Les intouchables


Toute sa vie, et avec toute son énergie, Gandhi a lutté pour améliorer le sort des « intouchables ». Il luttait contre une tradition séculaire fortement enracinée dans les mœurs religieuses, politiques, sociales et familiales de l’Inde.

Il a souvent été seul dans sa lutte.

Malgré l’immense respect qu’avaient pour lui, sa femme, sa famille et ses amis les plus fidèles, ils se sont, maintes fois, opposés à ses opinions et à ses objectifs et ses actions concernant le sort des parias.

Comme Jésus qui avait dit : « Ce que vous faites au plus petit de tous les miens, c’est à moi que vous le faites. », Gandhi se sentait intimement lié au sort du plus démuni des intouchables de l’Inde. Ce fut selon moi sa plus grande cause et son plus grand souci. Ces parias exécutaient les tâches considérées comme méprisantes par les membres des castes (nettoyage des rues, éboueurs, etc.)

L’appartenance à une caste est le résultat de la conduite d’une personne dans une vie antérieure, dans une précédente réincarnation. Une mauvaise conduite au cours de la vie actuelle peut avoir pour effet une réduction de caste dans la prochaine réincarnation. Le contraire est également vrai et un paria qui observe les rites de la religion peut renaître dans une caste plus élevée, voire même brahmane.

C’est cet espoir qui maintenait le système en place et qui permettait aux parias d’endurer leur misère.

La vie d’intouchable en est une d’exclusion. Il ne doit pas pénétrer dans un temple, ni une demeure, ni une boutique d’un hindou. Il ne doit pas toucher à un hindou, ni même toucher à un objet qui pourrait être touché par un hindou d’une caste supérieure.

Dans la communauté, les parias vivent dans la partie du village où s’écoulent les eaux sales et dans les villes, ils vivent dans des quartiers délabrés où les habitations ne sont que des taudis.

Dans certaines régions, même l’ombre d’un intouchable qui tombe sur un hindou d’une caste supérieure entraîne la souillure et de dernier doit se purifier par des ablutions rituelles.

C’est de la folie à l’état pur.

L’intouchabilité était un tabou profondément enraciné au plus profond de la religion et de la culture hindoue. En s’y attaquant, Gandhi s’exposait aux pires des préjugés. Rien ne l’empêcha, toute sa vie durant de mener un combat de tous les instants contre cette tache, ce chancre qui s’attaquait au cœur de sa religion.

Ce n’est pas par des discours que le Mahatma mena son combat mais plutôt par des gestes concrets. Par exemple, au cours d’une réunion sur le sort des intouchables où il devait prendre la parole, Gandhi demanda avant de commencer son allocution : « Y a-t-il ici un intouchable? » Comme personne ne leva la main, Gandhi refusa de continuer et il se retira. À une autre occasion, une famille d’intouchables se présenta à son Ashram d’Ahmédabad et demanda d’en devenir membre permanent.

Gandhi les accueillit sans hésiter.

Cela allait à l’encontre de toutes les règles touchant les relations avec les parias et les bienfaiteurs qui subventionnaient l’Ashram informèrent celui qui recevait leurs dons qu’ils ne pouvaient pas financer un lieu contaminé. Gandhi déclara que si l’argent venait à manquer, l’Ashram déménagerait dans le quartier des intouchables. Or un miracle, comme ceux qui sont décrits dans les évangiles, se produisit le jour même où il n’y avait plus d’argent dans la caisse pour subvenir aux besoins de la maisonnée.

Un homme arriva à bord d’une automobile et demanda si la communauté avait besoin d’argent. Gandhi, qui n’avait vu cet homme qu’une fois par hasard, lui répondit tout simplement : « Bien sûr. »

Le lendemain, il revint à l’Ashram et il remit 13,000 roupies à Gandhi. Cela couvrait les besoins de la communauté pour au moins un an.

Le problème n’était réglé pour autant. Les femmes de l’Ashram, Kasturbaï en tête, ne pouvaient pas accepter la présence d’une intouchable dans leur cuisine. Gandhi tenta de raisonner sa femme en faisant appel à son bon sens. Rien n’y fit. Le préjugé était tenace. Pour montrer sa détermination, Gandhi annonça qu’il avait adopté légalement la petite intouchable Lackhmi. Kastubaï devenait ainsi la mère d’une paria.

Ensuite, il se mit à accomplir des tâches dévolues selon la tradition aux parias. Il se chargea dorénavant du nettoyage des toilettes de l’Ashram et ses disciples en firent autant.

Comme les parias n’appartenaient à aucune classe, Gandhi se mit à las désigner sous le nom de « haryans » ou « enfants de Dieu » et grâce à son immense influence, le terme fut avec le temps utilisé couramment dans toute l’Inde.

Les hindous orthodoxes ne pardonnaient pas à Gandhi les gestes qu’il posait pour l’affranchissement de intouchables. Par ailleurs, sa qualité de Mahatma que lui attribuaient les habitants de toute l’Inde faisait que les gens demandaient sans cesse sa bénédiction, tentaient de toucher ses vêtements, de baiser la poussière où il avait marché. Ils oubliaient certainement alors sa souillure d’intouchable ou ils commençaient à réaliser l’absurdité de cette coutume.

La vie dans les grandes villes a également eu un effet bénéfique sur la condition des haryans. Dans les transports en commun, comment savoir que la personne assise à côté de vous est un paria ? Peu à peu les hindous devinrent moins obsédés par le contact avec un intouchable. La pauvreté continua d’être leur lot mais le Mahatma poursuivit sans fléchir ses actions visant à améliorer leur sort.