le 17 septembre 2003


Ce dialogue porte sur les dires de Claude dans le dialogue no. 60 en rapport avec le Chili et son ancien président Allende ainsi que le rôle qu’ont joué les USA dans ce drame.

Le 17 septembre 2003

Mansour: Ce qui est très encourageant avec toi c’est que nous pouvons discuter honnêtement de sujets même si nos positions sont diamétralement opposées comme c’est le cas avec Allende, sans pour autant remettre notre amitié en cause. D’après toi, le Chili aurait eu le même sort que Cuba ou même l’Algérie si Allende avait été permis de mettre en oeuvre son programme politique socialiste. Mais si ma mémoire ne me trahit pas je crois qu’Allende a utilisé les urnes pour prendre le pouvoir au Chili, contrairement à Fidel Castro et Ben Bella. C’est le peuple chilien qui l’a préféré aux candidats d’extrême droite qui avaient dominé la vie politique du Chili pendant des décennies. De plus, contrairement à Ben Bella qui avait promis d’envoyer tous les bourgeois algériens au bain turc pour les faire suer, Allende n’a certainement pas émis l’idée de lancer une révolution économique dans son pays. Si ma mémoire me sert bien, je ne me souviens pas de nationalisations importantes décidées par Allende. Mais apparemment, tu lui reproches à ce jour d’avoir choisi le camp des paysans sans terre contre les grands propriétaires terriens ou les miniers contre la compagnie Anaconda.

Mais ce qui m’a réellement surpris dans ton message c’est ton apparente justification de la prise de pouvoir au Chili et de tout ce que son régime a fait pendant plus de 20 ans au peuple Chilien. Apparemment d’après toi la dictature aussi atroce qu’elle soit est après tout justifiée si elle aboutit à une économie croissante à long terme. Il ne fait de doute que le Chili d’aujourd’hui se porte bien mieux que par le passé, mais justifier cet état par la prise de pouvoir par Pinochet en renversant un président élu légalement par tout le peuple chilien m’échappe entièrement. N’oublies pas qu’il a y a eu tous de même des expériences où le socialisme a bien réussi, notamment en Espagne ou au Portugal qui ont en fait connu des régimes à l’image de celui établi par Pinochet au Chili, avec l’assistance de la CIA bien entendu. Comment peux-tu oublier les milliers de chiliens exécutés dans les stades et enterrés en «mass graves».

Tu ne peux pas comprendre mon raisonnement car tu n’as pas vécu les massacres français en Algérie le 8 mai 1945. Plus de 40,000 Algériens ont été massacrés dans les stades ce jour-là. Le jour même où le monde entier s’était enfin débarrassé d’Hitler et de sa démagogie, des milliers d’algériens étaient immolés dans les stades algériens tout simplement parce qu’ils demandaient les mêmes droits universels. Je voudrais aussi te signaler que ta comparaison de la situation du Chili avec Cuba et l’Algérie me parait un peu tirée par les cheveux comme on dit. Tout d’abord, comment peux-tu comparer les sociétés chiliennes et algériennes. Le Chili était à tout point de vue au même niveau culturel que le Canada au moment de la révolution d’Allende. Mieux encore le Chili était, si ma mémoire ne me trompe pas, le pays le plus éduqué de l’Amérique latine. Dans les années 70, j’ai eu l’occasion de rencontrer des Chiliens en Algérie même. Leur niveau d’éducation m’avait énormément étonné. Il ne faut pas oublier qu’à cette période déjà le Chili avait un système de chemin de fer le plus opérant dans l’hémisphère du sud. De plus ce système avait une élite qui avait été formée dans les plus grandes écoles de transport françaises. La gestion du système ferroviaire chilien n’avait rien à voir avec le système français au moment où Allende avait pris le pouvoir. Alors s’il te plait ne compare pas l’Algérie au Chili.

