À sa rentrée à Polytechnique en septembre 1953, Claude est préoccupé par ses cours qui couvrent toutes les spécialités du génie. L’École Polytechnique à cette époque dispense un enseignement général qui ne tient pas nécessairement compte de la spécialité choisie par les étudiants pour leur carrière future. L’École préfère cette approche car elle croit que celle-ci permettra aux futurs ingénieurs de modifier leur plan de carrière suite à leurs premières expériences de travail s’il advenait qu’ils désirent le changer. C’est la raison pour laquelle les cours de Claude, pour sa quatrième année, couvre des sujets divers comme les analyses industrielles, le béton armé, les bois et charpentes, le calcul et le dessin de machines, les constructions civiles, la suite des cours d’électronique entrepris en 3ième année, les finances, la géologie de l’ingénieur, le génie sanitaire, l’hydraulique générale, les machines hydrauliques, les machines thermiques, la métallurgie, les mines, la thermodynamique, les travaux publiques auxquels s’ajoutent des travaux de laboratoires, des visites industrielles et des études particulières sur l’asphalte et la gazoline.
À cette époque, plusieurs étudiants de Poly sont insatisfaits de la qualité de leurs professeurs. D’autres comme Claude sont d’accord avec eux mais n’expriment pas leurs sentiments car ils jugent que cela fait partie de la game et qu’il est généralement difficile de trouver un professeur qui soit un ingénieur compétent, expérimenté et doublé de qualités de pédagogue. Claude accepte son sort et fait du mieux qu’il peut. Il prend des notes à toute vitesse durant les cours, lit ses livres qui sont en anglais (il a l’avantage de comprendre cette langue, mais ce n’est pas le cas de plusieurs de ses confrères), un est même en allemand et les notes de professeurs ou d’autres étudiants. La solidarité est grande parmi les gars de sa classe, les échanges sont nombreux et l’aide toujours présente.
Les insatisfaits décident de faire campagne pour que la situation s’améliore. De plus, ils ajoutent à leur complainte le fait que les étudiants de Poly n’ont pas de salon «des étudiants» où aller lire, étudier, réfléchir, jaser et que c’est un manque important pour eux. Ils aimeraient avoir un tel lieu qui, en plus, faciliterait le contact avec les professeurs. Ils veulent que la Direction de l’École accepte cette dernière proposition le plus tôt possible.
En rapport avec la qualité des professeurs, ils distribuent un texte qui justifie leur action: «les maîtres ne sont pas parfaits et il nous incombe de les aider». Ils soulignent le cynisme dans le fait que plus le degré des études est élevé, plus les professeurs sont portés à oublier qu’il faut enseigner les matières des cours. Ils s’interrogent sur le nombre de professeurs qui ont gardé le vrai sens de la «préparation de classe» ? Ils s’élèvent contre l’absurde résumé de cours que la majorité des professeurs distribuent au lieu de rechercher des moyens pour que leur enseignement passe la rampe et arrive jusqu’à l’étudiant. Ils se demandent si c’est vieux jeu de susciter l’intérêt et de savoir s’adapter à une intelligence plus jeune et peut-être moins brillante? Ils regrettent que trop de professeurs aient perdu le souci pédagogique et soient venus à oublier que même le Maître parfait a employé des paraboles.
La révolte grandit et un plus grand nombre d’élèves se réunissent au bas du grand escalier pour écouter des harangueurs. Les leaders du groupe rencontrent M. Brouillet et M. Gaudefroy qui se disent incapables de changer la situation à court terme ou à moyen terme. La direction semble leur reprocher de parler de choses qu’ils ne connaissent pas. Mais ils répliquent qu’en rapport avec l’aspect pédagogique de l’enseignement, ils ne sont pas tout à fait incompétents. Quant au salon, la proposition est refusée, faute d’espace !
Les révolutionnaires proposent un boycottage des cours et répandent la nouvelle dans les journaux de Montréal. Ces communiqués deviennent des charges dures contre les professeurs et donnent l’impression qu’ils sont tous dans le même bain. Pour Claude, cela est injuste car au moins 25 % de 82 professeurs de l’École sont corrects et se tirent bien d’affaires. Il pense, entre autres, aux professeurs Robinson en géométrie analytique, Landreau en géométrie descriptive, Beaulieu en ponts et Vinet en mécanique. Les étudiants de Poly sont divisés sur la question du boycottage et un débat est suscité à l’AEP. Pendant quelques semaines un malaise flotte dans l’atmosphère estudiantine. Finalement, la révolte s’éteint.
Plusieurs étudiants espèrent qu’avec la nouvelle École Polytechnique, en construction sur la montagne à proximité de l’Université, la situation sera corrigée pour les générations futures.
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