Ce dialogue touche la gauche française, l’influence de gens comme Jean-Paul Sartre et la campagne électorale française de 2002.
Au 6 mai 2002
Mansour: Je suis très content d’apprendre par le dernier email que tu m’as envoyé qu’il y a du bon et du mauvais dans chaque être humain. Quelle découverte !! A ce que je sache je n’ai jamais prétendu que J.P. Sartre ou la soit-disante intelligentsia de gauche française détenait la pierre philosophale du monde. Je fais de mon mieux pour évaluer la contribution de chacun, sans aucun préjuge idéologique de gauche ou de droite. J’ai toujours reconnu la valeur universelle de la contribution d’un Albert Camus, alors qu’il avait déclaré, lors de son attribution du prix Nobel de la littérature à Stockholm, que s’il avait à choisir entre la justice et sa mère il choisirait sa mère, en parlant bien entendu des colons français installés en Algérie. Est-ce pour cela que je devrais le condamner d’avoir trahi tout ce qu’il avait dit et écrit auparavant. Non!! C’est là le grand différent, je crois, entre toi et moi pour le moment ? Je regrette de le dire, mais ce dialogue, aussi intéressant qu’il aurait pu être, s’est dégénéré rapidement et a pris la voie d’un dialogue idéologique entre les soi-disant gauches et droites. Et tous tes commentaires jusqu’à présent me semblent de plus en plus comme un procès de la gauche internationale et de tout le mal qu’elle a imposé à toute l’humanité depuis probablement le fameux Gavroche de Victor Hugo.
Claude: Sur le fond, il ne reste rien à ajouter sauf que je crois que Sartre a été le phare des intellectuels. Sur la question économique, le diagnostic des maux de la France n’est pas le mien. Il vient des magazines d’information français depuis 40 ans. Du temps de Servan-Schreiber, c’était l’Express. Ce fut ensuite Le Point, et aujourd’hui en plus de ces deux derniers, Le Nouvel Observateur et Marianne. À ce propos, je te suggère la lecture d’un ouvrage dont Kahn est l’auteur, paru chez Fayard en 98: TOUT ÉTAIT FAUX, avec comme sous-titre: «en guise d’adieu au siècle du mensonge». Sur la jaquette arrière, en résumé, sa thèse: » Tout était faux. Doit-on s’interdire d’en faire le constat? De dresser le catalogue de cette gigantesque tromperie? De se demander pourquoi,à partir d’un crime originel – le grand massacre de 1914-1918 et d’un mensonge fondateur, le communisme – le siècle qui se termine enroula son destin autour d’une telle succession d’escroqueries et de foutaises intellectuelles? ». Remarque aussi que pas une des références est américaine.
Mansour: Parlons de choses un peu plus sérieuses et plus scientifiques pour le moment. Tu attribues tous les maux qui affligent la France d’aujourd’hui à la gauche française qui a mené ce pays à la ruine depuis plus de 20 ans apparemment. Tu cites une étude qui classe les pays européens en fonction du bien-être de leurs citoyens. Je ne remets pas en question les résultats de cette classification, mais ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est comment se fait-il que seule la France a tellement souffert de ce fléau de la pensée gauchisante dans toute l’Europe. Est-ce que tous les autres pays d’Europe ont été gérés par la droite durant toute cette période ? Plus grave encore, je me demande si tu as une expertise quelconque en économie. Car si tu l’avais, tu aurais reconnu que les retards accumulés par l’économie française durant les 50 dernières années ne sont pas tellement dus aux secteurs économiques où le syndicat des ouvriers est tellement important. N’es-tu pas d’accord que les retards de la France d’aujourd’hui sont particulièrement dans le secteur agricole et notamment le commerce du détail, bastions éternels de la droite toute confondue, en France ? Est-ce la faute de la gauche française si la France d’aujourd’hui est toujours à l’âge de la pierre taillée dans ces deux domaines ? Est-ce la faute de Jean Paul Sartre si le petit commerçant français ou le pêcheur de la mer du nord ou le propriétaire agricole de l’Auvergne refusent de s’adapter aux conditions mondiales d’aujourd’hui, alors qu’ils ont tous voté constamment pour la droite en France depuis plus d’un siècle?
