ses interruptions. La puissance de la « guinée » dans votre poche dépend complètement de l’absence de « guinées » dans la poche de votre voisin. S’il ne désirerait pas votre « guinée », elle ne servirait de rien. » En conséquence, ce que l’on désire réellement sous le nom de richesse, c’est essentiellement le pouvoir sur les autres.
Il recommandait à l’homme de chercher non pas une richesse plus grande, mais des plaisirs plus simples.
Il n’en fallait pas plus pour séduire Gandhi.
Ce fut un coup de foudre.
Sous l’influence de ce texte, Gandhi décida sur-le-champ de changer sa vie. Il fit l’acquisition d’une ferme à Phœnix, il s’y installa avec sa famille et quelques associés, et le groupe entreprit de vivre en harmonie avec les principes qu’il venait de découvrir.
À la lumière des enseignements de Ruskin, Gandhi introduisit autant de simplicité que possible dans sa maison d’avocat. Son goût pour le travail manuel allait croissant et il entraînait son entourage à suivre sa discipline.
Son ami Polak l’aidait à faire tourner la roue du moulin à farine et même les enfants et l’épouse de Gandhi y prêtaient la main à l’occasion.
Un domestique veillait à l’entretien de la propriété mais il vivait dans la maison comme un membre de la famille. Chacun l’aidait dans sa tâche et Gandhi s’occupait lui-même du nettoyage des cabinets au lieu de demander au domestique de le faire.
Ce livre révéla à Gandhi ses propres convictions. Il en dégagea plus particulièrement les trois enseignements suivants:
- le meilleur de l’individu se retrouve dans le meilleur de la collectivité,
- le travail d’un avocat ne vaut ni plus ni moins que celui du barbier,
- une vie de labeur est la seule qui vaille la peine d’être vécue.
Au cours de son premier séjour dans les prisons britanniques d’Afrique de Sud, Gandhi commença à traduire « Unto this last » en gouyarati sous le titre de « Sarvodaya » qui signifie en français : lever, ascension de tous. Il regrettait que sa peine de prison soit trop courte pour lui permettre de terminer son travail.
Par un étrange concours de circonstances, quelques années plus tard, cette œuvre de John Ruskin, un anglais de grande renommée, dont l’œuvre circulait librement partout dans le monde, fut interdite par la police de l’Inde britannique.
L’attrait pour le livre censuré fut si grand que tous ceux qui l’achetaient payaient beaucoup plus que le prix de quatre « annas » demandé par Gandhi; les billets de cinq et dix roupies sortaient de partout, certains vidant simplement leurs poches de tout l’argent liquide qu’elles contenaient pour en faire l’acquisition. Gandhi se souvient d’un client qui lui a remis 50 roupies.
Le meilleur argument de vente était que ceux et celles qui l’achetaient étaient passibles d’arrestation et de prison pour achat de littérature interdite. Pour les supporters du Mahatma, être condamné à la prison c’était comme pour un canadien être reçu de l’Ordre du Canada ou pour un français de recevoir la Légion d’honneur.
Malheureusement, compte tenu du nombre et de la qualité des contrevenants, le gouvernement fit marche arrière et décida que la façon dont les ouvrages avaient été écoulés ne constituait pas une vente réelle. À la grande déception de tous ceux et celles qui souhaitaient être arrêtés, aucune accusation ne fut portée contre qui que soit.
Le ridicule ne tuait pas non plus en ce temps là…
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