le 18 janvier 2004


Ce dialogue traite de la descente aux enfers du candidat Dean dans les primaires, de la montée de John Kerry et aussi de l’attitude du Canada envers le président Bush.

Le 18 janvier 2004

Mansour: Je sais que je vais te faire rire aujourd’hui avec le sujet que je vais aborder avec toi. Je viens juste de regarder, sur le canal américain C-Span, un programme sur l’épouse de John Kerry, sénateur du Massachusetts. Je ne sais pas pourquoi, mais à travers ce programme, je commence à changer d’avis au sujet de la candidature de John Kerry pour les présidentielles de 2004. Je pensais que Hillary Clinton était très politisée mais l’épouse de John Kerry a démontré qu’elle est très au courant des problèmes de ce pays. Et pourtant elle est originaire du Portugal, mais elle s’est mariée à un des plus riches américains, l’héritier de Heinz. Ceci étant dit, voilà une bonne femme qui parle aussi bien l’anglais que le français et le portugais et un grand nombre d’autres langues étrangères. Maintenant, je comprends pourquoi John Kerry, à la dernière minute, arrive à devancer aussi bien Howard Dean que Guephart qui est lereprésentant des syndicats des travailleurs américains qui sont très puissants dans l’état de l’Iowa. Si ce mouvement d’ascension rapide de John Kerry dans les sondages persiste, je me demande combien de temps Howard Dean aura avant de jeter l’éponge et accepter le leadership de John Kerry. Il y a bien entendu le cas du général Clark, qui lui aussi semble remonter rapidement dans les sondages et surtout arrive à collecter des sommes énormes d’argent ces derniers temps.

Claude: Je ne prévoyais pas la montée de Kerry à cause de sa femme mais surtout à cause de `ses capacités personnels et la façon avec laquelle il s’exprime sur la politique américaine. Je t’en ai parlé dans un dialogue précédent. J’ai écouté plusieurs débats depuis une semaine et à mon avis Kerry les a tous remportés. Il est fort politiquement et commence à le faire voir. Cependant, je crains qu’il soit trop tard et j’ai l’impression qu’il arrivera deuxième ou troisième et que Dean l’emportera. Ce dernier a beaucoup d’appuis importants dans le parti. La démagogie qui a déferlé sur lui depuis une semaine l’a blessé mais pas tué et il s’en remet vite. En fin de compte, je crois que l’électeur de l’Iowa fera la part des choses et choisira le candidat le plus intéressant et le plus vrai. De toute façon les Démocrates, sont en train de se mettre sur la «map» avec ce caucus et les primaires qui viennent et se redonnent l’énergie pour aller battre ti-Bush.

Mansour: Je crois maintenant que nous allons être obligé d’attendre les élections primaires de la Californie avant de connaître celui qui sera élu comme représentant des démocrates aux élections prochaines. Mais ce qui me fait peur c’est que des primaires qui s’allongent à n’en plus finir ne seront qu’au détriment des chances des démocrates de reprendre la Maison Blanche. Ce qui me fait le plus peur pour le moment c’est que les supporters de Howard Dean, dégoûtés par toutes les attaques contre ce dernier par tous les autres candidats démocrates feront tout pour empêcher le candidat choisi par les démocrates de battre ti-Bush. Cette campagne électorale me rappelle celle de 1968, où Hubert Humphrey avait été désigné par l’appareil du parti sans tenir compte de tous les démocrates qui s’étaient mobiliser derrière Eugene McCarthy et qui s’est terminée par les massacres de Chicago. Et j’ai bien peur aujourd’hui que ce parti est sur la même voie et finira par le déchirer de l’intérieur.

Claude: Ce serait vraiment extraordinaire et à l’avantage du parti Démocrate si une telle lutte serrée durait jusqu’à la primaire de la Californie et qu’à la fin aucun candidat n’ait la majorité des délégués au congrès. Ainsi le choix du candidat Démocrate à la présidence ne serait pas décidé avant le congrès qui deviendra le congrès le plus intéressant depuis des décennies. Une compétition de si bons candidats attirera les regards et l’intérêt de tous les américains, fera la une des journaux durant tous ces longs mois et amènera le candidat démocrate à l’élection présidentielle sur une vague de publicité incroyable. Je plains ti-Bush si une telle éventualité se précise. Cependant je doute que cela arrive, mais qui sait… Je suis certain que tous les candidats se rallieront derrière le gagnant. Les supporteurs de Dean, comme les autres, s’il ne gagne pas. Nous ne sommes pas à Chicago, loin de là car l’Irak n’est pas le Vietnam. Et ces racontars qui présument que les supporteurs de Dean se révolteront devant une défaite de leur favori n’est, encore une fois, qu’une information malhonnête semée par un de ses adversaires pour le discréditer. Les Américains jouent dur en politique et frappent même en bas de la ceinture. C’est malheureux, mais c’est comme çà!

Mansour: Je crois que je t’avais demandé de me donner ton point de vue au sujet du changement de leadership au Canada. J’avais même fait allusion au rapprochement du Canada avec les USA, ne serait ce qu’au sujet de l’Irak. Mais à ce jour, je n’ai eu aucune nouvelle concernant ce changement politique au Canada. En tous les cas, j’ai l’impression que le nouveau chef de gouvernement du Canada, Paul Martin, semble avoir décidé de s’éloigner de la politique du gouvernement précédent qui favorisait un rapprochement vis-à-vis de l’Europe d’une manière générale et de rapprocher des USA, malgré les succès du précédent premier ministre aussi bien dans le domaine économique et social qu’au niveau politique. Pour une fois, le Canada semblait avoir un politique mondiale indépendante du grand cousin du sud et qui avait tout de même rehaussé la position du Canada sur l’arène politique internationale.

