Claude et son meilleur ami Gerry vivent à quinze minutes l’un de l’autre et voyagent régulièrement ensemble vers le collège. Ils jouent avec les Rangers de la ligue interne de hockey du collège. Gerry est à l’avant et un des meilleurs joueurs, tandis que Claude garde les buts, comme substitut. Souventes fois, Claude se rend chez Gerry où madame Labelle lui prépare toujours une bonne collation et inversement Gerry est reçu chaudement par Antoinette. Gerry est fils unique et ses parents sont plus vieux que ceux de Claude. Ils étaient dans la quarantaine à sa naissance. Son père est aveugle depuis quelques années à cause de cataractes (la simple opération pour cataractes d’aujourd’hui n’existait pas). C’est un homme très sympathique et Claude apprécie être avec lui dans son petit vivoir où monsieur Labelle aime raviver le passé en fumant sa pipe.
Gerry est un gars dynamique, un peu «extroverti» et hyper actif. Il est partout, parle de tout et connaît beaucoup de choses. C’est un gars spécial, agréable, intelligent et très sensible. Un très bon ami.
Claude le fréquente depuis plus de cinq ans et aime bien la camaraderie sincère qui s’est développée entre eux. Après sa sortie du Mont-Saint-Louis, Claude le voit un peu moins car Gerry est encore au collège et l’année suivante il entre à l’Université McGill. Ils se rencontrent toutefois régulièrement et maintiennent leur belle amitié. Un jour, Gerry, tout excité, appelle Claude pour lui annoncer qu’il est en amour. Selon leur habitude, ils prennent rendez-vous au restaurant grec, coin Wellington et 5ième avenue et après avoir commandé chacun leur sundae au caramel traditionnel, Gerry raconte son idylle. Il a rencontré Hélène Rousseau. Ce fut un coup de foudre et depuis ce jour il ne cesse de la revoir. Ils sont tous les deux en amour et cela dure depuis deux mois. Claude connaît Hélène qui demeure sur le boulevard Lasalle, à proximité du 6401. C’est une très bonne fille, jolie, intelligente et étudiante à l’U de M. Issue d’une belle famille, son père est notaire et professeur à l’université. Sa mère a été élevée à Outremont. Claude est surpris et heureux de l’annonce de Gerry et le félicite sincèrement. Il sait que les deux tourtereaux s’aimeront tendrement et il envie Gerry d’avoir trouvé une telle fille.
Quelques semaines plus tard, Claude reçoit un appel téléphonique de Madame Rousseau qui demande à le rencontrer chez elle. Il est surpris et curieux de cette démarche. Madame Rousseau lui dit qu’elle a voulu lui parler parce qu’il est le meilleur ami de Gerry. Elle lui annonce que son mari et elle n’acceptent pas la relation de leur fille Hélène avec Gerry. Elle invoque plusieurs raisons dont celle qu’ils ne viennent pas d’un milieu similaire, que leur fille est trop jeune (elle a près de vingt ans) pour décider de s’engager définitivement et qu’elle devrait terminer ses études avant de parler de mariage. «Mariage?» Claude sursaute car il ne le savait pas. Il trouve bizarre que Gerry ne lui ait pas parlé de son projet de mariage. Au fur et à mesure de la conversation Claude estime que la vraie raison qui chicote Madame Rousseau est le statut social. L’humble famille de Gerry n’est pas assez digne car elle rêve de voir sa fille entrer dans une grande famille honorable. De toutes façons, Claude pense que ce n’est pas de ses affaires et se demande où Madame Rousseau veut en venir.
Elle y arrive. Elle veut qu’il intercède auprès de Gerry pour qu’il cesse ses fréquentations avec Hélène. Claude réagit sur le champ et lui dit que Gerry est un bon gars, qu’il aura un bel avenir et qu’elle se trompe. De toute façon, il ajoute qu’il ne peut sûrement pas intervenir dans cette affaire-là. Madame Rousseau revient à la charge et affirme qu’elle et son mari n’accepteront jamais ce mariage et qu’Hélène sera bannie et déshéritée (elle est fille unique) si elle s’engage dans ce mariage. Elle est vraiment traumatisée. Claude est secoué car pour lui la famille est ce qu’il y a de plus important. Il ne peut comprendre comment une mère peut parler ainsi, mais par contre, se dit que si elle est sérieuse et il la croit, l’avenir d’Hélène sera gâchée sans sa famille. Claude la quitte en lui disant qu’il parlera à Gerry, sans lui promettre quoi que ce soit. Son plan est simple. Il résumera à son ami sa conversation avec Madame Rousseau sans ajouter de commentaires.
Chez le grec, il aborde directement le cœur du sujet et résume le mieux possible les propos de madame Rousseau. Gerry réagit mal. Très mal. Il accuse Claude d’avoir accepté de la rencontrer. Il l’accuse de complicité avec elle pour lui enlever Hélène. Il l’avertit qu’il n’acceptera jamais sa proposition. Claude a beau lui dire qu’il ne propose rien mais a simplement voulu lui faire part de ce que Madame Rousseau lui a dit. Rien n’y fait. Le mal est fait. Gerry se lève de table en furie et lui dit qu’il ne veut plus jamais le revoir. Claude est bouleversé. Quelques jours plus tard, il essaye de rejoindre Gerry mais madame Labelle lui répond sèchement qu’il est absent. Il essaye à nouveau la semaine suivante, sans succès. Il appelle Hélène, elle ne répond pas. Il vient de comprendre qu’il a perdu son meilleur ami. Il a manqué de jugement.
Gerry mariera Hélène et, après ses études, vivra à Montréal quelques années avant d’aller travailler à Toronto avec elle. Il rencontrera Claude, lorsque celui-ci accède au conseil d’administration de la Jeune Chambre de Montréal. Gerry est alors membre du Young Men Section du Board of Trade de Montréal et est nommé délégué de cette association au conseil de la Jeune Chambre. Après son déménagement dans la ville reine, ce n’est qu’une quinzaine d’années plus tard, par hasard, lors d’un cocktail d’affaires qu’ils se rencontrent à nouveau. À chaque occasion Gerry sera affable avec son ancien ami, pas plus.
Un jour, Claude lira une phrase dans une publicité qui lui fera penser à Gerry: «Celui qui a perdu un ami, a perdu une part de lui». Il sait combien est vraie et douloureuse cette réflexion. Depuis, il agit toujours afin de préserver ses acquis et conserver ses amis.
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