Le fameux gardien de but


GEORGES VÉZINA est né à Chicoutimi, dans le Royaume du Saguenay. Comme presque tous les jeunes au Canada, il passa les moments libres de sa jeunesse à pratiquer les sports. Au cours des longs hivers d’il y a cinquante ans, sa préférence allait naturellement au hockey.

A 15 ans, il était devenu excellent gardien de buts. Cependant, fait à noter, comme bien des jeunes du temps, il ne chaussait pas les patins. Ce n’est qu’une couple d’années avant de signer pour le CANADIEN qu’il consentit à des lames sous ses chaussures. Il ne s’intéressa d’ailleurs jamais beaucoup au patinage et on peut dire que dans toute sa carrière, il fit parler de lui dans ses arrêts plus avec son bâton qu’avec ses patins et même ses jambières.

On était en 1910. Le CANADIEN existait depuis peu de temps. Tout en jouant dans l’Association Nationale de Hockey, dont nous allons, plus loin, rappeler en détails les débuts, le CANADIEN allait souvent livrer, ici et là, des joutes hors concours. Une de ces joutes avait lieu à Chicoutimi, le 17 février 1910 pour être plus précis, Joseph Cattarinich, le regretté sportsman que tout le monde a connu, était un des dirigeants du CANADIEN. Il jouait même pour ce club comme gardien de buts !

Cattarinich était, dans le temps, un grand joueur de crosse et c’était la coutume pour les experts de ce sport de continuer leurs activités, l’hiver, en jouant au hockey. On se rendra d’ailleurs compte de ce fait en prenant connaissance des premiers alignements du club que nous publions en page 189.

Donc Cattarinich était avec le CANADIEN comme dirigeant, de concert avec Jack Laviolette, le véritable fondateur du club. A Chicoutimi, Cattarinich se rendit rapidement compte de l’habileté consommée de Vézina dans les filets et on commença immédiatement les démarches pour le faire venir à Montréal. On demanda même son frère Pierre et il n’y a pas de doute qu’un deuxième Vézina se serait aligné pour le CANADIEN, s’il l’avait voulu.

En effet, dès les premières pratiques, en décembre 1910, Pierre impressionna d’abord plus que son frère et on lui offrit un contrat. Il refusa, cependant, à cause de ses affaires personnelles et il retourna à Chicoutimi pendant que Georges restait ici, pour commencer à s’aligner avec le CANADIEN, dans la première partie régulière, le 31 décembre 1910. Il succédait à Teddy Groulx qui avait lui-même pris la place de Cattarinich, la saison précédente, lorsque Jos fut désigné, ni plus ni moins, comme dirigeant et administrateur du club.

Georges Vézina devait rester avec le CANADIEN et briller dans 327 parties régulières, dans les 15 saisons suivantes. Dans ces parties, il fut déjoué1,101 fois pour une moyenne de 3.37 par partie. Si l’on ajoute les joutes de détails de la Ligue ainsi que les séries de la coupe Stanley, on en arrive à 358 parties pour un total de 1,166 buts contre lui et pour la moyenne générale de 3.28. Pour ceux qui seraient portés à croire que cette moyenne est élevée, faisons remarquer que la carrière de Vézina s’est déroulée dans un temps où les buts étaient fort nombreux, plus nombreux qu’aujourd’hui comme on s’en rendra compte en consultant les statistiques des compteurs de l’époque, que nous publions en page 47. Ainsi, mentionnons tout de suite « Newsy » Lalonde qui, à sa première saison, avec le CANADIEN et le RENFREW, enregistra 38 buts en 11 parties ! D’ailleurs, la moyenne citée de Vézina a été la meilleure chez tous les gardiens de buts de son temps.

Vers la fin de sa carrière, une saison, Georges Vézina fut désigné non seulement comme gardien de l’équipe d’étoiles de l’année mais de tous les temps et cela par une vaste majorité. Le fait est qu’il recueillit presque tous les votes.

Pendant la carrière de Vézina, le CANADIEN remporta deux fois le championnat de l’Association Nationale de Hockey, trois fois le championnat de la Ligue Nationale, et deux fois le championnat mondial ou la coupe Stanley. Vézina était aussi dans les filets, en 1919, lorsque la finale de la coupe Stanley fut interrompue par la grippe espagnole et par la mort de Joe Hall du CANADIEN.

D’autre part, mettons en vedette le fait qu’en plus d’avoir été honoré par un trophée qui porte son nom, Vézina a été un des premiers à être élu au Temple de la Renommée du hockey. Ce grand honneur était richement mérité.

Georges Vézina Joua pour les CANADIENS jusqu’au 28 novembre 1925, alors que le Pittsburg était le visiteur, à l’Arena Mont-Royal. Oui à l’Arena Mont-Royal et non au Forum, comme on l’a très souvent écrit et raconté. Mais sur le sujet, n’allez pas croire, comme bien d’autres, que Vézina n’a jamais évolué sur la glace du Forum. D’abord, il était avec le CANADIEN quand notre club, et non le MAROON, inaugura le Forum, le 29 novembre 1924, pour gagner par 7 à 1 contre le club visiteur, le TORONTO. Ensuite, il joua dans toutes les parties du CANADIEN, en 1924-25, alors que le MAROON était le receveur, au Forum.

