La Sorcière


Fichu de lin, jupon de laine,
Des bas troués dans ses sabots,
De bon matin j’ai vu Hélène
Qui s’en allait aux escargots.
Dites moi, c’est bien vrai, ma mère,
Qu’elle jette un sort aux garçons
En marmonnant près du calvaire
Des vieux « Kirie Eleison » ?

Tantôt quand je gardais les bêtes
Dans les genêts des communaux
Un parfum m’a tourné la tête
Comme le seigle aux étourneaux.
Dites-moi, c’est bien vrai, ma mère
Qu’elle connaît dans la forêt
Ces fleurs des fous qu’on dit amères
Et les distille en grand secret ?

Suivant ce parfum dans la lande
J’ai entendu son pas grimper
Dans la bruyère et la lavande
Mais je n’ai pu la rattraper.
Dites-moi, c’est bien vrai, ma mère,
Qu’on l’a vue sauter un ruisseau
Dans un nuage d’éphémères
Et s’évanouir dans les roseaux ?

En arrivant sur la colline
J’ai vu trois pies qui m’attendaient
En jacassant, et je devine
Qu’elles m’ont pris pour un dadais.
Dites-moi, c’est bien vrai, ma mère,
Qu’elle apprivoise les corbeaux
Les loriots et les lavandières
Avec du mil et des cerneaux ?

Ce soir elle était dans mon rêve
Et je me réveille en sursaut :
J’entends sa voix, je me soulève
Comme un enfant dans son berceau !
Dites-moi, c’est bien vrai, ma mère,
Qu’on peut guérir du mal d’amour ?
Me direz-vous ce qu’il faut faire ?…
Mais je risque bien d’être sourd !