au 26 février 2003


Ce dialogue vise à la possibilité d’implanter une démocratie réelle en Algérie comme système politique avec un mode de gouvernement qui correspond à la composition de sa population..

Au 26 février 2003

Mansour: Merci d’avoir partagé avec moi les deux derniers échanges de messages entre toi et mon frère. Ces messages me rappellent beaucoup le début de nos conversations. C’est tout de même étrange que deux personnes imbues de la même culture française puissent finalement voir un événement concret, réel, et l’interpréter d’une manière aussi différente uniquement parce que tu n’as connu que le monde développé de l’Occident et Ali, ou moi, n’avions vu pendant une grande partie de notre vie que le monde pauvre et subjugué.

Claude: Il me semble que c’est très normal. Élevé sur un autre continent, dans une autre civilisation, dans une démocratie réelle, dans un pays à majorité anglaise qui ne cherchait qu’à nous influencer le plus possible, si près du géant américain qui envahissait nos vies avec son développement rapide et innovateur, et encore, il serait vraiment surprenant que je pense la même chose que toi et que nous ayons les mêmes vues sur des évènements passés ou sur la vie d’aujourd’hui. C’est cette divergence qui rend pour moi nos échanges intéressants.

Mansour: Tu ne trouves pas un peu paradoxal que mon frère et moi qui avons littéralement sacrifié notre vie pour nous libérer du joug colonial français, puissions continuer à ce jour à ne pas voir la démocratie occidentale, vieille de 200 ans au moins, comme étant la seule voie pour l’avenir de notre pays à ce jour, alors que toi qui n’as jamais eu à te libérer de quiconque en dehors des conditions sociales dans lesquelles tu es né, continue à ce jour à croire dur comme fer que la seule voie pour l’Algérie est la démocratie au plus tôt possible, même si nous devons souffrir pendant une période indéterminée du joug de l’islamiste fondamentaliste.

Claude: Oui et non. Je crois que la liberté est l’élément clef dans le bonheur de l’individu. C’est aussi le moteur qui le pousse à se développer et à atteindre le sommet que ses talents lui offrent. La démocratie a fait ses preuves en Occident. Par contre, chez vous je constate les problèmes, le manque de progrès, d’initiative, le peu de liberté individuelle et je vois aussi le passé glorieux de ta civilisation. Je crois au potentiel extraordinaire de ce peuple qui jadis fut le leader du monde. Aujourd’hui, je me dis que le savoir et l’intelligence de ton peuple, mariés à la démocratie lui permettraient de se faire valoir au maximum. Cela me semble une conclusion réaliste et non simpliste.

Mansour: Je suis d’accord avec toi que nous avons peut être raté notre chance en 1962 alors que les habitudes démocratiques françaises étaient encore fraîches dans nos mémoires. A la veille de notre indépendance nous avions encore des forces politiques au sein même du FLN de diverses tendances, allant du marxisme au socialisme français et d’islamiste républicain au libéralisme le plus agressif de l’époque. Si comme il était prévu au début de la guerre de libération que l’organisation du FLN n’était qu’un parapluie pour toutes les tendances politiques de l’Algérie qui devait se dissoudre a la fin de la guerre de libération, pour permettre à toutes les tendances politiques algériennes de l’époque de reprendre leur liberté d’action, nous ne serions pas aujourd’hui en train de nous poser les questions des choix malheureux (peut être) que l’Algérie a pris en 1962.

Claude: C’est mon point. Vous aviez un bel exemple de démocratie que les Français pratiquaient sur votre territoire. Vous n’êtes pas partis du fond du désert avec aucune notion de ce système politique. Vous le viviez quotidiennement. Pas dans les meilleures conditions, il est vrai, puisque que vous le subissiez mais le fait demeure que vous le connaissiez et pouviez le juger. De plus, les études supérieures d’un très grand nombre d’Algériens les ont amenés en France et dans d’autres pays démocratiques. Ils ont sûrement vu là le chemin vers la liberté individuelle et le respect de la personne humaine. Je crois que finalement ce sont ceux qui avaient les tendances du marxisme au socialisme dans le FLN qui ont eu le dessus après la guerre de libération et qui ont influencé le genre de gouvernement que vous avez eu.

