au 4 mai 2003


Ce dialogue s’étend sur l’aide américaine apportée en Europe depuis la première guerre mondiale, le renversement de l’empire soviétique, l’organisation de la démocratie en Irak et l’égalité des chances aux Étas-Unis.

Au 4 mai 2003

Mansour: Est-ce que tu penses que les peuples arabes et américains finiront par découvrir enfin la vraie vérité sur ce qui se passe en Irak et agir en conséquence. A mon avis le peuple américain finira peut-être par ouvrir ses yeux et dénoncer une bonne fois pour toutes cette nouvelle politique de la canonnière de Bush. Mais pour ce qui concerne les peuples arabes j’en doute. Je me souviens d’une déclaration que mon frère aîné, Saïd, avait faite après la cuisante défaite militaire des arabes en 1967 face à Israël. Il m’avait dit a l’époque que les arabes avaient besoin de leçons humiliantes aussi importantes que celles qu’ils viennent de recevoir pendant des siècles avant qu’ils n’arrivent enfin à se réveiller de leur sommeil millénaire.

Claude: Je ne vois pas pourquoi les peuples arabes ne pourraient pas voir la vérité si elle est bien expliquée. Pour critiquer, il faut être bien renseigné. Il faut aussi être honnête et capable de faire la part des choses. Je ne vois pas pourquoi les arabes ne verraient pas qu’une grande part des problèmes actuels vient du mode de leur passé politique. Je ne vois pas comment on peu blâmer la religion pour l’immobilisme dans lequel les arabes sont fixés depuis des décennies en rapport avec le développement industriel et l’évolution du monde. Même si la politique découle de leur religion, ce n’est pas l’Islam qui est à blâmer mais les leaders religieux ou autres qui n’ont pas dirigé leur peuple vers la bonne destination.

Mansour: Déjà, je vois à travers les réactions des citoyens arabes rapportées par la presse internationale, que plutôt que de chercher les véritables raisons de cette débâcle aussi bien militaire que politique de l’Irak, les populations arabes continuent à se chercher des boucs émissaires, comme l’influence d’Israël sur l’Amérique ou même la faiblesse de leurs propres gouvernements. Mais ils refusent de reconnaître que c’est peut être leur propres cultures et leurs valeurs sociopolitiques qui sont à l’origine de leurs malheurs d’hier, d’aujourd’hui et même de demain.

Claude: Ce n’est que le temps qui redressera la situation. On ne peut blâmer les peuples qui ont confiance dans leurs leaders, ni la religion qui les a produits ou dans ou par laquelle ils exercent leur leadership. Comment peuvent-ils penser que c’est leur culture ou leurs valeurs qui les ont amenés à cette croisée des chemins. Est-ce bien là la raison de leur débâcle ou n’est-elle pas ailleurs ?

Mansour: Le grand mythe chez les arabes de toujours, c’est qu’ils ont toujours confondu l’empire islamique avec un prétendu empire arabe qui n’a jamais existé entre parenthèses. Il y a eu une civilisation islamique qui a dominé le reste du monde pendant des siècles, mais cette civilisation a été en fait le produit non pas des arabes musulmans mais des Iraniens en particulier et des tribus nord africaines qui ont, après tout, conquis l’Espagne. Ensuite cet empire musulman avait été reconstitue au 17ième siècle par les ottomans qui ont dominé la Méditerranée, en particulier. La révolution industrielle qui s’est installée en Europe depuis le 18ième siècle a finalement fait sonner le glas pour la civilisation musulmane avec d’un côté l’affaiblissement progressif de l’empire Ottoman et l’émergence de l’impérialisme anglais et français.

Claude: Tu touches là, peut-être, la source du problème. La révolution industrielle et la faiblesse des chefs musulmans à la reconnaître et à s’y adapter.

