Mon neveu Gaétan


Mon neveu Gaétan

J’ai commencé à enseigner il y a vingt ans, quand mon neveu Gaétan Laperrière m’a demandé de lui apprendre à chanter. Mais l’enseignement n’est devenu mon occupation principale qu’en 1994, année où mes activités à Lachine ont commencé à ralentir.

Gaétan est le quatrième d’une famille de cinq enfants du côté d’Aline. Sur son certificat de naissance, comme par hasard, sa mère Jacqueline m’avait inscrit comme «deuxième» parrain. Il en avait un autre, un parrain officiel, mais il faut croire que la maman a eu l’intuition que j’exercerais une influence décisive sur la vie de son fils.

Tout petit, Gaétan me voyait souvent à la télévision. À quatre ans, il avait compris que son parrain en chair et en os était le même homme que le Robert de la télévision et ne manquait pas, à chacune de mes visites, de se moquer de moi en imitant ma grosse voix. L’idée de suivre mes traces avait-elle déjà germé dans sa petite tête?

Vingt ans plus tard, le jour même de ses noces, Gaétan vient me trouver durant la réception et me dit: «Mon oncle, je veux apprendre le chant.» Il était à l’époque professeur d’éducation physique au collège Mont-Saint-Louis. Très étonné par sa question, j’ai commencé par me montrer prudent:

«Mmm … As-tu une idée de ce que ça prend pour devenir chanteur d’opéra et en faire une carrière?

– De la ténacité, de la discipline, du travail incessant! Je te suggère de bien réfléchir, Gaétan.»

J’avais déjà entendu mon neveu fredonner des chansons populaires à la maison. Il avait décidément de la voix. Mais il y a loin de White Christmas dans son salon aux Noces de Figaro sur une scène …

« En tout cas, lâche pas ton emploi! Qui nous dit que tu arriveras à gagner ta vie en chantant? Et puis, tu sais, ça peut être long … »

L’été suivant, Gaétan revient à la charge.

«Je suis sérieux, je veux être chanteur d’opéra et je veux que tu me donnes des cours! »

J’ai compris.

C’était la période des vacances, Gaétan avait du temps libre et j’en avais aussi. Durant les mois de juillet et août. Il est venu tous les jours prendre une leçon à la maison. Soixante fois. Nous travaillions une heure pleine, parfois plus, jamais moins.

Au bout de deux mois, il avait compris l’essentiel de la mécanique du chant: la projection du son, synchronisée avec l’appui sur le diaphragme. C’était un bon point de départ. Restait à asseoir cette technique, à l’installer chez lui de manière définitive.

Très discipliné, Gaétan a continué ses leçons après la rentrée scolaire, au rythme de trois fois par semaine pendant cinq mois. Ensuite, nous avons espacé à deux fois et, finalement, à une fois par semaine.

Au bout de cinq ans, enfin, sa voix instrument était au point.

Je m’explique. Pour pouvoir jouer la Sonate à la lune de Beethoven, il faut posséder un instrument, en l’occurrence un piano. Pour pouvoir chanter, c’est pareil, à la différence qu’on ne peut pas acheter son instrument au magasin. Il faut le construire soi-même. C’est en cela que consiste l’apprentissage de la technique vocale.

Après cinq ans d’études très assidues, Gaétan était prêt à travailler le répertoire, c’est-à-dire à apprendre des œuvres. Désormais, mon rôle consisterait à le guider dans les labyrinthes de l’opéra et de la mélodie. Deux ans plus tard, il était assez avancé pour s’initier au travail de la scène. Plutôt que l’atelier de l’Opéra de Montréal, qui était loin d’offrir l’exigeant complément professionnel dont il avait besoin, je lui ai conseillé celui de Toronto (le Canadian Opera Company Ensemble). Devenu boursier du C.O.C., il y a fait ses débuts en 1984 et c’est en Ontario que s’est amorcée sa nouvelle carrière.

ooo

En mars 1995, je suis allé entendre Gaétan à l’Opéra de la Bastille, à Paris. Il y faisait ses débuts dans le rôle de Renato de Un Ballo in maschera. Baryton verdien comme moi, mon neveu chante le même répertoire, ce qui nous rapproche encore. Quelle fierté j’ai éprouvée en le voyant sur cette grande scène, un des sommets à conquérir dans la carrière internationale!

Encore aujourd’hui, Gaétan revient régulièrement voir «mon oncle» quand il est de passage à Montréal. Chaque nouveau rôle présente des difficultés de technique et d’interprétation particulières qu’il vient aplanir chez moi, au studio. Il n’y a pas de fin à cet apprentissage. Il faut des mois, sinon des années, pour se mettre un Rigoletto, par exemple, dans la voix. Et cela, à n’importe quel âge, se fait sous la conduite de son professeur.

Donc, il aura fallu sept ans de leçons pour amener Gaétan, un candidat aux dispositions idéales, au seuil de la carrière. Mais que fait donc un élève de chant pendant sept ans chez son professeur? S’il a une bonne oreille, une jolie voix et qu’il chante déjà, qu’a-t-il besoin d’apprendre au juste qui fera de lui un chanteur d’opéra – par opposition, disons, à un chanteur populaire? Voilà ce que je vais essayer d’expliquer maintenant, le plus simplement possible.