Claude: Je vois que tu ne connais pas bien le Canada. Nous avons toujours eu une attitude indépendante envers les USA, sauf à quelques occasions pendant les années du PM Mulroney qui pensait qu’il était difficile pour une souris comme le Canada de coucher avec un éléphant sans risquer de se faire écraser. Libéral ou conservateur, les Premier Ministre canadiens contemporains ont généralement pris une attitude politique indépendante envers les USA ne serait-ce que pour répondre aux désirs des Canadiens qui veulent cela. Pearson qui a gagné le prix Nobel de la Paix, Diefenbaker, Trudeau, et Chrétien ont tous agi dans ce sens. Notre attitude de soumis était beaucoup plus avec l’Angleterre qu’avec les USA. En 1900, lors de la déclaration de guerre des Anglais contre les Boers en Afrique du Sud, le Canada a joint immédiatement Royaume-Uni pour aller faire si loin une guerre qui n’était que pour le profit de l’Angleterre qui voulait l’or et les diamants. En 1939, nous avons joint les Anglais dès le lendemain de la déclaration de guerre de Churchill alors que les USA n’ont embarqué dans la guerre qu’en 1941. Ce temps-là est enfin révolu et la guerre de l’Irak nous a permis de démontrer finalement notre indépendance face à la couronne britannique.

Mansour: Ceci étant dit, je comprends très bien la dépendance du Canada vis-à-vis des USA au niveau économique. Mais est-ce quec’est la seule raison pour pousser le premier ministre Martin d’abandonner une politique d’indépendance vis-à-vis de ce voisin trop dominant depuis près d’une décennie ou est-ce que le Canada a abandonné ses intentions non seulement de se libérer de l’oppression politique de son géant au sud de ses frontières, mais d’abandonner sa politique de rapprochement avec le vieux continent ?

Claude: Je ne crois pas que Martin changera la politique extérieure de son prédécesseur. Ti-Bush est le seul responsable des relations tendues que le Canada a vécues récemment avec son voisin du sud. Nous avons toujours eu des relations normales dans le passé avec ce grand pays car nous aimons bien et admirons fortement les Américains et leurs réalisations. Il faut aussi réaliser, qu’aujourd’hui, ti-Bush «is mending his relations», comme dit la presse, avec le Canada tout comme cherche à le faire avec le Mexique, la France, l’Allemagne et un très grand nombre de pays dans le monde. Jamais les relations de ce grand pays ont été si mauvaises avec autant de pays à cause de ce président qui se vante d’avoir inventé une doctrine nouvelle la «preemptive strike». Quel con! Ce qui fait le plus mal au Canada dans le fond, ce n’est pas les grimaces de ti-Bush mais la baisse du $US, qui a créé encore, ce mois-çi, 20,000 nouveaux chômeurs dans les industries québécoises. C’est une politique protectionnisme injuste de ce président et elle est contraire aux ententes du libre-échange. Martin est un pragmatique et veut corriger la situation tout en sachant que la population canadienne n’acceptera pas qu’il se mette à genoux devant ti-Bush. Nous voulons pouvoir décider de chaque grande décision sur la base de ce qui est juste et bon pour le Canada et le monde. Je crois que Martin a un tel sentiment personnel. Par ailleurs, nous voulons de bonnes relations avec la Communauté Européenne car nous réalisons qu’elle devient un groupement de 350 millions de personnes et qu’elle est, et le sera encore plus dans l’avenir, une force économique et politique importante au fur et à mesure que se forgera l’unité entre ses composantes. Il est certain que Martin comprend bien cela et voudra continuer les politiques positives de rapprochement que Chrétien a fait valoir avec le vieux continent.

Mansour: Par contre, il ne fait pas de doute que Martin a donné des assurances substantielles a ti-Bush, pour que ce dernier annonce durant la réunion du continent américain que le Canada ne sera plus exclu des marchés concernant la reconstruction de l’Irak. Est- ce que cette nouvelle politique est populaire au Canada ? Je te serais très reconnaissant de me donner ton analyse des choses concernant ces apparents virements de positions politiques de ton pays vis a vis des USA et de l’Europe.

Claude: Chrétien a annoncé avant son départ que ti-Bush lui a confirmé qu’il acceptait que le Canada soumissionne sur les projets de reconstruction de l’Irak. Donc ce n’est pas une initiative de Martin et il ne s’est pas mis à genoux pour l’obtenir. Par contre, Martin a repris l’argumentation de son prédécesseur en rappelant au président que nous avons versé à ce jour 300 millions $ à la reconstruction de l’Irak, que nous participons à la formation de son corps policier, que nous participons activement à la guerre de l’Afghanistan où nous avons actuellement plusieurs milliers de soldats pour assurer la paix en plus de fournir des experts pour la formation dans le domaine de la sécurité,et que nous serons probablement prêt à effacer une partie de la dette canadienne de l’Irak pour aider le pays à s’en sortir économiquement. En somme, j’ai l’impression qu’il a convaincu ti-Bush avec ses arguments et a pu ainsi lui faire confirmer publiquement que le Canada serait invité à soumissionner lors du 2ième stage des soumissions. Je ne crois pas que c’est un virement de nos positions politiques mais une attitude pragmatique face à la situation existante.

À bientôt