Mansour: Il y a une chanson Kabyle assez récente qui décrit fort bien les conséquences du programme d’arabisation de toute l’Algérie, qui avait été lancé entre parenthèses par les militants Baathistes algériens à la fin des années 60 pour marginaliser l’apport de la culture française à la construction d’une nouvelle Algérie. Et dans cette chanson notre auteur Kabyle décrivait l’arabisation comme une importation massive d’opium pour endormir le peuple algérien à jamais. La chanson se termine en recommandant au peuple algérien de prendre encore un peu plus d’opium et retourner à son sommeil bien réconfortant car il est encore trop tôt pour se réveiller et faire face aux réalités.

Claude: La pertinence du thème de cette chanson est évidente. J’étais en Algérie le jour où cette arabisation a été décidée et j’ai été alors choquée de voir la façon subite qu’avaient choisi les dirigeants algériens pour l’appliquer. J’ai compris vite qu’elle ne correspondait pas à la réalité du pays, Ne serait-ce pas parce qu’une très grande quantité d’algériens ne savaient pas lire l’arabe. Du jour au lendemain, toutes les indications routières en langue française ont été enlevées pour être remplacées pas des indications en arabe seulement. Il n’a fallu que quelques mois pour que les enseignes françaises soient réinstallées devant les protestations de la population arabe elle-même. L’auteur de la chanson a bien compris que les dirigeants passés avaient gardé endormis leurs commettants et qu’ils continuaient le même stratagème. Dans le fond, c’était un cri pour que les Algériens se réveillent et réalisent dans quel état leurs chefs les maintenaient.

Mansour : Dans tes échanges récents avec Ali, je remarque encore une fois que tu sembles représenter les vues de tout le monde occidental, depuis la création du rideau de fer. Toutes les luttes de libération des peuples dominés durant les années 50 et 60 sont vues, que tu le veuilles ou pas, comme une tentative expansionniste du bloc soviétique et qu’il était tout à fait normal et même moral pour les USA de barrer la route à cet expansionnisme athée, communiste, et antidémocratique.

Claude: Je crois que tu simplifies vraiment les choses. Je sais faire la part des choses et je n’hésite pas à remettre en question mes opinions et mes analyses de situations politiques. Une preuve de cela est le message que je vous ai envoyé en rapport avec mes critiques récentes du personnage ti-Bush. Mes opinions ne sont pas coulées dans le béton. Souventes fois les luttes de libération furent réelles mais d’autres furent aussi motivées, financées, et supportées par le régime des Soviets. Ce sont celles protégées par ces derniers contre lesquelles les USA ont fait opposition. Je crois qu’ils ont eu raison d’intervenir car il ne devaient pas à tout prix laisser un tel système, pourri jusqu’à la moelle, prendre pied. Ce système éliminait le droit d’autodétermination des peuples, leur enlevait leur liberté, les démotivait, ne tenait pas compte de leurs talents individuels et faisait de chaque peuple un peuple sans dynamisme, sans espoir. Le seul qu’il avait était de voir l’État s’occuper d’eux, les instruire, les nourrir, les soigner.

Mansour: Même dans ton dernier message à Ali, tu as félicité les USA d’avoir donné la chance à l’Europe de l’est de sortir des fourches des soviétiques et de les avoir aidé à établir de nouvelles démocraties qui s’annoncent florissantes à ce jour. Ce que tu sembles oublier ou même refuser de reconnaître, c’est que les USA n’ont pas dépensé une seule balle pour libérer ces pays européens. Est-ce que tu as déjà oublié les révoltes Hongroises, Polonaises ou Tchèques durant les années 50-60. Qu’avait fait à l’époque la toute puissante Amérique pour venir en aide à ces pays.

Claude: Je ne dis pas que les USA sont les seuls auteurs de ce revirement spectaculaire à la démocratie des pays de l’Europe de l’Est. Les Dubcek, les Jean-Paul II, les Soljenitsyne, les Hongrois et combien d’autres ont aussi fait leur grande part. Mais les USA ont bien joué, ont bougé comme ils le pouvaient au bon moment et face à cette grande puissance mondiale qu’était devenu l’Empire soviétique, ils ont réussi à favoriser le renversement de cet empire maudit sans mettre le feu aux poudres. Je dis bravo! Tout vient à point à qui sait attendre.