Mansour: Mais est ce que l’Algérie de 1962 avait réellement le choix de construire son avenir comme elle l’espérait en 1954 ? Je ne peux pas te demander de comprendre les changements psychologiques qu’à connus le peuple algérien entre le fameux « putch » militaire français du 13 mai 1958 et les derniers massacres perpétrés par la fameuse organisation fasciste française l’OAS en 1962. Cette période tragique de la guerre de libération algérienne a dramatiquement changé les perspectives politiques de ce nouveau pays. Ce n’est pas un hasard que les tendances les plus militaristes du FLN ont finalement eu le dessus sur toutes les autres tendances politiques plus ou moins démocratiques. Cela ne justifie en rien les choix que l’Algérie avait pris en 1962. J’essaies tout simplement de t’expliquer que les événements politiquement ne sont pas toujours simples à expliquer, encore moins à justifier. Si les différentes tendances politiques qui existaient au sein du FLN, étaient réellement puissantes et ancrées au sein du peuple algérien, les conditions imposées à l’Algérie par la France n’auraient pas été suffisantes pour amener le régime militariste qui a dirigé notre pays depuis 1962. Tout ce que je voulais te faire comprendre à travers mes élucubrations,c’est que l’histoire d’un peuple est toujours imprévisible.

Claude: Je comprends ce que tu me dis et je partage ta conclusion. C’est malheureux. Au début de la libération, il était probablement impossible d’agir autrement, justement à cause de la situation qui s’était complètement envenimée à cause des actions de l’OAS. Mais avec les années, disons cinq ans après en 1967, il me semble qu’à ce moment-là, il aurait été normal de réviser le statut politique du pays et de chercher à l’amener sur une voie démocratique. La difficulté de faire ce tournant venait peut-être de ceux qui exerçaient le pouvoir et qui ne voulaient pas prendre le risque de le perdre dans des élections. J’inclus dans ce groupe les militaristes. Peut-être que le grand malheur de l’Algérie c’est qu’elle n’avait pas un vrai leader mais des gens qui tout en appliquant les principes de leurs tendances politiques profitaient du pouvoir et des avantages qui en découlent.

