CHAPITRE 1
Jeunesse d’Armand
Au Pays Basque, les maisons portent un nom et celle où mon mari, Armand Vignau, a grandi s’appelle Harguinania, parfois Harguinarenia tel que sur l’acte de vente. Il y grandit avec ses frères, Joseph, Victor et Jean ainsi qu’une petite sœur, Bernadette, décédée à l’âge de deux ans. La maison est située au quartier Laharanne à Orègue, qui se trouve à une soixantaine de kilomètres à l’est de Bayonne, en France. De l’autre côté de la route, il y avait jadis une autre maison appelée Harguindeguy ; tombée en ruines, elle a été remplacée par un atelier qui appartient à Jean, mécanicien à sa retraite. Très habile de ses mains, il exécutait de nombreux travaux demandés par ses clients, soit réparations de voitures, motos, bicylettes etc.
De gauche à droite, maison de Bertrand Jouanateguy, maison Harguinania datant d’avant 1818, où vécut Armand, le hangar et l’atelier de Jean, où était la maison Harguindeguy.
Harguinania, le berceau de notre famille Vignau, devient la propriété de Jeanne Ibarburu, ménagère de Bayonne, le 15 janvier 1818. Elle lui est vendue par le voisin, Bertrand Jouanatéguy.
Jeanne Ibarburu la revend le 21 juillet 1835 à Demoiselle Catherine Barnetche. Native d’Orègue, Catherine est représentée par sa nièce marchande, Jeanne Maïcabar. Jeanne Maïcabar est née le 6 février 1813, dans la maison d’Etchart, où ses parents étaient locataires ; elle est décédée à Harguinania le 28 septembre 1889. Son père, Jean Maïcabar (1786-1856) est maçon. La mère de Jeanne, Marie Barneix (Barnetche), sœur de Catherine, décède le 3 avril 1830. Jean habite Harguinania avec sa fille et sa belle-sœur Catherine jusqu’à sa mort, le 3 juin 1856 à 70 ans.
Jeanne Maïcabar épousera Pierre Sorçaburu, tisserand, né à Lapiste le 9 septembre 1813, domicilié à Arraute, maison Uhart, à Orègue, le 6 février 1839 ; il est le fils de Michel Jaureguyberry dit Sorçaburu, aussi tisserand, et d’Anne Belco de Lapiste. Pierre Sorçaburu meurt à Orègue le 2 octobre 1888.
La maison du tisserand était en général petite, ne comportant qu’une porte et une fenêtre. Elle n’était souvent composée que de deux pièces : la cuisine avec sa cheminée qui tenait lieu de pièce à vivre et
l’ouvroir qui était la partie réservée au tissage où trônait le métier (« l’otil »).
Cette partie était généralement en terre battue pour maintenir l’humidité nécessaire au fil. Sous les combles, la soupente servait généralement de chambre pour tous.
C’est un peu ce que j’ai connu à ma première visite d’Harguinania, à Orègue en 1957, à l’exception de quelques chambres à coucher à l’étage. Dans la cuisine dont le sol était couvert de pierres plates, il y avait un foyer qui servait à la cuisson des aliments et procurait un peu de chaleur aux autres pièces de la maison. La pièce appelée « ezkaratza », où était anciennement le métier à tisser, était en terre battue ; une partie de la maison servait d’abri aux bêtes. Harguinania est maintenant habitée par Xavier, fils de Victor, qui a rénové la partie d’origine pour y aménager avec sa conjointe et sa fille.
Étant donnée la dimension de la maison, je me suis demandé comment on pouvait y vivre à 9 et même 10 lorsqu’elle est devenue propriété de la famille Maïcabar /Sorçaburu et plus tard Vignau.
