Le congrès national de Victoria


Claude et Ronald Laviolette sont nommés délégués au congrès national qui se tient, à la fin juin 1958, à Victoria, la capitale de la Colombie-Britannique. Ils ne connaissent pas l’Ouest du pays et ont hâte de s’y rendre. Les deux délégués voyagent ensemble dans un DC-7 qui prend plus de dix heures pour se rendre à Vancouver. Ils s’y arrêtent quelques jours pour visiter la ville et jouer aux touristes. Ils savent que les Canadiens français de cette province ont des difficultés avec le gouvernement provincial pour obtenir des écoles de langue française et qu’elles sont financées par des quêtes dans plusieurs églises au Québec et des campagnes de souscription instiguées par l’Ordre de Jacques-Cartier et le journalLe Devoir. Claude, curieux de rencontrer ces Canadiens français, découvre dans l’annuaire téléphonique, une paroisse nommée Saint-Jean-Baptiste. Il parle au curé qui l’invite à venir rencontrer ses paroissiens. Le lendemain, Claude et Laviolette sont au sous-sol d’une petite église de pierre où une soixantaine de personnes sont réunies. Ce sont tous des Canadiens français mais plus de la moitié ne parle plus le français. Répondant à la demande du curé, Claude et Laviolette leur adressent la parole. Ils traitent du Québec, de la Jeune Chambre et de leur voyage. Quelques femmes plus âgées laissent couler des larmes sur leurs joues. «Il y a très longtemps» dit l’une d’elle «que je n’ai n’a pas entendu parler le français par quelqu’un du Québec». Cela touche les deux Montréalais. La soirée se termine par des paroles en franglais de plusieurs paroissiens. Quant à Claude, il vient de comprendre le besoin urgent d’aider ses compatriotes qui vivent dans une province qui ne les considère pas. Noyés dans une mer d’anglophones, ils combattent avec peu de moyens pour maintenir leur langue. «C’est le devoir des citoyens du Québec de les aider», pense-t-il.

Le lendemain, ils arrivent à Victoria en DC-3 et logent au grand hôtel Victoria, devant le port, où se déroule le congrès. L’endroit est merveilleux et coloré de milliers de fleurs dont des rhododendrons géants et des bougainvilliers de toutes les couleurs. Quant au congrès, Claude est fasciné par son organisation, ses nombreux ateliers qui portent sur divers sujets auxquels assistent des centaines de délégués. Toutes les réunions et assemblées officielles offrent la traduction simultanée des échanges, des débats et des discours. Au repas, chaque délégation se distingue par son propre costume et l’enthousiasme déborde. L’invité principal est le président des Jaycees américains. Ce dernier commence son discours en disant: «Hi, u all !», avec un accent qui trahit qu’il vient de la Georgie du sud. Il est très sympathique et fait un discours drôle et de circonstance.

Le dernier soir du congrès, les délégués sont invités dans une grande salle située dans une forêt de séquoias. Claude est abasourdi devant ces géants majestueux. Il apprend qu’ils peuvent atteindre 275 pieds de hauteur et 30 pieds de diamètre. Mais ce n’est pas seulement leurs dimensions qui l’impressionnent mais aussi leur âge car plusieurs étaient déjà de grands arbres lorsque Jésus marcha sur la terre. Après le dîner, un grand spectacle avec musiciens, chanteurs et comiques professionnels est présenté. Tout est en anglais. Vers la fin du spectacle, le maître de cérémonie dit avoir une demande spéciale. Il demande à Claude de venir sur scène pour chanter une chanson à répondre du Québec. Celui-ci, surpris, hésite à s’avancer mais les gens autour de lui le poussent et finalement la salle au complet l’appelle. Il se décide et monte sur scène. Il semble que sa réputation de maître de cérémonie et de chanteur, faite aux congrès de la Jeune Chambre de Montréal, se soit rendue aux oreilles du MC. Il est gêné et le trac le prend devant les mille personnes de l’assistance. Il tremble. Ne sait quoi dire. Et comme à l’habitude, il cherche une phrase clef qui le libérera. Tout à coup, elle vient. «I must be the only unpaid performer of this show!». Les Jaycees s’esclaffent et les applaudissements résonnent de partout. Il leur propose une chanson qu’ils connaissent tous, «Alouette». Ils acquiescent bruyamment. Mais ce sera une version anglaise dans laquelle «Alouette» est remplacé par «Hollywood». «Ok ?» lance-t-il, «OK ! »répond la salle en écho. Il explique ce que veux dire «je te plumerai», le mot «gentil» et commence:

Hollywood, gentil Hollywood

Hollywood, je t’y plumerai

Je t’y plumerai Betty Grable

Je t’y plumerai Betty Grable

Betty Grable

Betty Grable

In the stable

In the stable

Hollywood, Ah…

Puis passe une dizaine d’acteurs et d’actrices américains. Il reçoit une standing ovation et des applaudissements continus. On réclame un rappel. «One more only, it is late» prétexte-t-il. Il entreprend la chanson à répondre «un pied mariton», qu’il a appris de Jean Nadeau au Varsity Weekend de l’AGEUM, avec tous les mouvements des hanches et de toutes les parties du corps. Il invite tous les délégués à se lever et à l’imiter tout en chantant. C’est un autre hit.

Le lendemain, il prend le train qui traverse les montagnes Rocheuses avec Ed Culkin, le nouveau président du YMS (Young Men’s Section of the Montreal Board of Trade). Ils voient les montagnes les plus spectaculaires du monde assis confortablement dans la partie haute et vitrée du Skyliner. Après une bonne nuit sur le train, ils arrivent à Lake Louise où ils découvrent un lac splendide de couleur émeraude. Ils logent, ce soir-là, dans le grand hôtel du Canadian Pacific et rentrent le lendemain à Calgary en auto où un nouvel avion les attend. C’est la merveille de l’heure, le Constellation, dont TransCanada Airlines vient de prendre livraison. Ils rentrent à Montréal, dans cet avion de luxe, heureux d’avoir pu faire ce magnifique voyage. Claude ne peut s’empêcher de conclure, lorsqu’il raconte le tout à Manon, «quel superbe pays nous avons !».