Mansour: Ceci étant dit, je crois qu’il serait tout de mêmebon de te poser la question qu’Ali se pose toujours, à savoir que d’un point de vue réaliste il est difficile de trouver des exemples de nouvelles démocraties florissant à partir d’une situation de pauvreté économique, sociale et culturelle. Au cours d’une table ronde organisée par la télévision algérienne au début de l’émergence des fondamentalistes musulmans, en tant que force politique, je me souviens qu’Ali avait répondu à une question d’un journaliste algérien qu’il n’avait pas pris le maquis au nom d’Allah mais au nom de la libération du peuple algérien pour lui redonner sa fierté d’appartenance à l’humanité. Nous n’avons pas combattu la France colonialiste au nom de l’Islam et encore moins au nom du marxisme léninisme. Et quand Boumediene a pris le pouvoir en 1965, nous étions tous les deux contents car nous avions pensé alors qu’il allait nous donner la chance de faire ce que les chefs d’états asiatiques (Japon et Corée du sud en particulier) avaient fait pour leurs pays. La seule différence entre ces chefs d’états des années 50-60 et Boumediene est en fin de compte les équipes de gestion qui ont été choisies. Boumediene n’était pas du tout un idéologue léniniste marxiste, loin de là. Tout ce qu’il voulait c’est une Algérie moderne capable de tenir tête au néo colonialismetoujours présent. Le plus tragique dans son action c’est qu’il s’était entouré en grande partie des représentants de la bourgeoisie algérienne qui avaient toujours collaboré avec le colonialisme français dans le passé, pour justement éviter l’étiquette de marxiste léniniste pour son régime. Ce qu’il n’avait pas réalisé c’est que cette classe sociale algérienne n’attendait que l’occasion de se montrer plus royaliste que le roi, en ce qui concerne la justice sociale. Et pour faire oublier à tout le peuple algérien ses collaborations passées avec le colonialisme français, les Abdesslam et les Bencherif du régime de Boumediene ont été les instruments de la stratégie de développement économique poursuivie en Algérie pendant plus de 15 ans. C’est après tout Abdesselam, fils d’un caïd, qui a poussé le boumediénisme à nationaliser tout commerce extérieur aussi bien que toute l’industrie, alors qu’il a toujours été un admirateur farouche d’Hitler et de Staline. En visite officielle en Allemagne de l’ouest, figures-toi que ce même individu avait insisté pour rendre visite au bunker dans lequel Hitler avait passé ses derniers jours. Il avait même insisté pour voir l’endroit où Hitler avait finalement rendu l’âme. Voilà le même bonhomme pour qui, jusqu’à ce jour j’en suis persuadé, Hitler est toujours un dieu sur terre. C’est ce Abdesselam qui a été l’instrument fondamental de la destruction du secteur privé en Algérie. Il a même poussé son effronterie jusqu’à préparer la fâcheuse loi sur la gestion socialiste des entreprises qui donnait tous les pouvoirs à des ouvriers algériens, à peine lettrés, de décider de l’avenir des investissements de toute une nation et surtout de la gestion de tout le patrimoine national économique.

Claude: Ce texte parle de lui-même et exprime bien ce que je pense. Le vrai malheur c’est que Boumediene n’était pas un vrai chef. Il s’est mal entouré au début et plus tard et s’est laissé entraîner par des individus dont les tendances allaient contre l’intérêt supérieur de l’Algérie. Un autre chef, un vrai n’aurait pas été influencé par les Abdesselam de ce monde. Si le pays avait à ce moment là été une démocratie, les chances sont que les théories de ce marxiste-léniniste auraient été rejetées. En rapport avec ce que tu qualifies de la fâcheuse loi sur la gestion socialiste des entreprises, c’était la façon typique avec laquelle ont procédé les régimes socialistes à outrance derrière le rideau de fer ? Ne trouves-tu pas facile de dire que face à une transformation aussi fondamentale, ce n’est pas la faute à Boumediene qui s’est fait vendre une telle salade, malgré que ce fût contraire à ses pensées originales ? N’est-ce pas possible qu’il avait des desseins cachés et que s’il n’en avait pas, ne crois-tu pas alors, qu’il n’était pas à la hauteur de diriger le pays ?

Mansour: Je n’ai pas l’intention d’être apologique vis-à-vis de Boumediene. Tout ce que j’avais essayé de te démontrer c’est que les hommes politiques à tous les niveaux ne s’intéressent qu’à leur survie. Et Boumediene était certainement un génie politique dans notre pays. Ce que tu n’arrives pas à comprendre c’est que l’Algérie de Boumediene a été bâtie avec des gens qui n’avaient même pas le niveau scolaire du secondaire. Il y avait certainement des exceptions, mais la grande majorité de l’entourage de Boumediene a été recruté parmi les gens qui avaient pris le maquis et qui n’avaient aucune formation politique encore moins technique. Mais nous ne sommes pas là pour parler du passé de l’Algérie mais de son futur. Et son futur n’est certainement pas assuré par une démocratie et la victoire des islamistes en Algérie. Ce n’est pas démocratique ce que j’affirme, mais je crois que l’avenir de mon pays est plus important que mes principes universels. J’espère sincèrement que tu puisses te mettre à la place des Algériens qui préfèrent encore retourner à l’enfer du colonialisme plutôt que de vivre un seul jour sous le joug d’un régime islamo fondamentaliste.