De 1835, date d’achat de la maison par Jeanne Maïcabar, puis 1839, date de son mariage avec Pierre Sorçaburu, jusqu’au décès de Catherine Barnetche en 1850, y compris les enfants, il y avait 9 personnes qui y cohabitaient : un autre enfant naquit en 1852 :
Catherine Barnetche décédée le 18 mars 1850, à environ 72 ans ;
Jeanne Maïcabar, décédée en 1889 ;
Jean, le père de Jeanne, y est décédé le 3 juin 1856, à 70 ans ;
Pierre Sorçaburu, suite à son mariage avec Jeanne en 1839 ;
puis leurs enfants :
Marianne (Marie) née en 1840, décédée en 1871;
Baptiste né en 1845, décédé en 1916 ;
Catherine (Mathilde) née le 9 mai 1847, décédée avant 1850 ;
Amélie née le 17 mars 1849 ; elle épousa Jean Bernard et ils furent domestique à Paris. Leur fille, Jeanne épousa Joseph Normand, le 8 février 1906 à l’église St-Ferdinand des Thermes, 27, rue d’Armaillé, Paris.
Marie née vers 1850 ;
Les héritiers Sorçaburu, Amélie, Marianne et Marie cédèrent leurs droits à leur frère, Baptiste, le 8 juillet 1890, moyennant la somme de 300 francs chacun. Acte passé devant notaire à St-Palais.
Baptiste épousa Étiennette Larrondo en 1882. Elle donna naissance à quatre enfants : Pierre, Joseph, Jeanne et Marianne.
Pierre et Joseph sont tous deux morts à la guerre 1914-1918 : Pierre, le 29 août 1914 en se portant bravement à la défense de la Ferme de Lorival. Il se mérita la CROIX DE GUERRE AVEC ÉTOILE D’ARGENT.
Joseph, âgé de 25 ans, est décédé à Marseille et suite au regroupement des Sépultures militaires, il a été inhumé au cimetière de St-Pierre le 21 mai 1918, carré 27, Tranchée 6, Piquet 4. Numéro du cercueil 5859. (sa sœur Marianne en a été avertie par le Conservateur du Cimetière).
Jeanne décède à l’âge de 14 ans.
Marianne s’unit avec Pierre Vignau, fils de Martin dit Victor et de Jeanne Tissier de Masparraute. Cinq enfants sont nés de cette union dont mon mari, Armand.
Suite au décès de sa sœur et de ses frères, Marianne devint maîtresse d’Harguinania.
Dans ces années-là, on consommait les légumes de son potager, tels : oignons, carottes, chous, navets, maïs pour les animaux etc. La viande provenait des animaux que l’on élevait: porcs qui servaient à faire le boudin et le jambon qu’il fallait saler pour la conservation; le canard et l’oie conservés dans leur graisse ainsi que les poules, poulet et lapins; les poissons et les produits de la chasse. Maintenant, on y récolte des figues et des kiwis.
Je laisse maintenant Victor, le frère d’Armand, nous confier une partie de ses souvenirs d’enfance :
Le papa Baptiste [le grand-père d’Armand] vendait des coupons de tissus, draps, tabliers etc. aux particuliers; le gros était vendu à des juifs expulsés d’Espagne qui résidaient à La Bastide-Clairance, village voisin. Devant la création des usines, cet artisanat n’avait pas d’avenir d’où l’idée de Marianne [la mère d’Armand] de lancer une épicerie-mercerie-bonneterie. Jean-Baptiste vendait les produits de la maison en faisant le porte-à-porte avec un de ses fils. Les articles les plus demandés se trouvaient dans un panier qu’il portait sur sa tête; il lui arrivait aussi de donner un coup de main dans les fermes.
À son tour, maman faisait la tournée à dos d’âne avec deux grands paniers « xixtroak », et un peu plus d’assortiments, toujours le porte-à-porte. Bien souvent ces articles qu’elle vendait étaient payés par les œufs de la ferme, ensuite ces dizaines de douzaines d’œufs étaient revendues au marché d’Hasparren à des grossistes.
Armand était le fils de Pierre Vignau, né à Masparraute le 24 octobre 1892 et décédé à Orègue le 19 mars 1965 et de Marianne Sorçaburu, née à Orègue «Oragarre», maison Harguinania, le 8 janvier 1891 et décédée le 5 décembre 1968. Marianne a été la première élève d’Orègue à obtenir le Certificat de Scolarité.
Premier-né d’une famille de cinq enfants, il est né à Bayonne, quartier St-Léon, Villa St-Maurice, le 29 mars 1924.