Pour ce qui est de ta comparaison avec Cuba, tu sembles oublier les effets du blocus américain sur cette île. Mais malgré toutes les difficultés que le régime de Fidel Castro a dû surmonter est-ce que tu peux me dire aujourd’hui que les enfants cubains sont plus malheureux que les enfants de n’importe pays des Caraïbes ou de l’Amérique latine. Même la banque mondiale a été obligée de reconnaître que le système sanitaire de ce pays, ou même le système éducation sont les meilleurs du monde à ce jour. A mon tour laisses-moi comparer le Cuba de Fidel Castro avec l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui. Voilà une petite île des Caraïbes étouffée par la hargne américaine, qui pourtant a réussi à continuer à développer ses services sanitaires aussi bien qu’éducationnels, malgré le fait que Cuba n’a pas une seule goutte de pétrole. Par contre, l’Algérie produit plus de 1.2 millions de barils par jour d’équivalent de pétrole et pourtant son système sanitaire est complètement à la dérive. Aujourd’hui, nous avons non seulement une épidémie de choléra même nous revivons une fois de plus le fameux roman d’Albert Camus : La peste à Oran. Ne parlons pas du système éducatif en Algérie qui continue à ce jour à créer de nouvelles recrues d’el Quaïda. Ce n’est certainement pas mon intention de t’irriter à ce point, mais franchement notre avant dernier dialogue m’a fait réfléchir et m’a tout de même obligé à te donner mon point de vue sur tes pensées concernant Allende que j’ai toujours pensé être le nouveau Gandhi de l’Amérique latine mais que les USA ont tué froidement avant même qu’il ait la chance de commencer ses reformes.

Claude: Merci de ton message en rapport avec Allende dont on vient de souligner, le 11 septembre, le 30ième anniversaire de sa mort. Tu n’y vas pas de main morte. Je crois avoir été mal compris ou je me suis mal exprimé. Il me semble que tu fais un peu de démagogie.

Voici ce que je t’ai dit: «Mais prend le cas du Chili, Allende élu, il a une politique très à gauche, il apeure les gringos, ils le tuent et choisissent Pinochet qui contient la révolte et avec une main de fer établit l’ordre, celui-ci tue des milliers de Chiliens et aujourd’hui est honni. Depuis le pays a retrouvé la voie démocratique et la prospérité. Où en serait le pays si Allende avait gardé le pouvoir? Un pays pauvre comme Cuba, l’Algérie, les ex-pays derrière le rideau de fer ?». Je te posais une question et j’ai voulu te provoquer. Il semble que j’ai bien réussi car tu m’as servi un plaidoyer magistral. J’ai aussi dit: «Ne crois pas que je suis en accord avec ce qui est arrivé à Allende. Je te parle seulement de résultats que les USA ont voulus et obtenus. Je suis convaincu qu’Allende n’aurait jamais pu abolir les élections au Chili. S’il n’avait pas fait l’affaire comme président, il aurait été remplacé démocratiquement à la prochaine élection». Je parlais surtout des USA et de leur politique, écoute moi à nouveau: «Mais les USA étaient plus pressés que cela et voulait contenir le montée de la gauche en Amérique latine qu’ils qualifiaient de communiste. Quand à Cuba, Fidel n’avait pas encore déclaré qu’il était communiste, mais il avait rendu légal le parti communiste de Cuba et était entouré de communistes notoires. De plus, avec la réforme agraire, il a exproprié des compagnies américaines en leur donnant peu de compensations. Les USA ont jugé qu’il devait partir. Mais il est encore là et c’est tout à la gloire de Fidel».

Je n’ai jamais comparé le Chili à Cuba ou à l’Algérie. Je connais très bien l’histoire de ces trois pays et leur révolution a été totalement différente. Quant aux Chiliens, j’ai le privilège d’en connaître quelques uns et j’ai eu à l’Expo 67 une rencontre avec l’ambassadeur du Chili au Canada et plusieurs Chiliens qui l’accompagnaient dans une réception à Montréal. J’ai eu alors l’occasion de discuter longuement avec ces Chiliens et j’ai vite remarqué qu’ils étaient des gens très bien éduqués. Ils m’ont parlé de leur pays. J’ai lu beaucoup après cette rencontre sur le Chili et j’ai compris que c’était le pays le plus avancé en Amérique latine. Alors comment peux-tu penser que je mets le Chili, l’Algérie et Cuba dans le même panier? Et comment peux-tu penser que j’accepte un instant les massacres et les disparus de l’ère Pinochet ?

Comme toi, j’admire Allende et l’ai toujours fait. Cependant, on ne sait pas, aujourd’hui, ce que serait le Chili s’il était resté au pouvoir. Comme toi, j’ai toujours dénoncé les actions de Nixon et de la CIA, qui d’ailleurs ont été connues et confirmées depuis.

A bientôt