Claude: Pour en revenir à l’économie, je crois que les problèmes de la France sont dus au blocage provoqué par une succession de chantages auxquels des politiciens à la petite semaine n’ont pas eu le courage de résister. Les Français, toutes catégories sociales confondues, en sont venus à bénéficier de rentes de situation, plus ou moins importantes selon leur niveau social, et ils ne veulent pas entendre parler de réformes qui pourraient affecter le niveau ou même l’existence deces rentes. Je constate cela tous les jours dans les discours, les manifestations, les revendications de tous et de chacun. À cause de sa montée en puissance à partir des années soixante, je crois que tu ne peux nier que c’est la gauche qui a eu le plus d’influence sur l’évolution des politiques économiques de la France depuis lors, même lorsqu’elle n’exerçait pas le pouvoir. C’est soit parce qu’elle s’y opposait ou parce qu’elle ne voulait pas les faire que les réformes nécessaires n’ont pas été faites. Rien de bien sorcier là-dedans, et ça ne prend pas un doctorat en économie pour arriver à cette conclusion, car je n’ai qu’un diplôme d’ingénieur en sciences appliquées. La France étouffe sous le poids de rigidités structurelles qui dépassent, et de loin, les seuls domaines de l’agriculture et de la distribution. Elle se fait sans cesse dépasser. Nulle part ailleurs en Europe, la gauche n’a-t-elle été en position dominante aussi longtemps. Ni en Angleterre, ni en Espagne, ni en Allemagne, ni en Italie, ni au Portugal, etc… Ça, c’est une question de fait. Ce n’est même pas une question d’opinion. Il est donc tout à fait normal et justifié de la tenir responsable de la situation qu’ont engendré tantôt son inertie, tantôt son action.
Mansour: Ceci étant dit je ne minimise pas les conséquences négatives d’une gauche qui n’a rien trouvé de mieux que d’imposer la semaine de 35 heures pour soit-disant régler le problème du chômage en France. Il y a certainement des problèmes économiques structurels que la France doit reconnaître et essayer de résoudre, mais la grande majorité de ces problèmes sont justement la cause d’une France petite bourgeoise qui a toujours rejeté tout ce qui pouvait venir de la gauche française, qu’elle soit politique ou intellectuelle. Voila mon point de vue sur la mal de vie en France.
Claude: C’est drôle que tu blâmes ceux que tu appelles les bourgeois, mais qui étaient en réalité les investisseurs, les bâtisseurs de richesse, les développeurs du pays, les preneurs de risques, les créateurs d’emplois et non ceux qui ont proposé des idées qui ont nui et nuisent toujours à la France. Les gauchistes ont pelleté, depuis toujours et en quantité industrielle, sur le dos des Français des propositions non réalistes et par trop idéologiques comme les 35 heures. J’ai traité de cela dans mon dernier message et je ne veux pas répéter ici mes propos. Il faut vivre en France pour constater et comprendre la strangulation des Français par les politiques de leur pays. Et cela ne s’améliore pas. Ils sont surtaxés, les charges sociales sont exorbitantes et la qualité de vie est à la baisse.
Mansour: Bientôt tu accuseras J.P Sartre et les socialistes français de tous les problèmes d’insécurité que le peuple français ressent aujourd’hui. Cela me rappelle la propagande du parti républicain américain qui a rarement été en dehors de la Maison Blanche depuis les années 50 et qui continue à ce jour à accuser les démocrates d’avoir créé une situation sociale dominée par la violence et la drogue.
Claude: Il me semble que les gauchistes doivent être accusés des problèmes d’insécurité de ce pays. Je t’ai déjà parlé de la mentalité «il est interdit d’interdire» qui découle de 1968. Eh bien, ces soixante-huitards, qui se sont révoltés pour des slogans de cette nature, ont vieilli, ont accédé au pouvoir avec cette mentalité, ont élevé leurs enfants avec elle et ont, en conséquence, créé un secteur important de la population française qui pense ainsi. Tous on plein d’arguments pour ne rien faire. Moins d’heures de travail, retraite plus jeune, nul respect de l’autorité, sens de responsabilité amenuisé, incivisme, arrêt injustifié de travail, demandes irraisonnables des syndicats, dérèglement des transports, manifestations et grèves injustifiées, racisme de sourdine, en somme une ère de «me, myself and I» où les exemples pour les jeunes sont mauvais, non-prometteurs pour l’avenir et je dirais même dangereux. La gauche a augmenté, sans bon sens, la fonction publique, a diminué la magistrature et l’a pressurisé pour enlever l’autorité nécessaire aux policiers qui ne peuvent plus faire leur travail, les jeunes délinquants ne sont pas punis (car on ne veut les emprisonner ni les juger car ce ne sont que des «gamins»), et les truands tuent, volent et se baladent, etc… Ici, en Provence, les gens ont peur! Carrément peur! Et tous, sans exception, sauf quelques gauchistes évidemment, blâment directement la gauche et son manque de direction et de vision qui a abouti sur le climat dégoûtant de la criminalité d’aujourd’hui en France. La gauche durant le premier tour a eu le culot de dire que le problème de l’insécurité avait été concocté par Chirac et que la Presse l’avait amplifié dans ses rapports. Eh bien non! C’est réel et il faut placer le blâme où il doit se trouver.
Mansour: Je crois qu’il serait plus utile de discuter de la situation d’aujourd’hui, aussi bien en France qu’ailleurs, plutôt que de revivre les batailles du passé.
Claude: N’oublie pas que le passé est garant de l’avenir. Pour ma part, je suis toujours ouvert au débat, je souhaiterais cependant que celui-ci puisse se dérouler toujours sur un ton cordial.
Salutations amicales.
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