Ce dialogue commente la réaction suscitée par la position de l’administration Bush de vouloir aller en guerre en Irak sans provocation, la prolifération de l’arme nucléaire et le courage du soldat français et du G.I. américain.
Au 18 février 2003
Mansour: Ce qui m’intrigue aujourd’hui, ce n’est pas tellement la crise américano-iraquienne mais plutôt la crise entre les USA et la vieille Europe comme l’a décrite Rumsfeld, le fameux secrétaire de la défense des USA . J’exagère peut-être mais j’ai l’impression que nousrevivons l’histoire européenne du 19ième siècle. L’Europe continentale se trouve une fois de plus en conflit avec les ambitions de la Grande Bretagne. L’axe continental qui se forme actuellement autour de la France, l’Allemagne et la Russie me rappelle un peu le fameux blocus continental du temps de Napoléon. A la seule différence c’est qu’aujourd’hui c’est la France qui risque de se trouver face à un blocus anglo-américain même en Europe. Les positions prises déjà par l’Italie, l’Espagne et un grand nombre de petits pays pauvres de l’Europe de l’Est me paraissent comme un véritable blocus politico-économique contre la politique Gaullienne de Chirac. Déjà on parle dans les couloirs du congrès américain de représailles économiques contre la France et l’Allemagne. La fameuse alliance atlantique est sur le point de se dissoudre comme un morceau de sucre dans un bol d’eau.
Claude: La situation devient surprenante. Je ne crois pas qu’il y ait des conséquences à long terme pour les pays de l’axe continental, comme tu l’appelles, car ce sont eux qui ont raison dans ce débat. Ti-Bush veut aller en guerre, à tout prix, et ce n’est pas parce qu’il est le chef de la plus grande puissance au monde qu’il faut suivre. Le conseil de sécurité n’approuve pas la démarche et la très grande majorité des pays membres des Nations-Unies non plus. Celui qui souffrira le plus à long terme, quant à son image, c’est ti-Bush. Il devient persona non grata dans le monde et nuit considérablement à l’image des Américains. Sur le coup, ceux-ci se disent outrés que la France ne les appuie pas et se montre sans cœur en oubliant que ce sont eux, les Américains, qui l’ont libérée en 1944. Mais cela n’a rien à voir dans la situation actuelle. On ne va pas en guerre aujourd’hui par reconnaissance mais par principe. Et c’est justement sur ce critère que la France refuse de s’engager, de même que l’Allemagne. Bravo !
Mansour: A mon avis la crise Irakienne est devenue un véritable «side show». C’est l’avenir de l’Europe qui est maintenant en jeu dans ce bras de fer entre la France et les USA. Et pour l’avenir de toute l’humanité c’est certainement plus important que l’avenir du régime de Saddam Hussein en Irak ou même du pétrole arabe en général. La véritable question qui se pose à l’Europe aujourd’hui c’est de savoir si elle doit accepter la pax americana, comme la pax romana, ou défendre sa propre identité et sa culture pour les générations à venir. Le régime de Saddam Hussein va disparaître avant la fin du mois de mars, mais la crise des civilisations entre l’Amérique et la veille Europe ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Je suis loin d’être un politicologue mais à mon avis nous allons tout droit vers une Europe divisée. D’un côté nous allons voir une émergence d’un véritable axe franco-germano-russe, de plus en plus contre l’hégémonie américaine, de l’autre côté nous allons voir une Angleterre défendant sa position en Europe en courtisant, avec l’aide des USA, les petits pays de l’Europe de l’ouest comme ceux de l’Europe de l’est et surtout du nord. Il y a une guerre froide qui se prépare, mais elle ne sera pas entre le bloc soviétique et le monde occidental, mais plutôt entre une Europe qui veut se libérer et une coalition anglo-américaine.
Claude: Je crois que tu vas trop loin dans les conséquences que tu prédis suite à ce débat et aux prises de positions des joueurs en présence. On ne peut qualifier le différent qui s’annonce de guerre froide du moins de la même nature que celle entre les USA et ses alliés et l’URSS. Les USA auront toujours besoin de tous leurs alliés européens et même si aujourd’hui plusieurs ne veulent pas les suivre dans cette aventure irakienne, les USA devront quand même continuer à vivre avec eux. La chicane qui se dessine en est une entre ti-Bush et son administration et certains chefs de pays étrangers et leur gouvernement. Ceux-ci, pour de raisons de principes et surtout parce que la majorité de leurs commettants sont opposés à la guerre, hésitent à embarquer dans la galère américaine et resteront en dehors. Je suis confiant que dans quelques années tout sera oublié et que l’unité entre les pays de l’OTAN et des autres sera retrouvée. Ti-Bush ne sera pas éternel et le prochain président sera sûrement plus réaliste et compréhensif que le cow-boy qui est actuellement à la Maison Blanche.