Mansour: Mais mieux encore est-ce que tu penses réellement que c’est grâce à la bienveillance américaine que les démocraties en Europe de l’est ont eu la chance de gagner le respect des populations est-européennes ? Ne penses-tu pas que c’est principalement l’Allemagne qui supporte économiquement ces démocraties naissantes qui avait fait la différence.

Claude: C’est aussi grâce à plusieurs pays, dont l’Allemagne, que les pays de l’est se relèvent économiquement. Mon voyage, en URSS, trois mois avant la tombée du mur de Berlin en 1989, m’a amené en Biélorussie, aux pays baltes, en Russie, en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie et à Berlin Est. Il m’a démontré clairement que les populations de ces pays satellites de l’URSS en avaient soupé des Soviets et de leur système. Je ne suis pas du genre lorsque je voyage à ne regarder que les monuments. Au contraire, je rencontre les gens du pays, je communique avec eux, je pose des questions et je recherche leur opinion. C’est ce que j’ai fait durant ce voyage d’un mois derrière le rideau de fer. Les commentaires et les espoirs que j’ai recueillis, partout, furent les mêmes. Alors, ne me raconte pas que la démocratie a gagné la faveur des populations de l’Est à cause de l’Allemagne. Non, c’est surtout à cause de la dure vie qu’elles avaient vécue durant trop d’années sous le joug du régime socialiste-communiste de l’URSS.

Mansour: Finalement tu continues à nous dire que c’est grâce à l’Amérique que le monde s’est finalement débarrassé du bloc soviétique. Là aussi je ne suis pas d’accord avec toi. Le bloc soviétique n’a jamais été défait militairement par les USA. Ce régime s’est effondré par implosion et par la résistance américaine. Tout comme toute autre dictature, ce régime était voué à l’échec dès son départ. Je me souviens d’une visite que j’avais faite à mon frère Ali à Berlin est, en 1961. Déjà à l’époque, j’avais fait remarqué à mon frère qu’un régime où même les mannequins dans les magasins d’habillement n’avaient pas un sourire aux lèvres n’avait pas d’avenir à long terme. Dans l’histoire de l’humanité aucune nation n’a libéré un autre peuple. Les Indiens (de l’Inde) se sont libérés tout seuls. Les Chinois se sont libérés des Japonais sans attendre l’arrivée des troupes américaines ou anglaises. Les Algériens se sont libérés du colonialisme sans aucune assistance de qui que ce soit. Et même l’Europe se serait libérée du joug nazi, un jour ou l’autre, sans assistance de la puissance montante des USA. Est-ce que tu penses que les Anglais se seraient rendus à Hitler si les Américains n’étaient pas rentrés dans le conflit de la 2ième guerre mondiale ? Est-ce que tu penses que le reste de l’Europe se serait rendu pieds et mains liés à la domination temporaire des nazis allemands ?

Claude: Oui, beaucoup de vrai dans ce que tu dis. Mais en 2003, sans les USA, je crois que tous ces pays de l’Est seraient encore sous le même joug. Il est sûr qu’avec le temps tout change, car le temps guérit. Encore là, dans l’exemple des Nazis, tu sembles oublier l’importance de l’entrée en guerre des USA. C’est à ce moment-là que les choses ont changé (tout comme en 1914-18). Et heureusement, car s’ils étaient rentrés un peu plus tard, les nazis avaient la bombe atomique et tout sautait à Londres et Washington et Hitler régnait pour longtemps. Ce sont les scientistes nazis capturés par les USA qui ont fait la bombe qu’ils avaient développée en Allemagne. Et le plan Marshall, après la guerre, qu’en fais-tu, et qu’aurait fait l’Allemagne sans lui ? Et Ali, s’il ne favorisait pas le système des Soviets que faisait-il en Allemagne de l’est au lieu d’être en Allemagne de l’ouest ?

