La méthode
La méthode que j’ai adoptée pour enseigner le chant me semble, après toute une vie de recherche, la plus simple et la plus rapide – bien qu’il ne serve à rien de courir: en cette matière, c’est la voix qui mène. La technique que je transmets à mes élèves est celle qui a rendu ma longue carrière possible. Elle ne m’a pour ainsi dire jamais fait défaut et je me suis appliqué au fil des ans à la mieux comprendre, mieux sentir et eux communiquer aux jeunes chanteurs pour qu’ils puissent profiter eux aussi de la grande assurance professionnelle qu’elle confère.
Les chanteurs qui me téléphonent pour venir étudier ? avec moi me disent immanquablement qu’ils ont des problèmes de voix. Lesquels? Ils ne le savent pas exactement, mais ils sentent que quelque chose ne va pas. Je les écoute, pose mon diagnostic, et le travail commence.
Ils cherchent, trouvent, perdent, cherchent, retrouvent, reperdent. Certains élèves mettent plus de temps car d’autres à comprendre, et c’est normal. En général, c’est qu’ils manquent de confiance.
Dans mon studio, je commence par faire comprendre la mécanique – pas dans la tête seulement, mais plutôt dans les muscles, dans les sensations. Ensuite je fais travailler les voyelles. C’est sur les voyelles qu’on chante puisque les consonnes ne peuvent pas «porter» le son. Enfin, une fois les bases techniques acquises, nous travaillons le répertoire: opéra, oratorio, mélodie, selon le tempérament, les aptitudes, les limites vocales de chacun.
Quand on a assimilé la bonne technique vocale, on ne l’oublie jamais. C’est comme aller à bicyclette. Je répète volontiers – et mes proches le savent bien: «Quand on sait chanter, on met cinq cennes dans la boîte et ça part!»
Il faut voir la transformation qui s’opère chez un chanteur quand il «trouve» sa voix. Cette découverte change sa vie du tout au tout. Un chanteur vocalement peu sûr de lui est un chanteur malheureux. Mais le jour où il voit poindre la lumière au bout du tunnel, le jour où il saisit enfin le mécanisme, il explose de joie. Fou comme Braque les premiers temps, il acquiert peu à peu confiance et sérénité. Souvent, ses proches viennent témoigner de ce changement au studio. Le chant est une puissante thérapie.
D’être à la source de cette métamorphose me fait un immense plaisir. Je suis encore plus heureux que mes élèves quand elle survient.
Pour un débutant, mon programme en trois étapes ne pose pas de problèmes. En revanche, pour un diplômé d’université ou de conservatoire qui est bourré de défauts, c’est très compliqué. Les automatismes sont déjà en place et il faut trouver le moyen de les déloger. Cela demande beaucoup de patience et de détermination.
On voudra peut-être savoir comment il se fait que des diplômés de nos établissements d’enseignement puissent en être là. Pour autant que je puisse en juger, cela tient aux programmes d’étude. Les élèves ont un nombre impressionnant de matières musicales à étudier en dehors du chant proprement dit. En outre, ils doivent préparer des récitals de fin d’année pour montrer qu’ils ont maîtrisé les divers genres (opéra, oratorio, mélodie, lied), qu’ils ont appris à mémoriser, à prononcer en langues étrangères (italien, allemand, français, anglais), etc. Tout cela en ne passant en général qu’une heure par semaine avec leur professeur. La technique vocale ne peut pas s’assimiler dans de pareilles conditions. A mon avis, elle devrait d’ailleurs toujours PRÉCÉDER l’apprentissage du répertoire.
Quand j’écoute un élève pour la première fois, je lui donne évidemment mon avis sur l’état de sa voix. Je fais le point sur les qualités vocales et musicales qui sont déjà manifestes, mais j’aborde aussi franchement les aspects problématiques. Étudier le chant demande beaucoup de temps, beaucoup d’argent et beaucoup d’effort. Si quelqu’un «ne l’a pas», ou que son apprentissage risque d’être particulièrement long, il faut trouver les mots pour le lui dire.
Le premier contact entre un professeur et un élève est déterminant. Leurs personnalités doivent s’accorde: sinon l’élève a intérêt à chercher ailleurs. Trouver LE professeur de chant qui nous convient est parfois difficile. Je connais des gens qui en ont eu à la douzaine. Or, avec chaque professeur, il faut recommencer à zéro. Nouvelle méthode, nouvelles exigences, nouveau vocabulaire pour décrire des sensations qui émergent dans des muscles auxquels on n’a jamais pensé, etc. Tout cela est très exigeant. Mieux vaut s’employer à trouver tout de suite le professeur avec qui on a le plus d’affinités.
Personnellement, j’ai eu beaucoup de chance. Mes professeurs, Pauline Donalda, Antonio Narducci et Mario Podesta, que j’ai connu sur le tard, étaient tous de la vieille école. Tous trois ont appris leur métier avec les maîtres du siècle dernier et se sont montrés avec moi généreux de leur science et de leurs conseils. Je tâche d’en faire autant avec mes élèves, pour qu’ils puissent perpétuer à leur tour l’art auquel j’ai consacré ma vie.
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