Les traductions
Chose quasiment impensable de nos jours, j’ai chanté Le Barbier de Séville en italien, en anglais et en français, l Pagliacci dans les trois langues aussi, La Bohème et Les Noces de Figaro en italien et en anglais, Tosca et Madama Butterfly en italien et en français, etc.
Pourtant, les traductions des livrets d’opéra m’ont toujours agacé. La prosodie y laisse immanquablement à désirer: les accents toniques se retrouvent à la mauvaise place et les valeurs de notes changent parce que le nombre de syllabes n’est pas le même que dans la version originale. Pire encore, les notes aiguës sont souvent affligées en français de voyelles fermées, des «i» ou des «u» par exemple. Les traducteurs ignorent ce que n’importe quel bon compositeur sait: qu’il faut favoriser l’aigu, déjà difficile, avec des voyelles chantantes. En un mot, les traductions sont détestables à chanter parce que les mots s’ajustent mal à la musique. On objectera peut-être que, traduction ou pas, on ne comprend pas le texte à l’opéra. A cela je réponds qu’une telle défaillance est inexcusable. Les chanteurs doivent s’arranger pour être compris.
J’étais bien conscient de toutes ces difficultés le jour où Jean-Jacques Etchevery, directeur du Grand Théâtre de Tours, m’a appelé pour me demander de chanter Scarpia en français. Je refuse. Il insiste. Comme c’est un ami, j’accepte à la condition de traduire mon rôle moi-même! «J’adapterai mes fins de phrase de manière à ce que mes collègues ne soient pas trop dépaysés », lui dis-je. Il est d’accord.
En me présentant aux répétitions musicales, je préviens tout le monde que j’ai modifié la traduction qui figure dans la partition. Eh bien, beaucoup m’ont envié parce que mon texte était plus fidèle à la musique que le leur, tout en étant plus facile à chanter!
La même chose s’est produite à Nice dans le Butterfly en français du cher monsieur Aimé. Sauf que le collègue baryton s’étant défilé à moins de 24 heures de la première, j’ai traduit le rôle du Comte pratiquement au fur et à mesure que je chantais. De la pure folie.
À la sortie d’une des représentations de ce Butterfly, une bonne dame m’a accosté: «Monsieur, vous avez changé les paroles tout à l’heure. Vous n’auriez pas dû, ce n’est pas bien! » Les Français connaissaient les opéras par cœur, on ne pouvait pas leur refiler la moindre variante. Et la voilà qui me chante une phrase dont j’avais modifié le texte. Sans m’émouvoir, je lui chante ma version de la même phrase. Là-dessus elle se retourne vers le petit attroupement qui s’est formé autour de nous: «Il a raison, le petit, ce qu’il a fait c’est mieux.» Je n’avais pas touché aux valeurs de notes et je disais la même chose.
Les opéras traduits sont heureusement de moins en moins à la mode. Dans bien des maisons, ils ont été remplacés par les surtitres, qui sont un bien moindre mal.
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