Jean-Claude Manaranche
Je lancerai des ponts sur des fleuves de laine
Où dorment les oiseaux que lèveront tes pas ;
Je graverai ton nom sur des bois de misaine
A la proue de bateaux qui ne chavirent pas.
Je tisserai le lin, je manierai l’alêne
Pour lever la grand’voile et tendre ses gréements,
Et puis nous partirons vers ces îles lointaines
Où des villages bleus attendent les amants.
Nous y serons reçus en châle et robe noire
Par une vieille assise à l’ombre des moulins,
Qui ouvrira pour nous une chambre où l’armoire
Sent le bois d’olivier, le ciste et le cumin. Elle offrira ce vin dont le nez de résine
S’accorde au doux-amer du poulpe mariné ;
Des notes de pain chaud viendront de sa cuisine,
Lorsque, passant la porte, elle dira : « prenez ». Et quand enfin le soir sur les terrasses blanches
Le soleil rosira le Quartier Vénitien,
Nous laisserons entrer les parfums que les branches
Aiment confier au vent pour les mêler aux siens.
La nuit sera tombée, le pichet sera vide,
Je sentirai ton corps soudain s’abandonner :
Il n’en faudra pas plus pour me rendre intrépide
Et filer ton galion, bientôt arraisonné…
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