« Bye, Bye », Collège Notre-Dame !


Au grand soulagement de Claude, l’année scolaire prend fin. Après la remise des prix (il n’a reçu que le deuxième prix d’anglais, toujours derrière son ami Bordeleau) le frère Cécilien suggère à Charles-Émile et Antoinette qu’il serait préférable de placer Claudedans une autre institution en septembre.

Antoinette est surprise et déçue. Elle ne voit d’autre solution que l’école publique. Quant à Charles-Émile, il songe au Mont-Saint-Louis, dirigé par les Frères des Écoles Chrétiennes. Ce sont les mêmes qui lui ont enseigné jadis à l’école Plessis et il en a gardé un bon souvenir. À la sortie du Collège Notre-Dame, ils se rendent au Collège Mont-Saint-Louis. Ils rencontrent le Frère Marc, responsable des inscriptions et Charles-Émile lui parle de sa jeunesse, de ses anciens professeurs, de leur situation familiale, du travail qu’exige leur commerce et de la décision, bien à contrecoeur, de placer leur fils en pensionnat. Il présente le bulletin et le carnet de discipline du collège Notre-Dame. Tout se passe debout dans le hall d’entrée du Collège car, à ce moment-là, c’est le Frère Marc qui est chargé de la surveillance de l’entrée principale.

Il est un homme agréable, compréhensif, à la belle chevelure blanche. Il parcourt attentivement le bulletin en faisant des signes de tête encourageants. Se retournant ensuite vers Claude, il lui pose une seule question: «As-tu le goût d’étudier au Mont-Saint-Louis ?». Il n’a pas tenu compte de son carnet de discipline, comme si cela n’était pas important. Claude répond «Oui!» spontanément tout en pensant que son rêve se réalise. Le frère Marc les informe alors que le collège offre le cours commercial et le cours scientifique. Charles-Émile, qui aime les affaires, semble opter pour le cours commercial. Mais le Frère Marc suggère plutôt le cours scientifique qui débouche aussi sur les affaires tout en donnant une formation plus complète. Selon lui, Claude à les capacités pour réussir.

Claude choisit donc le cours scientifique sans trop savoir dans quoi il s’embarque. Ses parents acceptent et le Frère Marc leur dit qu’il y a une place pour lui en 6ième Science C, comme externe. Charles-Émile et Antoinette échangent un regard ! Externe: ce n’était pas prévu. Mais le Frère Marc leur fait remarquer que Claude ne sera pas seul à voyager et que de toute façon, les places au pensionnat sont réservées aux élèves de l’extérieur de Montréal. Aussi, il croit préférable que Claude ait un contact quotidien avec ses parents à cause de son indiscipline passée. Les parents, résignés, décident qu’à l’âge de 13 ans, Claude peut voyager seul et l’inscrivent officiellement à ce collège de bonne renommée. Claude est bien fier d’y être admis et remercie le frère Marc. Le tout s’est réglé en moins de trente minutes. Antoinette est ravie. Elle aura ses deux garçons avec elle dans sa belle grande maison.

Mais Claude ne s’en tire pas aussi facilement. Les relations avec son père sont tendues, car Charles-Émile ne peut accepter qu’il soit devenu un indésirable au Collège Notre-Dame. Il lui rappellera à maintes reprises que ses parents ont travaillé fort pour que leurs enfants fréquentent les meilleures écoles et qu’ils ne méritent pas ce qui vient de leur arriver. Son père lui parle de leur rêve: donner à leurs enfants l’éducation qu’ils n’ont pas eue et qu’il aurait bien aimé recevoir. Ils veulent qu’ils réussissent beaucoup mieux qu’eux dans la vie et que celle-ci soit plus facile pour eux et leurs enfants. Il est profondément froissé et prévient son aîné que le Mont-Saint-Louis représente sa dernière chance. Si les problèmes de discipline resurgissent, il retournera à l’école publique. Claude est perplexe. Il comprend, tout en ne comprenant pas. Pour lui, l’école publique vaut bien le collège. N’a-t-il pas bien réussi à l’école Notre-Dame-de-Lourdes et ne s’est-il pas bien intégré à ses activités et à celles de la paroisse, comme la chorale ? Et cette école n’était-elle pas exempte du genre de pressions qu’il a subies au Collège Notre-Dame ? Pierre-Paul n’est-il pas à l’école publique ? Il garde ses réflexions pour lui, sans s’en ouvrir à son père. Il lui fait confiance pour agir dans son meilleur intérêt.

