Le socialisme au Canada


Avec la fin de la guerre, Claude lit tous les journaux qui lui tombent sous la main. C’est aussi un spectateur assidu des actualités cinématographiques présentées chaque samedi matin au Cinéma de la rue Centre, à Pointe-Sainte-Charles, juste avant la présentation du film principal. On y présente la série «Time Marches On», avec le commentateur Lowell Thomas qui passe en revue les événements de la semaine. Claude apprécie beaucoup ces reportages. Il apprendra ainsi à reconnaître les principaux protagonistes tout en s’informant des grands évènements. L’immensité du désastre qu’a été la guerre lui saute littéralement aux yeux. Il découvre en outre que l’on parle de plus en plus des Russes, de Berlin et de Staline. Il n’a jamais porté beaucoup d’attention à ce personnage car la Russie est très lointaine et les reportages du temps de la guerre en parlaient très peu. L’ennemi, c’était Hitler. Tout gravitait autour de lui, des Allemands et des troupes canadiennes, américaines et de l’Europe de l’Ouest.

Mais maintenant qu’Hitler est disparu, l’attention semble se tourner vers Staline. Claude est curieux de savoir qui est ce chef de la Russie. Pas question de parler de l’Union Soviétique, Claude n’a aucune idée de ce que c’est. D’ailleurs, il y a peu de gens qui utilisent ce nom pour parler du pays de Staline. À première vue, Claude le trouve plutôt sympathique, avec sa petite stature, son air de grand-père et le calme qu’il dégage en fumant sa pipe. Il lui semble que c’est un homme à qui l’on peut faire confiance (!). On ne parle que de lui aux actualités cinématographiques, à la radio, dans les journaux, de même autour de la table familiale. Plus le temps avance, plus Claude comprend.

Il va ainsi apprendre beaucoup de choses qui ne cesseront de le surprendre et de l’étonner. Charles-Émile lui apprend qu’il y a eu une révolution en Russie, menée par Lénine contre le tsar. «Tsar?», de demander Claude à son père. «C’est comme le roi George VI d’Angleterre, sauf que c’est le roi de la Russie», lui précise son père, en ajoutant que Staline est le chef actuel du pays et qu’il s’agit d’un communiste. «C’est quoi, çà?», de demander le fils à nouveau. Et celui-ci de lui répondre, tant bien que mal, que le parti communiste est «au pouvoir» en Russieet que son idéologie socialiste connaît une influence grandissante dans le monde. Même le Canada est gagné par ce courant. En 1932, l’année de sa naissance, certains chefs syndicaux réunis à Calgary ont formé la Co-operative Commonwealth Federation (CCF) pour promouvoir la socialisation des soins de la santé, des institutions financières, des compagnies de services publics et des ressources naturelles. Et, l’année suivante, ils ont présenté leur manifeste, le Regina Manifesto. On peut y lire: «We aim to replace the present capitalist system, with its inherent injustice and inhumanity, by a social order from which the domination and exploitation on one class by another will be eliminated». C’est un programme inspiré directement de Lénine et de la révolution russe.

Dès sa première participation aux élections provinciales de Colombie-Britannique, en novembre 1933, le CCF a obtenu 31,5 % des suffrages, remportant ainsi une grande victoire morale. En 1935, il a fait élire un député à la Chambre des Communes, le premier député socialiste du Canada. Puis huit autres en 1940 et vingt-huit en 1945. Au Québec, il présente sans succès des candidats depuis 1936. Il se classe au second rang dans le comté de Verdun en 1939 et 1944, avec près de 28 % des voix. En 1941, le parti se retrouve même bon premier en Colombie-Britannique, mais une coalition des libéraux et des conservateurs l’empêche de prendre le pouvoir. Ce ne sera qu’en 1944 qu’il y parviendra en Saskatchewan quand son chef, Tommy Douglas, sera appelé à former le premier gouvernement socialiste au pays. Il se qualifie de social-démocrate.

Claude apprend que, depuis les gains en popularité du CCF, le Premier Ministre fédéral, Mackenzie King et ses homologues provinciaux font voter des lois sociales pour venir en aide aux familles plus démunies. En février 1943, King a même confié à un comité le soin d’examiner la possibilité d’implanter un système de sécurité sociale au pays et possiblement un régime d’assurance santé. Pour Charles-Émile, il devient évident que les idées sociales de la révolution russe ont contaminé nos gouvernements et que sans Lénine on n’en serait pas là. Il renchérit en traitant Staline, le successeur de Lénine, de «tueur» et de «communiste» qui enlève la liberté aux gens de son pays. Claude est abasourdi par ce discours et il ne sait plus trop quoi penser des socialistes et des communistes. Curieux malgré tout, il s’informe, lit et découvre petit à petit qui sont Lénine, Staline, les socialistes, les communistes et l’Union Soviétique.