Marianne avait des problèmes avec une hanche. Enceinte, son médecin lui conseilla de se rendre à Bayonne pour y subir une césarienne. Mais une nuit où elle se leva, le bébé vint au monde par voie naturelle. Surpris par cet heureux évènement, les médecins décidèrent de laisser une trace en nommant à l’État Civil le fils de Marianne avec leurs prénoms : Armand & Maurice. Mais il a été baptisé par l’abbé Mathieu du Grand séminaire de Bayonne sous le prénom Arnaud et il a toujours été appelé Arnaud par ses proches.
Le deuxième enfant de la famille, Joseph, naquit en 1926, puis vint Victor, en 1928, Jean, en 1931 et Bernadette en 1934 qui ne vécut que 2 ans et mourut des suites d’une rougeole interne.
Monsieur le curé Bercaits (curé de la paroisse) la tenant dans ses bras, dit : telle qu’elle est là, elle est partie !
Les enfants parlaient le basque à la maison et apprenaient le français à l’école ; dans le même temps il était interdit de parler le basque à l’école sous peine de punition. Les enfants Vignau avaient plus de facilité à apprendre le français, leur mère ayant un commerce. Les « voyageurs de commerce » qui venaient de Bayonne, Dax, Pau ne parlant évidemment que le français. Les enfants restaient bouche bée à les écouter car en même temps ils véhiculaient les nouvelles de « l’extérieur ».
À Orègue, il y avait alors deux écoles, une pour les filles dans le quartier Laharanne, en bas, où habitaient les Vignau, et l’autre pour les garçons en haut, c’est-à-dire en haut de la colline dans le quartier Celay (on disait les garçons vont à l’école en haut et les filles en bas). Armand alla à l’école de Laharanne jusqu’à 7 ans et fut ensuite inscrit au quartier Celay « Celaya » au village comme tous les garçons. Armand a été le premier garçon à être avec les filles dans la même école, aussi était-il chouchouté.
L’école est maintenant fermée et Anne-Marie Vignau, fille de Victor, habite l’étage.
Quand Armand avait 11 ou 12 ans, donc juste avant la deuxième guerre mondiale, il allait au catéchisme prêché par le curé de la paroisse. Ce dernier aimait entretenir les jeunes de l’histoire typique des basques, de leur langue et de leurs coutumes. Un jour, il leur expliqua que grâce au nom que porte la maison des habitants, on pouvait dresser une topographie du village tel qu’il était lors de sa fondation au XVIIe siècle. Armand, curieux, lui demanda s’il savait pourquoi la maison de ferme où était né son père s’appelait « Ospitalia ». Le curé, excellent conteur, leur raconta la grande et fascinante aventure des milliers de pèlerins qui, jadis, passaient ici en Basse-Navarre pour se rendre à pied à Saint-Jacques-de-Compostelle, tout au bout de l’Espagne. En cours de route, a-t-il ajouté, les éclopés étaient soignés dans des hôpitaux et des refuges avant d’entreprendre la rude traversée des Pyrénées.
L’énigme était résolue. Mais quand le curé a dit qu’on voyait encore à l’occasion passer de pieux pèlerins, sac au dos, suivre ces anciens chemins en direction de Compostelle, Armand s’était mis à rêver : « Un jour, quand j’aurai assez de temps et d’argent, je le ferai ».
Il réalisa son rêve en 1987, à partir du Puy, alors qu’il avait 63 ans, et reprit le chemin de St-Jacques une deuxième fois, à partir de Paris, en 1999, à 75 ans.
À l’école « en haut », l’instituteur, Monsieur Guicharnaud, était un enseignant remarquable, avec beaucoup d’autorité; il avait à gérer 50 à 60 élèves.
Il habitait avec sa mère au-dessus de la salle de classe. Les Vignau n’étaient jamais en retard, plutôt avant l’heure. De temps en temps, de la fenêtre de sa cuisine, il nous demandait de lui monter un broc d’eau, la pompe qui alimentait le bourg se trouvant à 80 mètres de là. Le boulanger « pettiri » s’en servait également pour faire son pain.
A cette époque, il y avait une benoîte « Andere serora » vivant au-dessus du porche de l’église, on lui montait également de l’eau. Pour nous remercier elle nous donnait des chutes d’hosties, car c’est elle qui les confectionnait. Il y avait Cécile dit « Xexila », suivante du curé Berçaits, femme très gentille, affairée, bonne cuisinière et pour cause, les curés en général aimant la bonne cuisine.