Les vacances de l’été 1945 sont extraordinaires. La tension de la guerre est disparue. Les soldats reviennent et l’on organise des fêtes un peu partout. Tout le monde apprécie la paix. Les blackouts sont choses du passé.

Comme à tous les ans, sans y déroger, Charles-Émile et Antoinette emmènent leurs fils au grand défilé de la Saint-Jean-Baptiste sur la rue Sherbrooke Est. Ils s’installent devant la porte principale du Mont-Saint-Louis. Ce choix est motivé par la présence du maire Camilien Houde (Charles-Émile l’appelle simplement Camilien) qui défile habituellement en décapotable accompagné de son épouse. Cette année il a décidé de faire à pied le trajet du défilé en habit de cérémonie avec son collier de maire et sa cane. Comme à tous les ans il s’arrête devant le collège, se retourne vers les frères regroupés en haut du grand escalier et leur fait un long salut respectueux avec son haut de forme. Ce geste déclenche un tonnerre d’applaudissements. D’année en année, la foule augmente en face du collège.

Le défilé a pour thème «les fleurs…». Chacun des chars allégoriques, préparé par les horticulteurs du Jardin Botanique de Montréal, déborde de magnifiques arrangements floraux qui créent un effet très impressionnant. De l’avis de Claude, c’est le plus beau défilé qu’il ait vu à ce jour. Et plus tard, il s’en souviendra comme ayant été le plus mémorable.

Charles-Émile loue un beau chalet pour deux semaines, au lac La Loutre, près d’Huberdeau. Claude et Pierre-Paul y font la découverte de l’équitation. Leur seul problème est que le cheval ne veut pas sortir de l’écurie. Ils réussissent à le tirer par les rênes et l’emmener sur la route, le plus loin possible. Rendus là, l’un ou l’autre grimpe en selle. Mais le cheval, n’étant plus contrôlé par le mors se retourne et repart au trot vers l’écurie. Et l’on recommence. Ils passeront le reste de l’été à la maison de Crawford Park où ils recevront la visite de leurs cousins et cousines. Ils jouent tous ensemble sur la rive du Saint-Laurent, en face de chez eux. Ils s’y baignent et s’amusent à lancer des pierres d’ardoise plates à la surface de l’eau. Le gagnant est celui qui fait faire le plus de rebonds à sa pierre. Ils se rendent aussi avec un voisin à l’île aux Hérons avec son bateau, ils jouent au billard, organisent de nombreux pique-niques et bien d’autres activités.

Au cours de cet été-là, ils auront le plaisir de se rendre deux fois au parc Belmont, le grand parc d’amusement de Montréal. Les deux garçons sont ravis de monter dans le «scenic», le nom donné aux montagnes russes. Dans la file d’attente, il leur arrive même de passer leur tour pour s’assurer d’une place sur la première banquette, où les émotions sont encore plus fortes.

En soirée, ils vont souvent en voiture au parc Lafontaine pour y voir la fontaine lumineuse et ses jets d’eau dansants. Un dimanche, vers 10:00, ils vont faire le tour de l’île de Montréal en auto avec leurs parents et ne reviendront qu’à la fin de journée. Ils longent le fleuve et s’arrêtent ici et là sans but précis. Pour Claude c’est toujours l’occasion de nouvelles découvertes. Ils se rendent jusqu’à la Pointe-aux-Trembles où ils font un pique-nique, puis suivent le bord de la rivière des Prairies jusqu’à Sainte-Anne de Bellevue. Après avoir longé le lac St-Louis, ils roulent jusqu’à Dorval pour voir les avions atterrir et décoller. C’est ensuite Lachine, où ils aiment bien s’arrêter le long du vieux canal, avant le retour à Crawford Park tard dans la soirée. Ils sont complètement fourbus et Claude s’endort la tête pleine de belles images et de nouvelles sensations.