Mais revenons à nos moutons comme on dit. Est-ce que tu peux honnêtement me donner un exemple à travers le monde entier qui puisse justifier ce que tu recommandes aux Algériens aujourd’hui ? Donne-moi un seul exemple où la démocratie telle que tu la conçois a eu raison des défis que nous discutons. Comme Ali disait, si éloquemment, la politique c’est l’art du possible. Je crois qu’il t’a donné du moins de son côté les arguments solides de son raisonnement. Est ce que tu es capable d’en faire autant ?

Claude: Oui, ses arguments sont forts. Mais je crois que si on ne se place pas dans une position gagnante, on ne gagne pas. C’est aussi cela l’art du possible en politique. Avoir une vision d’avenir et agir. En cherchant toujours à justifier la situation par de bons arguments, on l’éternise. À ce rythme, l’Algérie sera encore sans démocratie réelle dans 100 ans. Il y a eu la guerre, les islamistes et demain, il y aura d’autres raisons, car il y en aura toujours. Et l’armée sera toujours là. Seule une foi inébranlable dans la force de la démocratie peut faire tourner le vent. Le Canada est un exemple. Je te rappelle qu’il a été une démocratie depuis sa fondation en 1867 et qu’à ce moment-là le pays était pauvre économiquement, socialement et culturellement. C’est la démocratie qui a fait la grandeur du pays et qui a permis aux Canadiens français de conserver leur langue, leur religion et leur culture. Ce ne fut pas facile, je l’admets, mais ils ont pu faire valoir leur point de vue et gagner ce qu’ils ont. Le Québec dans mon jeune âge n’était scolarisé qu’à 20%. Tous mes amis du temps n’avaient fait rien de mieux qu’une 6ième année scolaire, quelques uns se rendaient en 9ième et très peu, comme moi, continuaient aux écoles supérieures. L’école commençait à peine à être obligatoire jusqu’à 14 ans. Depuis, le Québec a connu la révolution tranquille de 1960 et s’est donné des lois pour améliorer la protection de sa langue et de sa culture. Il a aussi renforcé la démocratie en se donnant des lois électorales qui peuvent rivaliser avec n’importe lesquelles dans le monde pour assurer le libre choix des électeurs.

Mansour: En réponse à mon défi de me donner un seul exemple ou la démocratie avait fleuri malgré les contraintes économiques sociales et culturelles, tu m’as donné l’exemple du Canada, en me rappelant la situation économique et sociale du Québec en particulier. Mais franchement est-ce que tu penses que le Canada était même durant la première guerre mondiale un pays sous-développé économiquement et culturellement ? Il est vrai que la situation des Québécois n’était pas au même niveau du reste du Canada, mais le Canada a toujours été (tout comme l’Australie, ou la Nouvelle-Zélande) un pays drôlement sophistiqué aussi bien culturellement qu’économiquement. De plus les injustices sociales qui existaient alors au Canada n’étaient certainement pas pires que celles qui prévalaient aux USA ou même en Angleterre. Économiquement, socialement et culturellement le Canada a toujours évolué au même rythme que les USA sinon plus rapidement. Alors s’il te plaît ne me parles pas du Canada comme un exemple où la démocratie avait fleuri à partir du néant, comme tu penses être possible dans les pays comme l’Algérie ou le reste du monde sous-développé.

Claude: Je crois que tu devrais lire l’histoire du Canada pour apprendre combien le peuple a souffert économiquement et socialement dans le passé. Il est vrai que nous avons toujours eu depuis la formation du Canada un régime démocratique (avant c’était le colonialisme français et puis anglais) mais même dans ma jeunesse une grande pauvreté et même de la misère noire ravageaient une très grande partie de notre population. L’éducation n’était pas à la portée de tous (ce n’est qu’en 1943 que l’école devint obligatoire jusqu’à 14 ans). Il n’y avait pas de lois sociales et l’économie n’était réservée qu’à un petit nombre. Comme l’Algérie nous avons eu le colonialisme mais l’Algérie en en sortant, malgré qu’elle avait l’exemple de celle qu’exerçaient les Français en son sein, n’a pas opté pour un régime démocratique. Je crois que l’erreur fut à ce moment-là. Il me semble que les dirigeants de la guerre de libération ont pris le gouvernement comme butin de guerre.