Mansour: Pour bien comprendre le point de vue d’Ali, il faudrait que tu voies l’évolution du monde de la manière dont je te l’ai décrite plus haut. Nous, les gens appartenant à des sociétés qui ont dû souffrir pour se libérer, ne nous sommes jamais posés le problème de la guerre froide. Nous avions autant de révulsions autant pour les actes des Américains que pour ceux des Soviétiques. De plus, nous avons toujours été conscients que les peuples n’ont ce qu’ils méritent, en fin de compte. Quand les Vietnamiens ou les Algériens ont décidé de prendre les armes contre la France en particulier, ils ne se sont jamais posé la question géopolitique de savoir à quel camp ils devaient appartenir dans cette guerre des géants américains et soviétiques. Nous avons une expression Kabyle qui définit précisément cet esprit: « il vaut mieux mourir debout que vivre à plat ventre ». Je comprends que tu ne puisses pas comprendre ce sentiment de soif de la liberté de la domination étrangère, car tu ne l’as jamais connu. Mais il faut nous comprendre.

Claude: Je ne comprends pas pourquoi tu dis cela. J’ai comme toi une grande soif de liberté. Je l’ai toujours eue. Certes votre situation est très différente car vous avez vécu sous domination étrangère totale. Ce fut le cas aussi pour nous les Canadiens français face à la conquête et à la domination britannique. Nous sommes encore là. Et après 300 ans, forts et libres. Et cela n’est pas le fruit du hasard. La solidarité y est pour beaucoup. C’est aussi notre goût de liberté et d’autodétermination qui nous a permis de flotter et de rejoindre la rive où nous avons bâti. Oui, les Algériens n’ont pas pensé aux USA ou aux Soviets lorsqu’ils ont déclenché leur mouvement de libération. Je ne suis pas certain en rapport avec les Vietnamiens. Le problème est survenu après la conquête de l’indépendance où la question géopolitique a été posée. Les deux pays ont choisi le camp des Soviets et c’est pour cela, je crois que le Vietnam souffre encore d’une pauvreté inacceptable et que l’Algérie cherche toujours son chemin. Tu ne veux pas le reconnaître, mais humblement je te soumets que fondamentalement les problèmes actuels de ces pays viennent du choix qui a été fait lors de leur indépendance.

Mansour: Après ce tour de réflexions générales, revenons au sujet principal de notre discussion, à savoir l’avenir de l’Irak. Là, encore je me demande pourquoi tu crois dur comme fer que les intentions américaines dans ce pays sont altruistes. Faisons le tour de la soi-disant libération du peuple irakien grâce à l’humanisme illimité des Américains et des Anglais. Au fur et à mesure que les Américains déracinaient le régime de Saddam Hussein, pour soi-disant libérer le peuple irakien, la seule protection réelle que les troupes américaines ont assurée a été reliée au secteur des hydrocarbures. Aucun bureau de ce secteur fondamental n’a été saccagé durant toute la campagne d’invasion américaine. Par contre, tous les autres édifices publics ou gouvernementaux ont été saccagés au vu et au su des troupes américaines. Même les services d’état civil n’ont pas été épargnés. Ne parlons pas bien entendu de ce qui est arrivé au musée de Bagdad. En l’espace de 24 heures l’histoire millénaire de l’Irak a été oblitérée à jamais. Comment remplacer les vestiges de cette culture millénaire. Plus grave encore, maintenant on parle d’une opération internationale de pillage de ses vestiges culturels bien organisée et planifiée. Je sais que tu vas croire que j’essaies de trouver toutes sortes d’excuses pour salir l’oeuvre libératrice de l’Amérique en te disant que je n’exclus même pas que des services militaires américains aient été probablement à la source de cette crise contre l’humanité.

