La discrimination raciale


Très intégré à l’Inde britannique, Gandhi n’avait pas, avant son voyage en Afrique du Sud, réalisé jusqu’à quel point le racisme était un des éléments les plus dégradants et avilissants du colonialisme. L’incident du train et l’attitude soumise de ses compatriotes et coreligionnaires hindous lui ont ouvert les yeux.

En effet, à son arrivée à Johannesburg, Gandhi décida de descendre à l’hôtel. Il prit un fiacre et se fit conduire au Grand National Hôtel et demanda une chambre au gérant. Ce dernier le couva d’un regard dédaigneux et lui dit « Nous sommes au complet » et lui signifia son congé. Lorsqu’il raconta l’incident à son ami qui l’attendait, ce dernier se mit à rire de bon cœur en lui disant : « Comment avez-vous pu penser que l’on vous accueillerait à l’hôtel? – Et pourquoi pas s’écria Gandhi. – Quand vous serez ici depuis quelques jours, vous comprendrez. »

Il se mit à raconter à Gandhi les injustices dont souffraient les Indiens en Afrique du Sud et à l’enjoindre de quitter le pays car on ne pouvait rien faire pour changer cet état de chose.

Gandhi l’informa de son intention de prendre une place dans un compartiment de première classe sur le train en direction de Pretoria. Il parvint par la ruse à obtenir un billet mais le voyage ne fut pas de tout repos. Encore une fois, le chef de train voulait qu’il s’installe en troisième.

Gandhi refusa.

Heureusement, le gentleman anglais avec qui il devait partager son compartiment ordonna au chef de train de le laisser tranquille et de le laisser monter en première.

Les Indiens s’étaient implantés au Népal pour travailler à la culture de la canne à sucre. Les travailleurs étaient engagés pour une durée de cinq ans et à la fin de leur contrat, ils avaient droit de faire l’acquisition d’une terre et de s’établir au pays. Travailleurs acharnés et efficaces, ils prirent racines et ne tardèrent pas à devenir une communauté prospère.

Pour les blancs, cette concurrence commerciale devint inadmissible; dans un premier temps, un projet de loi fut déposé pour leur enlever le droit de vote et un autre pour leur imposer une taxe spéciale annuelle de 25£. Ces projets de loi furent retirés et remplacés par une proposition, présenté à Lord Elgin, alors vice-roi des Indes, qui voulait que :

  1. le travailleur sous contrat doive retourner en Inde à la fin de son contrat,
  2. le renouveler tous les deux ans ou
  3. payer la taxe chaque année. La proposition fut acceptée avec un amendement qui ramenait la taxe à 3£ par personne âgée de plus de seize ans dans le cas des hommes et des garçons ou âgées de plus treize ans si c’étaient des filles ou des femmes.

Cette mesure discriminatoire qui ne s’appliquait qu’à la communauté indienne ne fut abolie que vingt ans plus tard. La lutte qui regroupait tous les Indiens du Natal et d’Afrique du Sud a fini par triompher mais elle coûta la vie à plusieurs lors de fusillades sauvages et plus de dix mille autres durent subir la prison.

Il y a d’autres exemples de discrimination raciale qui s’appliquaient au Indiens d’Afrique du Sud. Par exemple, dans tout le Natal, sous peine d’être incarcéré, un Indien devait avoir sur lui un laissez-passer pour circuler sur la rue après 21 heures.
Dans le Zoulouland et au Transvaal, les Indiens n’avaient pas le droit de posséder leur terre et dans certaines villes du Cap, on interdisait aux Indiens le droit de circuler sur les trottoirs. Ailleurs, ils devaient se contenter de marcher loin des sentiers ou des trottoirs de peur d’être repoussés à coups de pieds. Presque partout en Afrique du Sud, les Indiens étaient considérés dans les livres constitutionnels comme des Asiatiques semi barbares.

La discrimination et le préjugé racial n’avaient pas cours seulement en Afrique du Sud; l’Inde elle-même vivait sous le joug des blancs. Un exemple parmi les pires : le général Dryer, celui-là même qui fit massacrer près de 400 Indiens et en blesser plus de 1,000 autres dans un enclos d’où personne ne pouvait s’échapper, fit publier « L’ordre de ramper ».

Une directrice d’école, Miss Sherwood, avait été attaquée peu après le massacre. Pour la venger, Dryer décréta que tout Indien passant sur la rue où l’agression avait eu lieu devait marcher à « quatre pattes ». Le décret incluait ceux qui habitaient sur la rue ou qui devaient absolument y circuler pour se rendre chez eux à longueur de journée. De plus, il fit installer un poteau à l’endroit où elle fut attaquée pour y fouetter publiquement ceux qui n’obéiraient pas à son « ordre de ramper ». Également, dans tous les quartiers de la ville d’Amritsar, les Indiens qui croisaient sur leur chemin un officier britannique devaient mettre pied à terre s’ils étaient montés sur un animal ou sur un véhicule et ils devaient lui adresser un salut ou un salam de la main; quant aux dames, si elles portaient une ombrelle ou un parasol elles devaient les baisser en signe de respect.

Gandhi fut plus ému de cet outrage
que du massacre lui-même.

Un nombre considérable d’Anglais rougirent de l’acte de Dryer; il s’en trouva malheureusement beaucoup trop d’autres pour le défendre. Il fut invité à remettre sa démission et à rentrer chez lui à Bristol en Angleterre.
Gandhi comprenait qu’à toutes fins pratiques, Les Anglais formaient une cinquième classe hiérarchie en Inde. Ils se considéraient comme des super-brahmanes. Les Britanniques vivaient en Inde mais n’en faisaient pas partie. Pour eux, il n’y avait que deux classes : celle des Anglais pour une et la classe des intouchables qui comprenait tous les Indiens pour l’autre. Ils agissaient comme les maîtres du pays et leur seule présence était une humiliation. L’impérialisme est le gouvernement d’un peuple par un autre peuple. Toutes les manifestations extérieures du gouvernement britannique rappelaient aux Indiens qu’ils étaient une race assujettie. Conscients de la blancheur de leur peau et de la supériorité de leur race, les Britanniques bafouaient les Indiens.

La discrimination n’était pas une tare exclusivement réservée aux Anglais. Les Indiens de religion hindoue méprisaient ceux de religion musulmane. Les Britanniques utilisèrent cette faiblesse de façon cynique et s’en servirent pour « diviser pour régner ». En 1904, sur une base religieuse, lord Cruzon, vice-roi des Indes fit diviser en deux parties la province du Bengale. Dès lors, l’amertume ne connut plus de bornes. Les deux communautés se déchirèrent sans modération et le Bengale répondit au partage par de multiples assassinats. Gandhi d’un côté prêchait pour la non-violence mais son adversaire Tilak fanatisait les musulmans jusqu’à la frénésie. Cette division dût finalement être abolie en 1911 par le roi George V mais le mal était fait et la discorde continua de diviser les deux communautés.

Ce fut le triste sort de l’Inde jusqu’à la fin.

Au moment de quitter le pays, les Anglais, friands de partition, charcutèrent le territoire de l’Inde en créant le Pakistan.

Cette décision criminelle entraîna une guerre de religion et encore aujourd’hui ces rivalités ruinent les deux peuples.