Pour les intouchables


Devant l’obstination des britanniques à vouloir modifier la loi électorale pour créer des collèges séparés pour les intouchables, Gandhi décida d’entreprendre un jeûne jusqu’à la mort pour forcer le gouvernement à revenir sur sa décision.

Cette politique allait directement à l’encontre de sa position sur le traitement des intouchables en ce qu’elle stigmatisait chacun de ces électeurs sur les listes, anéantissant ainsi des années de travail du Mahatma pour redonner à ces millions de gens le respect auquel ils ont droit. Toute sa vie, Gandhi a lutté contre cette plaie de l’intouchabilité, issue du système de Caste.

Le 11 mars 1932, de sa prison de Poona où il était incarcéré, le Mahatma Gandhi écrivit au Secrétaire d’État à Londres, Sir Samuel Hoare, « À cette chose-là, je résisterai jusqu’à la mort. »

Il informait ainsi le Secrétaire d’État qu’à ses yeux, « la séparation électorale n’est ni une pénitence ni un remède au problème des parias pour lesquels il a combattu souvent au péril de sa vie et qu’en conséquence, si le gouvernement de Sa Majesté persiste dans sa décision de créer ce nouveau collège électoral, il devra jeûner jusqu’à la mort. »

Le 13 avril, on répondit au détenu que rien n’était encore décidé mais peu après, la séparation des classes fut annoncée dans les médias. Alors, le 18 août 1932, Gandhi écrivit au Premier Ministre pour lui annoncer qu’il commencerait son jeûne le 20 septembre à midi.

Selon le Premier Ministre, Gandhi avait tort de s’opposer à cette loi qui donnait aux classes opprimées une proportion équitable de représentants à l’assemblée législative. Les parias pourront ainsi continuer à faire partie de la communauté hindoue et voteront sur un pied d’égalité avec les autres hindous… « Vous vous proposez de vous laisser mourir de faim pour que les intouchables aient leurs collèges électoraux unis à ceux des autres hindous et non pour maintenir l’unité des Hindous… En conséquence, votre décision est basée sur un malentendu et la loi sera maintenue. »

Gandhi lui répondit que pour lui, cette question est une question de pure religion qui n’a rien à voir avec les lois électorales. Si cette constitution entre en vigueur, elle mettra fin au merveilleux développement de l’œuvre des réformateurs hindous qui ont consacré les efforts de toute une vie à la cause des parias. Gandhi s’opposait aussi aux autres collèges électoraux divisés mais disait-il : « Leur cas ne justifie pas de sa part un sacrifice aussi fort que celui que les classes opprimées lui impose. » Cette lettre fut la dernière que le Mahatma adressa à Londres.

Le Premier Ministre ne fut pas le seul à désapprouver le geste de Gandhi. Les amis du Mahatma tant Indiens qu’Hindous considéraient l’intouchabilité comme un problème secondaire; l’indépendance du pays étant le problème central. Même Nehrou avait mal évalué la situation et le jeûne de Gandhi sauva l’Inde nationaliste de la désintégration.

Gandhi déclara : « Ce jeûne est dirigé contre un régime électoral à part pour les classes opprimées. Dès que cette menace sera supprimée, mon jeûne cessera. » Le 13 septembre, Gandhi annonça publiquement qu’il commencerait le 20 à jeûner jusqu’à la mort. Le jour même de cette annonce, l’Inde fut témoin d’événements totalement inédits. Tous les chefs politiques et religieux se sont ralliés à la position du Mahatma et une pétition fut adressée au gouvernement pour lui demander de remettre Gandhi en liberté. Un fort mouvement de sympathie se créa en vue de donner aux haryians (intouchables) accès aux temples hindous, aux puits, aux écoles, etc. Le gouvernement ouvrit les portes de la prison et autorisa les députations à avoir des consultations avec Bapu.

La nuit précédent le jeûne, il demanda, par lettre, la bénédiction de son grand ami, le Poète de l’Inde, Rabindranath Tagore. Ce dernier lui avait déjà adressé un télégramme qu’il reçut au moment où sa lettre partait. Tagore lui disait : « Il est digne de sacrifier une vie précieuse pour l’unité de l’Inde. » Le matin, à 11 heures 30, Gandhi prit un peu de jus de citron et de miel dans de l’eau chaude et commença son jeûne.

Le problème était extrêmement complexe et les dirigeants des différentes communautés étaient divisés. Il a fallu de longues et nombreuses discussions avant d’arriver à une solution qui fut acceptable pour Gandhi.

Sa santé était chancelante. Déjà, à son quatrième jour de jeûne, Gandhi était en danger de mort; sa pression sanguine était incontrôlable et la mort pouvait survenir à tout moment. Kastubaï, son épouse, fut transférée de sa prison de Sabarmati où elle était détenue à Yéravda pour assister son mari. Il se senti réconforté par la présence de sa compagne et il accepta qu’elle lui fasse un massage pour le soulager.

Le 24 septembre, on présenta une proposition à Gandhi qui lui parut acceptable. Le jour même, le Pacte de Yéravda fut rédigé et signé par tous sauf Gandhi. Le jour suivant, le dimanche, il fut ratifié par la conférence plénière des négociateurs de toutes les communautés mais le Mahatma refusa, bien qu’il fut à l’article de la mort, de mettre fin à son jeûne tant que le gouvernement de Sa Majesté n’aurait pas accepté de remplacer sa loi Macdonald par le Pacte de Yéravda.

Le gouvernement étudia le texte jusqu’à minuit le dimanche et quelques heures plus tard, on annonça simultanément à Londres et à Delhi que le Pacte proposé était accepté. Gandhi put enfin, au grand soulagement de tous, mettre fin à son jeûne.

À ceux qui tentaient de la réconforter il disait :
« Le jeûne n’est vraiment rien à comparer à ce que les parias ont subis pendant des siècles. »