L’arme de la vengeance


Depuis 1930, l’équipe des savants allemands spécialisés dans les fusées travaille sur deux projets: «l’avion sans pilote» et la «fusée à longue portée». En 1935, Hitler confie à leur chef, Werner Von Braun, la direction d’un centre de recherche. Les essais auront lieu au-dessus de la Mer Baltique.

En 1940, croyant la guerre gagnée, Hitler ne voyait pas la nécessité de se doter de nouvelles armes. Cependant, «la bataille de l’Angleterre», au cours de laquelle les Anglais feront preuve d’une résistance surprenante, le convainc d’abandonner son projet d’invasion pour miser plutôt sur le développement de fusées à longue portée. Les tests commencent en mars 1942. Dès le 4ième essai, six mois plus tard, la validité du concept est établie. Le Führer ordonne alors que ces fusées soient fabriquées en grande série et il donne également son accord au développement de «l’avion sans pilote».

Encore une fois, c’est le succès. C’est ainsi que les V-1 voient le jour. Les Allemands ne seront prêts à en tirer sur Londres qu’après le jour «J». Ils en lancent 9,250 dont seulement 2,500 atteindront leurs cibles. Elles sont bruyantes, facilement repérables dans le ciel et vite détruites. Leurs rampes de lancement sont aisément détectables et les Alliés se mettent systématiquement à les bombarder.

Les fusées, connues sous le nom V-2, sont prêtes quelques mois après les V-1. Construites en Allemagne, elles sont transportées par rail en France, près de St-Omer, d’où il est prévu de les lancer. Elles contiennent une tonne d’explosifs et ne prennent que quatre secondes pour atteindre leurs cibles à une vitesse de 5,500 kilomètres/heures. Elles tombent sur Londres, sans bruit, sans avertissement.

Au Canada, la radio rapporte la nouvelle de cette fusée rapide, silencieuse, sournoise et destructive. La population de Verdun est alarmée. Se pourrait-il que ces fusées leur tombent dessus au beau milieu de la nuit? Les blackouts sont plus rapprochés et Claude vit ces jours avec une peur grandissante. Charles-Émile lui explique que l’océan Atlantique est large et que ces fusées ne peuvent tout simplement pas les atteindre. Mais son père n’est pas plus rassuré qu’il ne le faut et Claude a vite fait de détecter son inquiétude.

Heureusement, les bases fixes de lancement des V-2 sont vite saisies ou détruites par les Alliés. Dans un dernier sursaut, les Allemands installent des lanceurs mobiles en Hollande. Ils réussissent à en tirer 1,000 dans un ultime effort. La moitié d’entre elles atteignent leur cible. Lille, Arras, Cambrai et Bruxelles sont également visées; mais non Paris qui se trouve hors de leur portée. Finalement, les Alliés parviennent à éliminer tous les lanceurs.

La V-3, l’arme de la vengeance, est composée d’un barrage de petites fusées tirées de canons souterrains, capables de toucher Londres ou le nord de la France à une vitesse de 1,500 m/s. Plus de 300 fusées à l’heure pourraient être ainsi tirées. Mais les Allemands devront abandonner le projet avant sa mise à exécution. En effet, toutes leurs bases de lancement seront détruites dans la foulée du jour «J».

Après ces jours de grande peur, Charles-Émile se posera souvent cette question: «Et si Hitler avait écouté les hautes instances de l’armée allemande, qui voulaient retarder le début de la guerre afin de mieux se préparer, que serait-il arrivé ? N’aurait-il pas pu dominer le monde avec ses nouvelles armes ? » La question est pertinente. Dès leur capture, les savants allemands emmenés aux USA, tout comme ceux qui s’y étaient déjà rendus volontairement (c’était le cas de Niels Bohr qui dès 1939 travaillait à la fission de l’atome), se joignent à l’équipe américaine du Manhattan Project sous la direction de Robert Oppenheimer, pour mettre au point la bombe atomique qui sera lancée quelques mois plus tard sur le Japon. Hitler n’aurait-il pas pu être le premier à détenir la bombe atomique ? Aurait-il hésité à s’en servir contre l’Angleterre, New York ou le Canada ? Et Werner Von Braun, celui-là même qui fut l’âme dirigeante du programme des fusées de la NASA et qui parvint à envoyer le premier homme sur la lune, n’aurait-il pas pu réussir cet exploit pour le compte du Führer ? Ne s’en était-il pas fallu de peu pour que le sort de cette guerre soit différent ?

Soixante ans plus tard, le renommé journaliste Italien Luigi Romersa, correspondant de guerre pour le Corriere della sera, publiera ses mémoires à l’âge de 88 ans et racontera comment il a assisté, le 12 octobre 1944, sur une base secrète allemande à «ce qui s’apparente à un essai nucléaire». Ses propos appuient ceux de l’historien berlinois Rainer Karish qui a écrit que les travaux des nazis sur la bombe atomique étaient avancés. Romersa reçoit deux lettres de Mussolini, une pour Goebbels et l’autre pour le Führer, car le «duce» veut en savoir plus sur cette «bombe capable de renverser le cours de la guerre» dont lui a parlé Hitler lors de leur dernière rencontre en avril 1944. Romersa est reçu sur la base Peenemünde, au bord de la Baltique, où des douzaines de scientifiques travaillent sous Von Braun. On le place dans un bunker «situé à plusieurs kilomètres du lieu de l’explosion» sur l’île Rügen et il décrit:«un grondement qui fait vibrer les parois du refuge, suivi d’une lueur aveuglante, tandis qu’un dense rideau de fumée se répand sur la campagne!». On lui défend de sortir avant plusieurs heures parce que, lui dit-on, «la bombe, en explosant, émet des radiations qui peuvent créer des dommages sérieux». Suite à la parution de son livre, on lui demande pourquoi il a attendu si longtemps pour faire ces révélations? Le vieil homme certifie «avoir écrit cette histoire pour l’hebdomadaire Oggi, dans les années ’50. Personne n’y a cru».

Ce jour-là, Claude repense à sa jeunesse et aux propos de son père. Il devient songeur en imaginant le genre de vie qu’aurait été celui de sa famille et le sien si Hitler avait eu la bombe.