le 5 août 2002


Ce dialogue traite passionnément de la situation des Palestiniens dans leur conflit avec Israël.

5 août 2002

Mansour: Je présume que tu es étonné des positions américaines vis-à-vis de la question du Moyen-orient et notamment celle concernant le peuple palestinien. Personnellement, je ne m’attendais pas à quelque chose d’autre de l’Amérique. Je voudrais te rappeler tout simplement que l’Amérique a été le premier pays occidental à reconnaître l’état d’Israël avant même la Grande Bretagne qui avait déjà promis l’établissement d’un état d’Israël en 1936 ou 37 avec sa fameuse déclaration de Belfort, obtenue par la force des armes de la diaspora juive, notamment celle provenant de la Pologne et de la Grande Bretagne en particulier. Mais en ces temps, le terrorisme était considéré comme une arme noble entre les mains des peuples opprimés. Aujourd’hui, que les palestiniens utilisent les mêmes armes que les Ben Gurion, les Yitzhak Shamir, etc. aussi bien le gouvernement américain de ti-Bush que le peuple américain dans sa grande naïveté trouvent que les véritables martyrs de cette tragédie humaine sont les Israéliens, et surtout s’ils sont d’origine américaine, comme ce fut le cas à l’université de Jérusalem dernièrement. Mais comme on dit souvent, la loi du plus fort est toujours la meilleure. Pour te dire la vérité, je n’en veux pas tellement aux USA et à son peuple. Leur ennemi juré dans la région du Moyen-orient est le peuple arabe d’une manière générale, car ils craignent qu’un jour ou l’autre ce peuple retrouvera son identité ancestrale et son histoire et se soulèvera contre tous ceux qui l’oppriment. Que de siècles ont passé avant que la nation chinoise ne se relève pour s’affirmer dans le concert des nations. Si en 1948, les peuples arabes étaient réellement unis contre la création de l’État d’Israël qu’ils qualifiaient de l’invasion étrangère juive, l’État d’Israël ne se serait jamais créée, d’une part, même s’il se forgeait à ce moment-là, si le président Harry Truman ne s’était pas empressé de reconnaître le nouvel état israélien malgré une résistance assez importante du congrès américain de l’époque. Et quand quelqu’un avait demandé à Harry Truman pourquoi il s’empressait de reconnaître le nouvel état juif, il lui aurait répondu: » Il y a combien d’arabes qui voteront aux prochaines élections » pensant notamment à l’état de New York ou l’électorat juif faisait déjà la balance du pouvoir entre les républicains et les démocrates. Le monde arabe d’aujourd’hui me rappelle beaucoup la décadence de l’empire persan face à l’émergence de l’Islam, religion expansionniste, en passant par les croisades et jusqu’à nos jours dans une certaine mesure. Je ne peux pas croire qu’avec une population arabe de plus en plus éduquée, le Moyen-orient restera dormant pour très longtemps. En fait, d’après un ami algérien de Washington qui a le «satellite dish» et qui voit régulièrement le poste de télé arabe El Djazira, même l’opinion saoudienne d’une manière générale est très enragée contre, non seulement les positions des USA vis-à- vis de la Palestine, mais contre leur propre gouvernement qui s’aligne avec ti-Bush en fin de compte. Ne parlons pas des peuples syriens, libanais, égyptiens qui ont déjà le meilleur niveau d’éducation dans la région, et qui malgré cela se trouvent étouffés par une misère de plus en plus tragique. Israël pense qu’elle peut venir à bout des Palestiniens pour un minimum de dignité humaine, mais elle semble oublier le fameux poème de Victor Hugo, le manteau impérial, où il terminait le poème en disant « et s’il en reste un je serai celui-la». Israël ne pourra pas exterminer le peuple palestinien. Tant qu’il restera un seul Palestinien vivant, Israël ne connaîtra pas la paix.

Claude : En effet, je ne comprends pas pourquoi personne ne veut reconnaître le mouvement de résistance des Palestiniens, tout comme les juifs qualifiaient leurs actions terroristes de mouvement de résistance avant la création de l’état d’Israël. La stratégie aujourd’hui est de les qualifier de terroristes pour cacher l’invasion d’Israël du territoire palestinien, tel que défini en 1967. Je regrette que les Palestiniens aient eu recours aux kamikazes. Ils ne se sont pas aidés en utilisant cette méthode de résistance. Cela a résulté dans trop de morts du côté israélien et du côté palestinien. J’aurais préféré que les palestiniens trouvent d’autres moyens pacifiques pour faire valoir au monde leur résistance à l’occupation israélienne. De plus, les pays arabes et musulmans auraient pu participer à la contestation non-violente en créant, par exemple, des embargos envers Israël par leur pays respectif. La violence ne mène nulle part. Je suis persuadé qu’avec le temps le bon sens aurait primé car il se trouve un grand nombre d’Israélites qui recherchent la paix et la justice sur leur terre, sur celle des Palestiniens et dans le monde.