Avec l’aisance qu’avait Armand pour apprendre, il était le premier en classe avec de très bonnes notes, de ce fait il était jalousé. Il a obtenu le “Certificat d’Études” à douze ans. Il faut souligner qu’il a été le meilleur élève de sa région et ce résultat lui a permis d’avoir un prix de 100 Fr. Ces années d’étude lui ont donné la curiosité envers les langues et les religions.
Tout en allant à l’école, Armand s’occupait des tâches de la ferme! À 12 ans, il était capable de traire les vaches et de travailler avec les bœufs. Étant l’aîné de la famille, il a dû se consacrer aux travaux de la ferme en travaillant leurs petites terres qui étaient surtout des terrains en pente. Malgré le travail à la ferme, les liens avec l’école n’avaient pas été complètement coupés : le maître faisait parvenir à Armand des livres à lire. Le livre de Francis de Croisset «Féerie cinghalaise », lu à cette époque, lui revient encore à la mémoire.
Les jeux à la récréation consistaient à jouer aux billes et à la pelote basque. Armand était ingénieux, adroit ; il avait fabriqué une pelote basque, ce qui lui avait valu une sacrée remontrance du père car il l’avait découpée dans la peau de bouc qui servait de couverture pour le joug des vaches. Pour le père, c’était horrible !
Sur le chemin de l’école il y avait trois itinéraires, le long de la départementale sur 2 km.
Par temps de pluies soutenues, il y avait beaucoup d’eau dans les rigoles, ce qui lui avait donné l’idée de fabriquer des petits moulins avec des pales de bois de cagettes, un axe, deux branches fourchues ; l’eau actionnait l’ensemble. Au retour de l’école, le moulin ne fonctionnait plus, le niveau de l’eau avait baissé.
Le midi, on mangeait chez tante Ibarrart à Idiaya, Orègue; elle était d’une santé fragile, son mari Raphaël, menuisier, avait une scierie et débitait les grumes, il était plus intellectuel que travailleur manuel. Avant le repas, il fallait réciter la prière; en face il y avait les figures du Sacré- Cœur, la Sainte Vierge, Saint-Joseph etc. Le menu invariable se composait d’une bonne soupe aux légumes, œufs jambon ou ventrêche, toujours mal cuits ! La cuisson se faisait à la cheminée avec les croûtes des bois de la scierie qui suintaient la sève !
Une fois par an, les cousins de Saint-Jean-de-Luz venaient, on avait droit à un potage au vermicelle cheveux d’ange. Ce jour-là, on mangeait vite pour faire place aux invités.
Après le certificat d’études, Armand travailla la terre, fit du bois, coupa les tuyas qui servait de litière aux vaches. Il allait également l’après midi à la maison Gaatia à Amorots ; il percevait 5 francs pour l’après midi, tout ceci jusqu’au jour où le tonton (oncle) Christy de Bordeaux vint pour l’embaucher chez lui.
Auparavant, Monsieur Guicharnaud était venu dire aux parents qu’Armand devait continuer les études, compte tenu de sa facilité à apprendre, mais les parents, surtout papa, comptaient sur lui pour la succession à Harguinania. On peut se demander, qu’est-ce qu’il aurait entrepris s’il était resté à Orègue, vu son dynamisme.
La propriété
Une partie des terres avait été achetée à une tante de papa, Marie, Marianne Vignau, partie en Argentine avec son mari, Jean-Baptiste Mendiry. La propriété était de 5 Ha et quelques arpents dont 3 Ha cultivables, le reste des bois et tuyas : aujourd’hui, Bordaberria. Le cheptel était de 2 paires de vaches plus une génisse et un cheval. Papa produisait du maïs, du blé, du rave ou navet pour le bétail ainsi que du foin et regain. Il avait planté de 300 à 400 pieds de vigne pour avoir le vin à la maison.
Papa nous a appris à travailler la terre, le bois et soigner les bêtes; tous les travaux agricoles étaient bien faits. Il était un excellent chasseur de lièvre, renard et sanglier. Quand il lui arrivait de capturer un renard vivant dans le terrier, il l’expédiait à Pau pour des Anglais qui pratiquaient la chasse à courre.
Le bourg d’Orègue
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