Comme on l’a vu dans un article précédent, Gandhi n’était du genre à réclamer un « statut particulier » ou à exiger d’être reconnu comme faisant parti d’une « société distincte ». À ce moment là, il était fier d’être citoyen britannique, il s’habillait à l’anglaise et faisait tout ce qu’il pouvait pour non seulement avoir l’air, mais être un parfait gentleman.
Ayant réglé une affaire à Durban, il prit le train en direction de Prétoria. Son client lui avait réservé une place en première classe. Arrivé à Maritzburg, capitale du Natal, vers vingt et une heures, un employé des chemins de fer lui demanda s’il désirait une couverture pour la nuit. Gandhi refusa et un voyageur qui suivait l’agent de la compagnie le toisa de haut en bas. L’air bouleversé il quitta le wagon et revint avec un autre employé qui demanda à Gandhi : « Suivez-moi; votre place est dans le fourgon. » Gandhi protesta en disant que non seulement il avait un billet en première classe, mais qu’à Durban, on l’avait laissé monter dans ce compartiment et que rien ni personne ne le feront changer de place.
L’employé insista et le menaça de faire intervenir la police pour l’expulser par la force. Gandhi persista dans son refus et après avoir fait déposer ses bagages sur le quai, un agent de police le força à descendre du train.
Maritzburg est une ville située en haute altitude et l’hiver est terriblement froid. Gandhi grelottait. Son pardessus était resté avec ses bagages et il n’osait pas le réclamer de peur d’être une autre fois insulté et humilié.
Dans cette obscure salle d’attente, celui qui allait devenir le Mahatma Gandhi est plutôt perplexe. Il se demande où est son devoir. Doit-il lutter pour défendre ses droits? Ignorer les affronts retourner en Inde une fois le procès terminé? Quitter l’Afrique du Sud précipitamment sans s’acquitter de ses obligations?
Finalement, il en vint à la conclusion que ne rien faire serait une lâcheté. Le comportement qu’on lui infligeait n’était que le symptôme d’un mal plus profond; le préjugé racial était un mal qu’il devait combattre, quitte à devoir subir des injustices en cours de route.
Il se rendit donc à Prétoria par le prochain train. Le lendemain, il adressa un télégramme au Directeur général de la Compagnie de chemins de fer et informa son client, celui qui avait fait la réservation des billets, de l’incident. Ce dernier rencontra le Directeur général qui donna aussitôt raison à l’attitude de ses employés mais fit le nécessaire pour que le reste du voyage se déroule sans incidents. Le train du soir arriva sur lequel une couchette avait été réservée pour Gandhi et il se rendit finalement à Charlestown, prochaine étape de son voyage.
De là, il fallait prendre la diligence pour se rendre à Johanesbourg. Encore une fois, Gandhi eut à subir des humiliations. L’agent dans un premier temps déclara que son billet ne valait rien. Devant les protestations véhémentes de Gandhi, le « chef » accepta de le laisser monter sur un siège à l’extérieur de la diligence. C’était un affront, mais il préféra ne rien dire pour ne pas envenimer la situation. Lorsque la diligence parvint à Pardekoph, le « chef » demanda à Gandhi de s’installer sur le marchepied sous prétexte qu’il voulait fumer et qu’il devait prendre sa place à l’extérieur. Tremblant de rage, Gandhi refusa et le « chef » se mit à le ruer de coups. Devant l’insistance des voyageurs, il se calma et prit plutôt la place d’un domestique, non sans avoir menacer Gandhi de représailles à leur arrivée à Standerton.
Heureusement, un groupe d’indiens l’attendait à la gare. Il leur raconta sa mésaventure et se mit sur-le-champ à rédiger une plainte à l’agent de la compagnie des Diligences. Le lendemain, on lui donna une place à l’intérieur avec les autres voyageurs et il parvint sain et sauf à destination.
Cette brimade a fait réaliser au futur Mahatma qu’il n’était pas un Anglais et qu’il ne le serait jamais. Ce voyageur au comportement raciste n’était sans doute pas représentatif de la façon de penser de l’ensemble du peuple anglais; mais toute sa vie, Gandhi se buttera sur des gens semblables, jusque dans les plus hautes sphères de l’administration britannique.
Churchill traitait publiquement Gandhi de fakir nu…
Le mauvais exemple venait donc de haut.
Pas de commentaire