Avant-propos


J’ai longtemps hésité avant de prendre la plume pour analyser les causes et tirer les conclusions de l’échec des souverainistes lors du dernier référendum.  Propulsé bien malgré moi à l’avant-scène de la joute référendaire dans des circonstances personnelles difficiles, n’ayant aucune expérience politique non plus que de racines dans le Parti québécois, je me suis retrouvé à devoir affronter des forces à la violence desquelles aucune de mes expériences antérieures ne m’avaient préparé.  Par surcroît, et je ne m’en suis jamais caché, je n’ai pas un tempérament très partisan.  J’ai en revanche un esprit critique développé.  Si les considérations stratégiques ou tactiques ont leur place, il faut d’abord que les enjeux et les objectifs soient clairs pour tout le monde.  On aura compris que ce ne fut pas le cas.

Originaire du milieu des affaires où j’avais exercé pendant cinq ans les fonctions de Président Directeur-Général de l’Association des Manufacturiers, l’épisode du rapatriement, le refus du Québec de reconnaître la constitution de 1982, le rejet de l’accord du lac Meech, les conclusions de la Commission Bélanger-Campeau et le non au référendum de Charlottetown m’avaient convaincu de la perte de légitimité du gouvernement fédéral au Québec et de l’impossibilité de renouveler le fédéralisme canadien.  Invité à joindre le Parti québécois par Jacques Parizeau, je fus élu député d’Iberville le 12 septembre 1994 et nommé Ministre délégué à la Restructuration deux semaines plus tard avec pour mandat de produire une série d’études démontrant la faisabilité de la souveraineté.

J’ai découvert assez rapidement, dans ces fonctions qui ne me convenaient pas, que la partie allait se jouer selon des règles très différentes de celles que j’avais toujours pratiquées.

Dans ce cas direz-vous, pourquoi avoir accepté de jouer ce jeu-là.  Les raisons sont multiples et, en rétrospective, je ne les considère pas moi-même très satisfaisantes.  Il y a, bien sûr, le fait que le feu de l’action précipitée ne se prête guère à l’approfondissement  que nécessitent les questions de fond comportant des dimensions éthiques importantes.  Pour le reste, elles vont du sentiment que j’ai eu de me retrouver coincé dans une situation inextricable jusqu’au refus d’envisager la perspective d’être pointé du doigt comme celui qui aurait fait avorter la tenue du référendum, en passant par le souci que j’ai de respecter la parole donnée, dût-il m’en coûter.  Évidemment, je n’aurais jamais pensé que le prix pût être aussi élevé.

J’ai donc vécu très durement l’année qui a précédé le référendum et, avant même que la campagne référendaire ne s’engage, j’en avais fait part à M. Parizeau lors d’une entrevue que j’avais sollicitée au début du mois d’août.  M’avouant se sentir « responsable » et comprendre que je puisse me demander « pourquoi il m’avait embarqué dans cette galère », il m’offrit spontanément de faciliter mon retour à la vie civile.  Le rencontrant de nouveau une quinzaine de jours après le référendum, je lui demandai si son offre tenait toujours.  De façon claire et sans la moindre équivoque possible, il me répondit « oui » et m’indiqua que son chef de cabinet, Jean Royer, me soumettrait sous peu une liste de propositions parmi lesquelles je n’aurais qu’à choisir.  Il fut alors convenu entre nous que je ne retournerais pas à l’Assemblée nationale à la reprise des travaux parlementaires.

En guise de proposition, je reçus début décembre un appel de M. Royer m’informant que j’allais avoir « une dure journée ».  Quelques jours auparavant, La Presse avait publié une manchette tonitruante m’associant, sur la foi de potins de couloir, de « tuyaux » refilés par des sources « dignes de foi » et de déductions primaires sans le moindre élément de preuve, à des irrégularités qui auraient été commises dans l’attribution des contrats pour les recherches réalisées à l’initiative du Secrétariat à la Restructuration.

Ce n’était pas la première fois que j’entendais parler de ces irrégularités.  Une première enquête réalisée en juin à ma demande par le Secrétaire général du conseil exécutif, M. Louis Bernard, à la suite d’allégations qui m’avaient paru le justifier, avaient permis d’établir qu’il n’y avait pas eu de violations aux directives du gouvernement sur les conflits d’intérêt. En septembre, juste avant l’ajournement des travaux parlementaires pour permettre la tenue de la campagne référendaire, les question soulevées par l’Opposition sur ces irrégularités m’avaient conduit à recommander au conseil des ministres l’adoption d’un décret ordonnant au Vérificateur-général de procéder à une enquête sur l’attribution desdits contrats.

