Chapitre6:Pendantcetemps,auQuébec…


Faut-il tuer l’Opéra ?

Avant que ne se lève le rideau, laissez-moi vous poser la question qui, pour moi, se présente brutalement ce soir :

Oui, il faut tuer l’opéra ?

Vous pourriez, sans doute, me répondre non.

L’heure approche, quand même, où nous devons prendre une décision, collectivement. C’est à un concert, en effet, que nous assistons ce soir; j’aurais aimé que ce fut à un spectacle – nous entendrons les artistes, alors que j’aurais souhaité les voir jouer aussi.

Quand donc serons-nous capables, je vous le demande, d’offrir à nos artistes un théâtre lyrique permanent ? Faudra-t-il les obliger longtemps encore à se produire sur des scènes étrangères afin de poursuivre leur carrière ?

Un exemple: Ce soir nous serons heureux d’applaudir un grand nombre de nos artistes. Mais où sont les Duval, Forrester, les London, les Simoneau, les Quilico, les Stratas, les Vickers et combien d’autres ? Ils ne figurent pas au programme parce qu’ils travaillent en ce moment loin de chez nous. Et nous ne pourrions même pas entendre Bisson, Hurteau, Rouleau, Savoie, Turp, s’ils n’étaient venus expressément de Paris et Londres. Colette Boky repart dans quelques jours pour Vienne, Huguette Tourangeau fait toujours partie de la Compagnie Nationale du Metropolitain Opera.

Mais alors que manque-t-il ?

Déjà, nous possédons véritablement tous les éléments nécessaires à la création permanente d’opéra. Nous avons en effet des chanteurs solistes, des chœurs, des musiciens d’orchestre, des metteurs en scène, des créateurs de décors, des spécialistes de l’éclairage, du son et de la régie, des danseurs, un public, une salle bien appropriée, des techniciens divers (constructeurs, peintres, couturiers, électriciens, éclairagistes, maquilleurs, perruquiers, etc.).

Il ne manque qu’une structure pour réunir tous ces éléments. Il s’agit uniquement de les grouper. Et je me refuse à croire que cette tâche nous est impossible, après avoir réussi à bâtir Expo 67.

Nous sommes à la minutes de vérité: Ou nous décidons de mettre une scène permanente à la disposition de nos artistes lyriques, ou bien nous les invitons à continuer de nous faire honneur… hors de nos frontières.

C’est dans contexte que je vous ai posé la question du début. Peut être voudriez-vous un songer un peu ce soir… en attendant l’Opéra de Montréal.

Le maire de Montréal

Jean Drapeau

* Message de Jean Drapeau dans le programme du grand concert lyrique de l’Université de Montréal, le 18 septembre 1966.