Claude: Je te fais remarquer que j’ai toujours été en accord avec toi, jusqu’au déclenchement de la guerre. Tu ne sembles pas avoir lu ce que j’ai écrit en rapport avec mon questionnement personnel. Je sais que les USA ne sont pas des anges qui ne visent qu’une place au ciel. Ils ont leurs intérêts. Mon point est axé sur la libération du peuple et de la tyrannie qu’il subissait. Je suis surpris de l’envergure de cette tyrannie, que j’ai apprise. Et cela m’a fait réfléchir. Si les Nations Unies avaient été écoutées par les USA, où en serions-nous. Si des armes de destruction massive avaient été trouvées, où en serions-nous? Je crois que les armes auraient été démolies, mais Saddam serait encore là pour tyranniser le peuple de ce pays et ses fils après lui. Comment faire pour régler ce genre de problème lorsque l’on le constate dans le monde. Voilà mon point, le seul but de ma question. Les diplomates des Nations Unies, qui n’ont rien dit pour dénoncer la gang à Saddam, sont-il tous aveugles ou sourds? N’ont-ils jamais rien vu ou appris

Mansour: Parlons un peu de l’occasion que les Américains ont donnée aux Irakiens pour finalement jouir des fruits d’une démocratie réelle. À ce sujet je ne te citerai que trois décisions prises par les Américains amoureux de la démocratie. Tout d’abord parlons du soi-disant président de l’union démocratique pour l’Irak, à savoir le fameux Chalabi. Ce n’est un secret pour personne depuis le début de la campagne militaire américaine en Irak que le «pentagon» a déjà choisi cet individu pour diriger le régime futur de l’Irak à la solde de l’Amérique. Maintenant nous apprenons que ce triste individu a déjà été condamné à 24 ans de travaux forcés en Jordanie pour avoir détourné plus de 70 millions de dollars d’épargnes de Jordaniens. Mieux encore, ce même personnage est recherché par les justices Libanaises et Suisses pour les mêmes raisons. Voilà ce que l’Amérique a trouvé de bon pour diriger la fameuse démocratie naissante irakienne qui va donner un exemple au reste du monde arabe. Mais parallèlement au choix de Chalabi comme le nouveau flambeau de la démocratie irakienne, les Américains n’ont pas hésité à affirmer que si le jeu démocratique n’arrive pas à sacraliser un régime soumis à leurs désirs, ils n’hésiteraient pas à arrêter le processus démocratique et empêcher un régime sympathique à l’Iran de s’installer en Irak. Voilà la démocratie à l’américaine au vu et au su de tous. Je partage la finalité des objectifs américains en Irak, mais j’ai au moins l’honnêteté de reconnaître que le seul moyen de lutter contre ce fléau militantisme, obscur et islamiste dans le monde arabe, c’est de savoir que la démocratie telle qu’appliquée dans le monde arabe aujourd’hui ne peut qu’aboutir à des régimes islamistes.

Claude: Attends, attends que tout soit fait avant de critiquer. Tu t’alimentes de ragots donnés à la télé et tu en fais des dogmes. Attendons. J’ai confiance que le bon sens primera. Et si les Américains sont incapables de réussir l’imposition d’un régime démocratique, il est possible qu’ils partent. Une chose est certaine, ils ne veulent pas d’un régime fondamentaliste. Je crois que tu es en accord avec cela. Ils trouveront sûrement la formule que tous recherchent afin d’obtenir une démocratie sans contrôle par les fondamentalistes. Une constitution bien pensée peut définir les paramètres de la démocratie dans le pays. Et pour changer une telle constitution, cela demande plus du 2/3 des votes. Beaucoup de pays dont le Canada ont de tels paramètres. Nous, par exemple, nous sommes un état fédéral, avec des minorités importantes, et ce n’est pas le suffrage universel qui élit le chef d’état, ce sont les membres élus du parlement. L’Iran a eu les fondamentalistes chiites sous Khomeiny et a maintenant élu, lors d’élections démocratiques, un gouvernement moins fondamentaliste, moins à gauche et à l’encontre de Khomeiny Le peuple n’est pas fou. Il sait bien finalement que toutes les simagrées des islamistes ne mènent à rien et n’hésitent pas à les renverser au moment propice. Au moins, faut-il qu’il en ait les moyens et qu’il ait un véritable choix de dirigeants honnêtes et disponibles pour bien mener le pays.