Mansour: Je reviens maintenant à ce sujet où toi et moi n’avons jamais été d’accord. Comment peux-tu croire toujours que les Palestiniens, compte tenu de l’appui américain et même international donné à Sharon, doivent tout de même continuer à utiliser la non-violence comme leur seule arme de défense contre un Israël qui n’a jamais abandonné son rêve de construire son état couvrant toute la Palestine et même une grande partie de la Jordanie et de la Syrie ? Est-ce que tu penses qu’Israël et ses pourvoyeurs américains, seront disposés à reconnaître un état palestinien digne de ce nom ?. Il n’y a pas très longtemps le secrétaire d’état américain aussi bien que son chef juraient sur toutes les bibles du monde qu’ils allaient s’efforcer de créer un état palestinien réel. Tu sais très bien que je ne suis pas un arabe, bien au contraire, les arabes étouffent mon ethnie Kabyle en Algérie même. Mais je trouve que le drame des Palestiniens d’aujourd’hui est l’apogée de l’hypocrisie internationale. Voilà un peuple qui n’a jamais fait de mal à personne, et en particulier aux juifs qui ont vécu avec eux depuis des siècles, et qui se trouvent aujourd’hui esclaves des juifs qu’ils auraient pu exterminer sans difficulté aucune dans le passé. De plus, ils se voient accusés par toute l’opinion internationale d’être sauvages parce qu’ils ont utilisé la seule arme qu’il leur restait, à savoir le terrorisme pour amener Israël à reconnaître leur existence en tant qu’entité à part. Depuis les accords d’Oslo, les Palestiniens ont essayé la voie pacifique et diplomatique mais Israël a tout fait pour rendre ces accords caducs. Ils n’ont rien fait pour arrêter l’expansion des « settlements » dans les zones, jusque là occupées par les Palestiniens. De plus, Israël a tout fait pour rendre la vie quotidienne impossible aux Palestiniens de la rive gauche du Jourdan et de Gaza en les étouffant économiquement. Ne parlons pas de l’assistance internationale qui devait cimenter les premiers pas vers une paix durable entre les arabes et les juifs de la région. Au fur et a mesure que les mois et les années passent et qu’il n’y a pas de progrès ni sur le plan politique ni sur le plan économique, comment s’étonner aujourd’hui que le mouvement de l’OLP se retrouve marginalisé. Et cela au sein même du peuple qui l’a crée et supporté pendant des décennies alors que les mouvements à base religieuse islamiste, comme le Hamas en particulier, qui n’existaient même pas avant les années 70,se retrouvent en fait aujourd’hui comme les seuls représentants réels de ce peuple meurtri et abandonné par toute l’humanité. Israël et les USA refusent aujourd’hui de négocier avec un mouvement palestinien affaibli, mais demain ils seront obligés, tout comme la France de De Gaule l’a été avec le FLN, de négocier avec le Hamas qui est certainement plus difficile à manipuler qu’Arafat et son équipe de millionnaires (en dollars) qui l’entourent aujourd’hui. Malheureusement ce ne sera ni dans l’intérêt d’Israël et des USA et encore moinsdans l’intérêt à long terme du peuple palestinien, mais ce sera la conséquence de la politique aveugle et raciste des USA vis-à-vis des arabes, depuis plus de 70 ans.

Claude: Voilà aussi une réplique imposante. Je suis en accord avec tout sauf évidemment la non-violence, car, vois-tu, je crois que les décisions des chefs politiques dépendent de l’appui qu’ils peuvent retrouver chez leurs électeurs ou des votes qu’ils peuvent cueillir. Or, ti-Bush prend des positions anti-palestiniennes, de plus en plus fortes, car le peuple américain s’élève de plus en plus contre la violence et particulièrement celle venant de groupes terroristes. Ce phénomène est exprimé par les sondages américains récents. En somme, si le Hamas n’appliquait pas sa terreur, le Président ne pourrait se ranger si aisément du côté d’Israël. N’est-ce pas toi qui, au début de ce dialogue, rappelais Harry Truman et sa phrase en rapport avec sa décision de voter pour la création de l’état d’Israël à cause des votes juifs que sa décision apporterait à son parti ? Et cela n’a-t-il pas placé l’État de New York du côté démocrate depuis ce temps-là ? A mon avis, les Palestiniens auraient pu maintenir la pression en continuant l’Intifada du début avec le lancement de pierres par les jeunes, geste que je qualifiais de non-violence, ou organiser des campagnes de désobéissance civile, ou autres choses.… Ils seraient aujourd’hui beaucoup plus avancé vers leur objectif qu’ils le sont actuellement. Ils tournent dans une spirale infernale sans défense face à un opposant armé et meurtrier qui a su obtenir l’appui des USA. De toute façon, ils n’obtiendront jamais ce qu’ils veulent dans l’état actuel des choses et les négociations, si négociations il y a, ne leurs proposeront, même sans Arafat, que des miettes. Et les miettes ne sont pas acceptables pour un peuple fier. J’espère que je me trompe dans mon analyse. Je l’espère pour ce pauvre peuple Palestinien. On verra bien si cette campagne de terreur leur apportera quelque chose. Il faudrait au moins que Sharon disparaisse et ne soit plus le PM d’Israël. Il faudra aussi que l’opinion publique en Israël exige un changement de politique (la baisse de popularité de Sharon de 9% publiée ce matin est un bon départ). Il faudrait aussi que les démocrates gagnent les élections législatives qui s’annoncent. Cela fait beaucoup de «si» et comme tout est volatile, tout ce que je viens de dire peut ne pas se réaliser. Les Palestiniens seront où alors ?

Mansour: Je comprends ce que tu dis mais je ne peux partager ton opinion en rapport avec les actions à prendre par les Palestiniens. J’ai vidé mon sac d’une manière un peu passionnelle aujourd’hui, mais je ne peux pas m’empêcher de m’emporter quand je pense à tout ce que ces pauvres Palestiniens ont souffert depuis le début du 2ième siècle et qui, malgré tout cela, se retrouvent sali quotidiennement par toute l’opinion internationale tout simplement parce que ce peuple ne veut pas disparaître à jamais.

Claude: Ce dialogue a été pour moi captivant. Merci encore et continuons nos conversations à bâtons rompus, même si souvent nous nous trouvons en opposition l’un à l’autre.

A bientôt mon ami.