Revenons maintenant au soir du 28 novembre 1925. Vézina, bien malade et souffrant d’une forte fièvre, ne prit pas moins sa place dans les filets où il demeura toute la première période sans être déjoué. Lorsqu’il quitta la glace, après 20 minutes, il ne devait plus retourner de sa vie entre les poteaux qu’il connaissait si bien. Le 3 décembre, alors qu’on constata une attaque de tuberculose, il fut transporté chez lui, à Chicoutimi, où il s’éteignit doucement, au mois de mars 1926. Il était âgé de 39 ans et 2 mois, étant né en janvier 1887.

Mariés à 20 ans, les Vézina avaient eu plusieurs enfants dont une paire de jumeaux. Parmi ces enfants, se trouvait Marcel « Stanley », ainsi nommé parce qu’il était né le soir de la conquête de la coupe Stanley, en 1916. Stanley Vézina vit encore à Jonquière, tout près de Chicoutimi. Il est ingénieur pour le Canadien National. Stanley a un frère, Jean-Jules, qui est barbier à Chicoutimi. Les deux sont les seuls enfants survivants de Georges et Madame Vézina, remariée à Omer Larouche de Kénogami. Ludger Vézina, un des frères de Georges, est décédé en 1950. Nous avons rencontré tous ces Vézina, lors d’une visite dans le royaume du Saguenay, alors que nous avons confirmé tous les renseignements officiels que nous avions et que nous vous avons donnés.

Certes, nous avons connu Vézina. Nous l’avons vu jouer dans bien des parties, vers la fin de sa carrière, alors qu’il brillait encore comme à ses débuts. Ainsi, nous l’avons vu dans ce qu’on dit avoir été la meilleure partie de sa carrière, soit le 9 mars 1923, alors qu’avec le CANADIEN, il était opposé à l’OTTAWA, dans la joute finale du championnat de la Ligue Nationale. Vézina ne fut alors déjoué qu’une seule fois en 79 lancers! .

Cependant, nous laisserons à deux autorités le soin de faire son éloge. La première est Clem Beauchamp d’Ottawa qui a vu le hockey pendant 30 ans. Il a dit, entre autres choses:

« Vézina possédait la plupart des qualités qui font un joueur idéal, mais sa plus grande perfection était celle du sang-froid sous l’attaque. Jamais, je n’ai vu encore un autre gardien tenir le coup aussi longtemps que Vézina sous un barrage continu de rondelles volantes, sans faiblir. Vézina fut surnommé « Concombre » à cause de son sang-froid alors qu’il était presque comme une statue dans son immobilité. Il pouvait, cependant, se mouvoir comme une panthère, quand la nécessité l’exigeait. Un fameux gardien « receveur », rarement déjoué par les retours, il pouvait, avec une habileté consommée, éloigner la rondelle lancée vers lui, ou bien la passer à un coéquipier comme un avant. »

A ce propos, combien de fois n’avons-nous pas vu Vézina finir par se débarrasser de la rondelle en la faisant dévier dans la foule, quand la pression devenait trop grande et qu’un moment de répit s’imposait. Oui, il maniait ce bâton avec une dextérité sans pareille.

Citons encore Beauchamp: « Un athlète splendide, un modèle pour tous les joueurs dans la position qu’il occupait avec une habileté sans pareille, il a été au hockey ce que fut au baseball Christy Mathewson, l’ancien inoubliable lanceur de New York, soit un grand actif pour le sport. Sa mémoire reste impérissable. Il demeurera comme les fameux grands d’autrefois qui ont contribué à placer le hockey sur les fondations sûres d’aujourd’hui. »

Et maintenant, citons Léo Dandurand dans toute la douleur qu’il ressentait au départ de Vézina malade, presque mourant, quelques jours après la retraite obligatoire de la glace de l’Aréna Mont-Royal.

« Je viens de quitter mon cher ami Vézina. Je suis navré. Il n’aurait pas dû venir à Montréal, cette année. Le R.P. Louis Lalande, S.]., qui l’a vu, a parlé de lui comme d’un moribond qui aurait eu le courage de se lever de son lit pour se présenter au devoir, lors de la partie d’ouverture, l’autre soir. Le Père recteur du Collège Sainte-Marie, comme beaucoup de nos amis, sait quel homme précieux le CANADIEN va perdre. Vézina n’a pas été seulement un joueur sans pareil dans les filets. Tous les spectateurs des parties, à Montréal comme à l’étranger, lui rendent le témoignage d’avoir toujours été un joueur alerte, à l’oeil vif et bien ouvert, sur qui on peut toujours compter. Certains ont des prouesses éclatantes, des jours heureux suivis d’éclipses. Vézina a compté ses prouesses avec ses parties; il a été le joueur sans éclipses, en possession de tous ces moyens, sans défaillances.

« Le hockey, jusqu’ici, n’a pas eu son égal. Le compagnon, l’ami, le gentilhomme chez Vézina, n’était pas inférieur au joueur. Il gardait bien ses buts. il gardait bien la parole donnée; il respectait celle des autres comme la nôtre, comme le prouve le contrat d’un dollar par année pour ses services !

« Il gardait la loyauté envers ses coéquipiers. Quel brave homme ! Généreux, affable et charitable. Il n’est pas un joueur, gérant, capitaine qui contredira ce que je dis. Jamais un reproche devant une faiblesse. Jamais d’accusation contre personne, même quand une faute avait coûté la victoire. Encore une fois, jamais le hockey n’a connu son égal ! A tous les amis du CANADIEN, il laisse un souvenir reconnaissant. Tous ceux qui l’ont connu regretteront cette fin douloureuse d’une carrière si admirable ».