Mansour: J’en connais un bout à ce sujet après les élections législatives algériennes de 1991. Heureusement que l’armée est intervenue à la dernière minute pour empêcher l’Algérie de devenir la deuxième république islamiste dans le monde.

Claude: Et le serait-elle encore aujourd’hui? Est-ce que ces barbus ne seraient pas déjà renversés? Le peuple en a eu assez du gouvernement. Il a réagi. Il peut réagir encore et l’aurait probablement fait. Ne pas reconnaître cela c’est s’emprisonner dans une pensée sans issue où seule la crainte gère les données. Je sais que tu penses que les islamistes au pouvoir auraient éliminé toute possibilité d’élection générale future. Mais je n’y crois pas.

Mansour: Hier, je discutais avec un ami algérien autour d’un café express à Washington et nous étions tout de même obligés de reconnaître que la société américaine, malgré sa politique extérieure aventuriste, a tout de même réussi à évoluer à tel point que les USA d’aujourd’hui sont réellement une société multiculturelle. Quand onfait une demande de travail dans ce pays, il importe peu que nous soyons d’origine africaine, arabe, ou asiatique. Tout ce qu’on cherche à travers la demande d’emploi est la qualification de l’individu. Il y a bien entendu encore des défaillances, vis-à-vis des femmes en particulier ou même des origines de l’appliquant, mais ce n’est certainement pas aussi flagrant qu’en Europe, en France ou en Allemagne. Comme on dit, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Et l’Amérique a certainement beaucoup de choses à apprendre au reste du monde en ce qui concerne la cohabitation de différentes cultures sous le même ciel. Qui aurait pensé, par exemple, qu’un médecin formé en Algérie aurait une chance quelconque d’aspirer à devenir directeur du plus grand centre de recherches médicales du monde, NIH. Et pourtant, c’est un émigré algérien qui est aujourd’hui à la tête de ce centre de recherche. Plus étonnant encore, c’est le président américain le plus proche d’Israël qui a eu le courage de choisir cet algérien et arabe pour diriger un centre qui est dominé par la juiverie américaine comme tu le sais. Mieux encore, sans l’appui du lobby juif dans le secteur médical, cet algérien n’aurait même pas la chance de se faire considérer par le président américain, encore moins devenir son choix pour ce poste important et prestigieux. Cet exemple à lui seul me démontre que l’Amérique et peut être le Canada sont les seuls pays au monde qui sont arrivés tout de même à faire la distinction entre les positions politiques prises par qui que ce soit et la contribution au bien social en général que cet individu est capable d’y apporter. Et c’est toujours la contribution au bien être social qui l’emporte toujours dans la sélection des individus à des postes de commande.

Claude: Voilà une belle constatation de ce qui se fait de bon dans ce pays. C’est sa force. Il a certes encore beaucoup de problèmes, mais l’Amérique est l’endroit au monde où il est reconnu que la valeur de l’individu compte pour son développement et celui du pays. On mise sur les talents et on favorise qu’ils germent et poussent dans une atmosphère de liberté incomparable. Les USA sont un des plus grands pays au monde. Ils ne sont pas forts pour rien. J’aime beaucoup y être car j’aime ce peuple. Je l’admire. Je suis toujours surpris par son patriotisme, sa capacité de travail, son esprit innovateur, son sens d’organisation, son esprit de famille et son rêve qu’il appelle «the american dream». C’est un pays d’émigrés et quelque soit l’origine d’un américain, il peut réussir et aller aux plus hauts sommets. C’est un pays vraiment exceptionnel où règnent la liberté et la démocratie. Malgré qu’il soit actuellement dirigé par le pire président qu’il ait eu depuis son indépendance, il progresse toujours. C’est la démonstration de la force de son peuple et de ses convictions.