Mansour: Je crois avoir récemment abordé les conséquences ultimes à long terme de la politique de Bush sur le nouvel ordre mondial. Je t’avoue que je pense qu’à quelque chose malheur est bon. Cette guerre contre l’Irak mettra à nu les différentes visions de l’avenir de l’Europe. Cette Europe qui se cherche, depuis déjà le pool charbon-acier franco-allemand des années 50 à ce jour, devra finalement décider de son avenir politique. Est-ce qu’elle veut finalement construire une Europe unie, à l’image des USA, ou est-ce qu’elle préfère continuer à prétendre poursuivre son unification tout en acceptant le rôle de serviteur servile d’une Amérique hégémonique ? La France et l’Allemagne semblent décidées à forcer les autres membres de la communauté européenne à se démarquer définitivement, mais j’ai l’impression qu’avec tous les nouveaux candidats de l’Europe de l’est, ces deux pays-moteurs de l’unité européenne se retrouvent mis en minorité dans leur propre édifice politique qu’ils ont construit depuis plus de 50 ans. A mon avis, dans le meilleur des cas nous allons voir une Europe divisée en deux blocs: d’un côté nous allons voir émerger un bloc contenant la France, l’Allemagne, l’Ukraine et la Russie, de l’autre côté nous allons voir un autre bloc comprenant l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, l’Europe du nord et les pays pauvres de l’Europe de l’est. L’Italie risque de changer de camp si Berlusconi est éliminé démocratiquement dans les années à venir.
Claude: C’est une bonne analyse. Mais je crois que la pression de la rue peut faire changer de bord quelques uns de ces pays. L’Espagne, par exemple, et ceux du Nord. Je crois que nonobstant la guerre probable en Irak, la Communauté Européenne a déjà comme politique d’être indépendante des USA et d’en devenir le compétiteur le plus féroce au point de vue économique. Les nouveaux venus me semblent insuffler un dynamisme nouveau à la CE et je crois que c’est très bien car ses premiers fondateurs comme la France retrouvent chez leur population un très grand nombre de personnes qui se questionnent de plus en plus sur le bien fondé de la CE. Ils craignent de perdre leurs acquis, comme les agriculteurs pour la France, suite à de nouveaux règlements qui seront cotés par la CE pour le bénéfice des nouveaux membres qui sont plus pauvres et qui ont besoin d’aide pour remonter le niveau de vie de leur population. Le problème de la CE est interne et n’est pas envers les USA. De plus, elle doit aussi réussir à se donner des politiques extérieures communes si elle veut être un joueur important sur l’échiquier mondial.
Mansour: Les conséquences de la crise Nord Coréene sur l’Asie sont aussi importantes. Déjà, le Japon et même la Corée du sud parlent de se doter d’armes nucléaires. Imagines un peu la course à l’armement dans cette région du monde si jamais le Japon, la deuxième puissance économique mondiale, s’aventure à se réarmer. La haine contre le Japon aussi bien en Corée du nord qu’en Corée du sud, ne pourra que lancer les deux Corées à s’armer jusqu’aux dents. De plus, je vois déjà la tentation de l’Indonésie à rejoindre le club des pays en possession d’armes nucléaires pour se défendre contre ses démons du passé comme le Japon. Et on ne parle pas de la Chine. Ailleurs, même l’Amérique latine ne sera épargnée de cette envie d’acquérir des armes nucléaires. Pourquoi voudrait-on croire qu’un pays comme le Brésil s’empêchera de rejoindre le club atomique, qui lui donnerait tout de même un atout important dans son sous continent qu’il domine économiquement et démographiquement.
Claude: Heureusement que les Nations-Unies veillent au grain. L’agence internationale de l’énergie atomique fait un bon travail en collaboration avec les pays qui possèdent l’arme atomique actuellement. Ce sont eux qui nous protègent et qui empêcheront les pays asiatiques et d’Amérique latine d’acquérir cette arme ultime. N’oublies pas aussi les pays du Moyen-orient, comme l’Iran. Ce ne sera pas facile de contrôler toutes ces nations qui expriment leur légitimité pour avoir le nucléaire et l’arme atomique. Nous ne sommes pas au bout de nos peines dans ce domaine.
Mansour: Voilà les conséquences incontournables de la nouvelle politique internationale des USA de Bush. Franchement, je n’arrive pas à comprendre la logique de cette politique. Il ne fait pas de doute que les stratèges de cette nouvelle politique internationale américaine ont certainement examiné toutes les conséquences de leurs stratégies, mais je ne vois pas ce qui peut bien servir les intérêts des USA dans un monde où les armes atomiques sont à la disposition de tous les pays capables de se les offrir. Seule l’histoire nous dira si les nouveaux stratèges américains seront à la même hauteur que leurs prédécesseurs qui ont construit un mur autour de l’Union soviétique dans les années 50 et 60.
Claude: Je ne crois pas que les Américains acceptent que ceux qui peuvent se l’offrir puissent avoir l’arme atomique. Il est vrai qu’ils n’ont pas crié fort lorsque l’Inde et le Pakistan l’ont obtenue. Sans parler de leur attitude face à Israël qui, d’après ce que l’on dit, a cent bombes nucléaires mais qui ne révèle rien sur le sujet. Dorénavant, il sera difficile pour un pays d’avoir l’arme. Je suis en accord avec ça.