Mansour: C’est tout de même fascinant de constater qu’au même moment où Ali a posé les conditions nécessaires pourqu’une démocratie réelle puisse s’implanter dans une société, les « thinks tanks » de Bush, ont déjà commencé à mettre en garde l’Amérique contre une instauration prématurée d’une démocratie réelle en Irak après la liquidation de Saddam Hussein. On parle déjàd’un régime fort à installer pour garder l’intégrité territoriale de l’Irak et éviter l’implosion de ce pays. Mais si on doit utiliser ta conception de démocratie, pourquoi avoir peur des différents peuples qui forment l’Irak d’aujourd’hui. En ton âme et conscience, est-ce que tu crois que l’Irak, tel qu’il est aujourd’hui, est capable de survivre la disparition de Saddam Hussein dans un climat où tous les peuples de l’Irak auront réellement la liberté de choisir leur avenir. Est-ce que tu penses que les Chiites, les Wahhabites et les Kurdes seront prêts à maintenir l’intégrité territoriale de l’Irak et construire en commun un avenir démocratique tel que tu le conçois.

Claude: Oui je le crois. Je ne pense pas que les USA installent un gouvernement fort qui n’aura pas été élu par les Irakiens. Je ne dis pas qu’ils ne chercheront pas à influencer l’élection générale lorsqu’elle aura lieu, mais je crois fermement que ceux qui dirigeront à l’avenir l’Irak seront élus. Si au moins, les Américains peuvent accomplir cela, ils auront accompli une grande chose. J’espère, comme je le disais dans un dialogue précédent, qu’une guerre civile entre les trois groupes ou factions qui composent l’Irak ne viendra pas brouiller les cartes. C’est possible. Et si cela arrive, ce ne fera que retarder l’inévitable. Ils doivent vivre ensemble s’ils veulent maintenir l’Irak intact et je crois qu’à cause de la richesse en pétrole de ce pays, ils le feront. Peut être même dans une vraie fédération démocratique, étant donné les grandes différences entres chacune des nations formant l’Irak. Sinon, il sera divisé en trois pays. Et chacune pourra le diriger le sien à sa guise.

Mansour: Mieux encore, je pense. Tu n’as jamais cessé de me rappeler les victoires de la démocratie contre le marxisme-léninisme en Amérique centrale etdu sud. Est-ce que tu peux me citer un seul cas dans cette région qui n’est pas tout d’abord passé par un régime fasciste supporté à bout de bras par les USA. En dehors du Chili, et nous connaissons tous les phases qu’il a dû traverser pour aboutir à une démocratie qui se rapproche de ta définition, est-ce que tu crois réellement qu’il y a une démocratie dans ce sous continent. Les événements des derniers mois au Venezuela, entre parenthèses ne me prouvent que le contraire. Voilà un pays qui a élu en bonne et due forme un président. Mais parce qu’il n’est pas d’accord avec les inserts économiques des entreprises américaines et de la bourgeoisie inféodée depuis déjà des siècles à l’oncle Tom, il se trouve tout d’un coup accusé de ne pas jouer le jeu de la démocratie. Quel euphémisme, bon dieu! Mais pour une fois la voix mondiale de la démocratie a eu gain de cause et le chef du gouvernement du Venezuela a été rétabli dans ses fonctions. Tu sais que j’ai toujourseu de l’admiration pour la constitution des USA, mais je te garantis que cette constitution n’aurait été qu’un simple parchemin si le peuple américain du nord n’était pas bien éduqué et avait des difficultés économiques insupportables. Tout est question de circonstances. Je crois que c’était en fin de compte le message qu’Ali voulait te transmettre dans ses derniers messages.