À la maison, une très petite bibliothèque réunit les quelques livres achetés depuis le mariage de ses parents. On y retrouve l’Encyclopédie de la jeunesse, les oeuvres de la Comtesse de Ségur, dont «Les malheurs de Sophie», une édition illustrée des fables de La Fontaine, «Les lettres de mon moulin» d’Alphonse Daudet, plusieurs romans de Jules Verne, «Les mille et une nuits» en version expurgée, quelques brochures (environ 35 pages chacune) publiées à la semaine et vendues 10 «cennes», consacrées aux aventures rocambolesques de l’as des espions canadiens, l’agent IXE-13 et de Guy Verchères, l’Arsène Lupin canadien français. Le catalogue n’est pas très riche. Claude, qui a lu et relu ces bouquins, éprouve le besoin de lire autre chose. Il s’abonne – c’est gratuit – à la bibliothèque de Verdun. Il s’y rend en autobus, à l’intersection des rues Church et Verdun, pour aller chercher et rapporter les livres qu’il choisit. Il aime bien fureter dans les rayons pour dénicher ce qu’il recherche. C’est ainsi qu’il découvrira des ouvrages en anglais et en français. «Treasure Island», de Robert Louis Stevenson, «The adventures of Robinson Crusoe», le légendaire roman de l’auteur anglais, Daniel Defoë, «Au pied de la pente douce», de Roger Lemelin, romancier installé à Québec et «Bonheur d’occasion», de Gabrielle Roy. Celle-ci habite d’ailleurs à Saint-Henri, rue Beaudoin. C’est la voisine «d’en face» de Mémère Lalonde. Il ne lit en moyenne qu’un livre aux deux mois, mais c’est plus que plusieurs de ses amis qui, eux, n’en lisent aucun.

Par ailleurs, ses parents achètent des revues hebdomadaires pour leur clientèle. Le Life, le Saturday Evening Post, le Time, de même que le Sélection du Reader’s Digest. Ils les apportent à la maison dès la parution du numéro suivant. Claude est pressé de découvrir, à chaque semaine en page couverture du Post, la dernière oeuvre de Norman Rockwell, ce peintre réaliste connu pour ses scènes de la vie quotidienne en Amérique. Celui-ci s’inspire des personnages de son quartier à New York. Claude est emballé. Il aimerait bien vivre, lui aussi, dans ce quartier, pour figurer parmi les créations de cet artiste. Claude est un admirateur inconditionnel de son œuvre. Rockwell deviendra très célèbre et ses oeuvres seront recherchées par les plus grands collectionneurs.

Le 20 août 1945, l’attention de Claude est attirée par la couverture du Time. Au lieu du sempiternel portrait de l’homme de la semaine il y a, ce jour-là, un grand cercle rouge (le soleil levant, l’emblème du Japon), barré d’une épaisse croix noire en forme de «X». C’est la semaine de la reddition du Japon. Claude lit tout ce qui s’écrit à ce sujet. Il saute sur le Time et le dévore de la première à la dernière page. Il est loin de tout comprendre, mais il est émerveillé par ce magazine qui rapporte tout ce qui se passe dans le monde. C’est à partir de ce jour qu’il prendra l’habitude de le lire à toutes les semaines jusqu’à l’âge de 45 ans, ce qui l’aidera à mieux comprendre les enjeux de la géopolitique et le pourquoi des grands évènements.

Le Sélection l’intéresse aussi pour ses présentations extraordinaires de la vie sous toutes ses formes. Le Life le passionne pour ses reportages photographiques et les textes explicatifs qui les accompagnent. Il s’attarde de longs moments devant chaque photo, examine les personnages mais s’intéresse surtout au milieu et à l’histoire qu’elle présente. Il est surpris de la capacité des photographes à traduire en photo les émotions de ceux qui font la nouvelle et l’intensité des évènements. Il demeurera un fidèle habitué du Life jusqu’à la cessation de sa publication, en 1972.