Mansour: Je suis d’accord avec les qualités que tu énumères et, comme tu vois, je reconnais les bons aspects de la société américaine, mais cela ne m’empêche pas de dénoncer d’autres aspects qui sont totalement contre le courant de l’histoire de l’humanité. Les Américains eux-mêmes ont un fameux diction qui résume très bien ce que je pense de l’attitude de l’Amérique vis-à-vis du reste du monde: » you can fool some people sometimes but you cannot fool all the people all the time ». La victoire-éclair en Irak aura probablement des conséquences favorables vis-à-vis des positions américaines géopolitiquement à court terme. Mais à moyen et long terme, j’en doute. Tout d’abord le peuple palestinien n’acceptera jamais le dernier diktat de Bush à l’OLP. La vieille génération de soi-disant nationalistes palestiniens vivent déjà dans le passé. Une nouvelle génération de leaders de la cause palestinienne sortira justement des mouvements violents qui refusent de baisser les bras devant la puissance militaire israélienne. Pour ce qui est du reste du monde arabe, je pense que les régimes actuels qui ont tous directement ou indirectement soutenu l’aventure américaine en Irak, se rendront finalement compte que cette position ne les aidera pas à améliorer le sort des populations qu’ils contrôlent. Et il arrivera un jour où ces populations se révolteront contre les régimes d’aujourd’hui. Dans 10 ou peut être 20 ans, nous verrons une nouvelle phase du nationalisme arabe, mais qui sera cette fois-là, violemment opposée à la domination américaine dans cette région. Si aujourd’hui, il n’y a que les jeunes palestiniens qui sont prêts à sacrifier leur vie pour leur cause sacrée, demain je pense qu’il y aura aussi des jeunes Irakiens, Égyptiens, Saoudiens, Yéménites etc,, qui le feront avec joie. Nous assistons actuellement à la préparation de toutes les conditions pour un nouveau conflit du Vietnam pour l’Amérique omnipotente.

Claude: Tu sembles penser que la bataille en Irak est terminée. Je crois que ce n’est pas la fin car les Américains visent surtout le pétrole et la dispute sur ce sujet s’élèvera vite entre les Chiites, les Sunnis et les Kurdes. De plus, il me semble que les Kurdes veulent leur indépendance et le fait que les Américains soient très «chummer» avec eux les favorise. Chacun veut sa part. Les Chiites veulent le pouvoir car les Sunnis l’ont exercé trop longtemps avec Saddam. Et les Sunnis, nonobstant ce qui arrive à Saddam, sont très politiques et ne sont pas prêts à ne pas avoir un mot à dire dans l’Irak de demain. De plus, je serais surpris que tous restent chez eux à attendre que les Américains quittent leur pays et acceptent Chabali, le président que les USA veulent leur imposer. Globalement, ils semblent heureux que Saddam soit parti, mais le seront-ils devant l’occupation des Américains et des membres de la coalition qui se dessine. Je ne le crois pas. Comme tu vois, il y a beaucoup de problèmes à l’horizon. N’oublies pas qu’à toute action, il y a une réaction. Je crains que celle-ci soit très forte Irak bientôt.

Mansour: Quant à Ali, je t’avoue que je suis étonné par ses réactions vis-à-vis de la crise Irakienne. Il a été totalement bouleversé, tout d’abord par l’incapacité du reste du monde à barrer la route à l’aventure américaine en Irak, mais surtout par l’apparente apathie du peuple irakien lui même devant cette invasion. En tant qu’ancien moudjahid lui-même, il n’arrive pas à comprendre pourquoi le peuple irakien n’a pas résisté comme le peuple palestinien le fait depuis plus de50 ans. Mais je continue à croire qu’il arrivera à surmonter ce mauvais moment et se remettra à réfléchir sérieusement à ses mémoires qui sont plus importantes, je pense.

Claude: Il me semble être un homme très sensible. Il a vécu une vie de combat et est peut-être aujourd’hui renversé que les jeunes ne réagissent pas comme il l’a fait dans sa jeunesse. Mais le temps passera et j’espère qu’il acceptera finalement d’écrire ses souvenirs.

A très bientôt.