Claude: Je n’ai jamais dit que les pays des Amériques centrale et du sud n’ont pas subi les influences américaines dans le passé. Il y a eu des gouvernements fascistes et autres dans le passé. J’ai toujours dénoncé l’intrusion des USA dans les affaires de ces pays pauvres et le rôle qu’ont joué les compagnies américaines comme la «United Fruit» pour les exploiter. Par contre, j’ai applaudi la transformation, durant les derniers cinquante ans, de ces pays en vrai démocratie de plus en plus libres du joug américain. Remarque que ce n’est pas parce que les USA sont une démocratie et qu’ils prêchent partout la mise en place de gouvernement démocratique, qu’ils n’agissent pas égoïstement dans leurs relations d’affaires avec les pays pauvres au détriment même des principes de démocratie qu’ils prêchent. Nous le savons tous et nous les avons toujours dénoncés. Mais il ne faut pas oublier aussi que grâce aux américains le Nicaragua, le San Salvador et d’autres ont pu se libérer de régimes marxisme-lénisme qui brimaient la liberté de leurs citoyens. Aujourd’hui, ces pays vivent dans le calme, sont libres et progressent. Je reconnais que plusieurs ont encore un grand chemin à parcourir avant de pouvoir éliminer la misère et la pauvreté qui les affligent. Et là le Monde peut aider.

Il est vrai que l’Amérique cherche à avoir des gouvernements démocratiques qui collaborent avec elle. Chavez du Venezuela semble avoir gagné son pari. Mais il faut se rappeler que Chavez à l’OPEP a affirmé des choses étonnantes et extravagantes. Ce n’est pas parce qu’un homme est élu qu’il a du jugement. La preuve est bien ti-Bush que l’on considère aux USA comme un homme de décision. Moi je suis d’accord, mais c’est surtout un homme qui n’a pas de jugement. La démocratie ne donne pas toujours les meilleurs dirigeants, mais elle permet au moins de les remplacer le temps venu.

Mansour: Quand aux démocraties de l’Amérique du sud que tu évoques, je te signale qu’elles n’ont pas encore fait leur preuve, en dehors peut être du Chili. Ne me parles pas de la culture démocratique du Brésil, encore moins de l’Argentine ou du Mexique. Ce n’est qu’après plus de 50 ans de dictatures militaires et faillites économiques dans ces pays que les régimes ont fait semblant d’accepter le jeu démocratique, après avoir assuré de détruire tous les rouages qui permettent au jeu démocratique d’avoir le dernier mot dans le choix des dirigeants de ces pays. La démocratie telle que tu la conçois est une culture et un mode de pensée. Tout comme Ali, je pense que la démocratie n’est viable qu’à partir du moment où nous avons une classe sociale qui a intérêt à voir cette démocratie émerger. Or que ce soit en Amérique latine ou même en Algérie, cette classe sociale moyenne n’existe toujours pas, en dehors du Chili. Et nous savons tous comment cette classe sociale a été constituée dans ce pays. Pinochet a fait pour le Chili ce que le général franco a fait pour l’Espagne. Il en est de même pour tous les généraux qui ont dirigé d’une main de fer le Japon et la Corée du sud, sans parler de la Malaisie ou même de l’Indonésie.

Claude: Toutes les classes bénéficient de la démocratie et les classes moyennes et pauvres ont un grand intérêt à ce qu’elle soit réelle. Ainsi ils peuvent se prononcer sur leurs dirigeants et même envoyer siéger dans le parlement des représentants authentiques de leur milieu pour exprimer leurs besoins. Ce n’est pas parfait mais à la longue les choses se placent et les bénéfices de ce système qui assure une liberté à chaque individu sont réels et à long terme. C’est mieux que les dictatures à la Franco ou à la Pinochet. Allende aurait fait mieux que Pinochet et il a été élu. Malheureusement, les Américains combattaient alors la montée du communisme et ont jugé nécessaire de l’éliminer. Ce fur une grande erreur qui aujourd’hui est heureusement corrigée.