Mansour: Actuellement, nous assistons à une véritable campagne de dénigrement du peuple français à travers la presse américaine. On le présente comme un peuple qui n’a jamais pu se défendre dans le passé. Ce que l’opinion américaine semble ignorer c’est que depuis pratiquement la période de Charlemagne, ce peuple a été en guerre pendant des siècles. J’ai connu le soldat français durant la guerre d’Algérie, et je t’assure qu’il n’a pas été aussi fragile que le conscrit américain durant la guerre du Vietnam. Tout d’abord le soldat français en Algérie était le représentant de tout le peuple français. J’ai connu de simples sergents français qui étaient des professeurs dans les lycées français avant de servir en Algérie. Il suffisait à un américain du bon côté de la barrière de se marier ou être inscrit à l’université pour éviter d’être envoyé au front au Vietnam. J’ai connu des dizaines d’Américains qui ont évité le service militaire alors que j’étais à l’université du Kansas. Ce fut le cas de Bush. Ce n’est pas les malgaches ou les autres africains français qui ont sacrifié leur vie au nom de la France en Algérie mais le sang des français, ce qui n’a pas été le cas des USA pendant son désastre vietnamien. Même les émigrés étaient conscrits pendant cette guerre américaine. Ne parlons pas des pauvres noirs qui n’avaient pas la possibilité de se cacher derrière rien. Je n’ai jamais oublié un événement qui avait touché le général Faure qui était le commandant en chef des forces françaises en Algérie. Malgré sa position, il n’a pas été capable de protéger son fils qui a perdu sa vie dans un bled algérien. Combien de commandants américains ont perdu leurs enfants au combat qu’ils dirigeaient ? J’ai combattu la politique française vis-à-vis de l’Algérie mais je n’ai jamais dénigré le soldat français. Il est vrai qu’il y avait des services militaires d’interrogation et de torture qui ont été responsables de crimes contre l’humanité. Des milliers d’Algériens ont été portés disparus après avoir été arrêtés par les services de sécurité de l’armée mais la grande majorité des soldats français se sont comportés d’une manière respectable en Algérie. Je me souviens de ma première nuit dans ma cellule en 1959. J’étais dans un noir absolu et subitement une petite fenêtre s’est ouverte et un simple soldat français a jeté dans la cellule un paquet de cigarettes et une boite d’allumettes. Je t’avoue que je ne fumais pas à l’époque, mais j’avais tellement peur de ce qui m’attendait que je me suis mis à fumer les cigarettes de ce soldat inconnu. Ces cigarettes m’ont donné le courage de survivre à mes appréhensions immédiates. C’est à ce moment précis que j’ai compris la puissance de la culture universelle française qui avait poussé un soldat français à aider son ennemi à surmonter ses angoisses.
Claude: Je crois que tu es injuste envers le soldat américain et que tu généralises beaucoup trop autant dans son cas que dans celui du soldat français. 58,000 soldats américains ont perdu leur vie dans la guerre du Vietnam. Il y avait là des jeunes de toutes les races qui composent les USA, des conscrits, des volontaires, des braves, des héros, des lâches, etc.. Il ne faut pas être injuste vis-à-vis ces innombrables victimes de cette guerre affreuse et inutile. Il y a aussi ceux qui en sont revenus avec toutes sortes d’infirmités et de maladies. J’en ai vu plusieurs et je t’assure que la majorité étaient des blancs. Que des fils à papa ou des déserteurs, par conscience ou par lâcheté, aient pu s’en exempter est indiscutable mais je crois que la très grande majorité ont été de bons soldats qui ont bien servi leur pays. La guerre n’a pas été perdue par eux mais par la stratégie militaire et les hommes politiques. Quant au soldat français je sais qu’il est brave et bon. Mais dans l’armée française il y en avait aussi de toutes les sortes, incluant des lâches. Tu affirmes que ce ne sont pas «les malgaches ou les autres africains français» qui ont fait la guerre en Algérie, mais je veux te rappeler que durant la deuxième guerre mondiale la France n’a pas hésité à recruter dans ses colonies des phalanges de soldats indigènes. D’ailleurs ce sont des soldats maghrébins dont des Algériens qui ont fait la percée finale à Monte Cassino en Italie, quelques jours avant la prise de Rome, dans cette fameuse bataille qui a duré des mois. Je crois qu’il ne faut pas généraliser dans les cas de guerre. Devant des situations qui ont l’air injustes, il ne faut pas oublier le dicton «à la guerre comme à la guerre» avant d’accuser qui que ce soit. Quant à la campagne de dénigrement actuellement en cours contre la France et l’accusation que les Français ne sont pas reconnaissants de l’effort américain pour les libérer en 1944 de l’occupation nazie, on peut rappeler aux américains d’aujourd’hui, que la France n’a pas hésité du temps des colonies britanniques en Amérique du Nord à envoyer 53,000 soldats français pour aider les «Fils de la Liberté» à gagner la guerre de sécession contre l’Angleterre, alors qu’elle n’a pas voulu les envoyer au Canada pour défendre son territoire qui était attaqué par ces mêmes colonies anglaises quelques années auparavant.
À bientôt
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