Mansour: Le véritable drame de l’Algérie c’est que malheureusement elle n’a pas su trouver un général Franco ou même un Pinochet pour lui donner la chance de créer une classe moyenne suffisamment puissante pour imposer un pluralisme politique dans notre pays. Mets-toi à la place de Ali, qui a passé toute sa vie à combattre pour la libération de son peuple, à qui tu demandes aujourd’hui d’accepter le jeu démocratique en Algérie, au risque d’avoir un régime islamiste installé pour des générations à venir. Personnellement, je n’hésite pas à te dire qu’au risque d’avoir un régime militariste des plus féroces, qui rejette la morale démocratique, mais qui a horreur des conséquences d’un régime islamiste installé en Algérie, je serais prêt à mettre de côté mes principes politiques universels pour donner une chance à l’Algérie de trouver une meilleur voie dans quelques années. La démocratie telle que tu la décris va inévitablement obliger l’Algérie à vivre le cauchemar d’un régime fasciste arabo-islamique pour les 50 années à venir. Je préfère l’enfer que je connais que l’enfer des islamistes que je ne connais pas. Je t’avoue que si j’étais absolument certain que les islamistes algériens allaient se comporter comme les islamistes Iraniens, je n’hésiterais pas une seconde pour donner la chance à la démocratie,. Mais je sais que les islamistes algériens ne font pas partie de la mouvance Iranienne, mais plutôt de celle d’el Quaïda et d’Oussama Ben Ladden. Avec près de 40 % de chômage en Algérie une démocratie imposée du sommet ne pourra qu’aboutir à l’installation d’un régime islamiste en Algérie. Es-tu prêt à accepter un tel résultat uniquement pour défendre ton principe démocratique. Plus grave encore je te signale que le chômage chez les jeunes diplômés algériens est au dessus de 70 %. Et cette frange de la population est la plus sensible aux slogans islamistes algériens depuis plus de 15 ans déjà.

Claude: Tu parles de la situation actuelle en Algérie, mais n’est-elle pas le résultat des gouvernements militaires et anti-démocratiques que le pays a eus depuis la révolution de 1962 ? Tu réclames un général Franco ou Pinochet, ne trouves-tu pas que les Algériens en ont eu assez des généraux qui les ont dirigés et qui n’ont apporté que du chômage et un gouvernement qui ne correspond pas à leurs rêves. Tu veux en plus un général qui imposera à tes semblables les horreurs générées par Franco et Pinochet. Non, je ne le crois pas. Tu parles d’un gouvernement islamiste comme si c’était une chose faite s’il y a une vraie démocratie en Algérie. En es-tu sûr ? Rappelle-toi la révolte nationale des femmes algériennes après la premier tour où le FIS islamiste a bien paru dans l’élection. N’auraient-elles pas arrêté cette montée ? Et si le FIS prend le pouvoir et que le peuple n’en est pas satisfait et manifeste fort dans les rues, crois-tu que l’armée viendra défendre le FIS dans une telle situation. Non, je ne le crois pas. Un gouvernement peut fonctionner s’il a en main tous les rouages du pouvoir. Un FIS élu serait sans l’armée et aurait une opposition très forte. Crois-tu dans ces circonstances qu’il pourra faire ce qu’il voudra. De plus, ne crois-tu pas que cette vague islamiste qui traverse l’Arabie est justement cela, une vague et qu’avec le temps elle disparaîtra ? Mais pour la faire disparaître il faut donner de l’espoir à ceux qui n’en ont plus. Les systèmes passés n’en sont-ils pas les premiers responsables ? Et tu veux continuer avec eux encore même s’ils sont plus «féroces». Je ne le crois pas.

À bientôt.