Or c’est justement le jour où les résultats de cette enquête étaient rendus publics que       M. Royer me fit son annonce.  Je dois avouer ne pas avoir compris sa démarche.  Non seulement ce rapport d’enquête ne me mettait pas en cause, mais il se trouvait à expliquer la possibilité que des irrégularités aient pu être commises par le contexte d’urgence créé par la tenue du référendum qui avait amené le Gouvernement à procéder à l’attribution des contrats sans appels d’offres, selon la procédure dite « de dérogation aux normes usuelles du Conseil du trésor. »  Or je n’avais rien eu à voir avec cette décision qui avait été prise par le bureau du premier ministre, le Secrétaire général du conseil exécutif et la présidente du conseil du trésor, Mme Pauline Marois.

La publication des conclusions du Vérificateur-général déclencha un tohu-bohu d’autant plus énorme que le Gouvernement annonçait par la même occasion la tenue d’une seconde enquête qui devait aller « au fond des choses. »  À l’Assemblée nationale, M. Parizeau y alla même d’une allusion, la mine sombre, le ton solennel, à « un vaste complot » dont il fallait ainsi comprendre que ses ramifications allaient secouer le Québec tout entier.  Les médias n’avaient pas attendu cela pour déclencher une curée d’une ampleur et d’une cruauté sans précédent dont j’allais faire les frais pendant plusieurs semaines.  Les risques du métier me direz-vous ?  Possible. Et, en posant ma candidature à une charge élective, j’étais présumé les avoir acceptées.  Mais il reste que même les politiciens ont des droits, une réputation, des parents et des enfants. Et ils ont droit à ce que ces choses-là soient respectées.

La deuxième enquête du Vérificateur-général devait conclure que ni moi-même ni le personnel de mon cabinet n’étions de quelque façon intervenus dans le processus d’attribution des contrats et que nous n’en avions tiré aucun avantage.

Il faut dire que j’avais respecté à la lettre les avis qui m’avaient été donnés à ce propos par mon directeur de cabinet, René Blouin.

La nature de notre mandat, la surveillance des médias et de l’opposition qui en découleraient sûrement et son éthique très rigoureuse l’avaient amené à me recommander de me tenir aussi loin que possible du processus d’adjudication des contrats, ce que je fis.

Le rapport évoquait toutefois la possibilité que des infractions criminelles aient pu être commises par certaines personnes, ce qui nécessitait la tenue d’une enquête policière.  Des perquisitions eurent lieu au printemps 96.  Ni moi, ni les personnes de mon cabinet n’en fûmes l’objet.  Après presque un an d’enquête de la Sûreté du Québec, des accusations furent portées devant les tribunaux contre un contractuel du gouvernement et celui-ci est présentement en attente de son procès.  Comme tout citoyen, il jouit de la présomption d’innocence jusqu’à ce que les tribunaux, le cas échéant, le déclarent coupable.  C’est une règle fondamentale de notre système que trop de gens ont tendance à oublier.

Voilà donc tout ce qui reste du vaste complot.

Toujours est-il que mon court cheminement politique aura été fort mouvementé et que cela m’aura pris un certain temps pour me remettre des coups et des contrecoups que j’ai encaissés.  Certains s’attendaient à ce que je sois tenté de « régler mes comptes » avec mes ex-collègues du Parti québécois dont j’ai démissionné après le deuxième rapport du Vérificateur-général.  Ceux-là en seront pour leurs frais.  Ce n’est pas le propos de ce livre.  Il y a à cela plusieurs raisons.

D’abord je ne connais pas tous les faits de cette histoire.  J’en serais donc réduit à faire des procès d’intention à certaines personnes.  Outre que le procédé me répugne, la formation juridique que j’ai reçue me dicte la plus grande prudence.  Je n’ai pas non plus le goût d’enclencher une polémique avec les protagonistes de cette vilaine affaire.  Il me suffit d’avoir été mis hors de cause par les gens qui comptent.  Comme me l’a dit avec beaucoup d’esprit mon ex-directeur de cabinet, René Blouin « Plus blanc que ça, t’as des trous dans ta chemise ».  Pour le reste, il y a assez d’éléments sur la table pour permettre à chacun de se faire sa petite idée.

Enfin, je crois avoir la sagesse de faire la distinction entre l’essentiel et le circonstanciel, entre le « phénomène » et « l’épiphénomène », comme on nous l’enseignait autrefois en classe de philosophie.  Ce qui m’est arrivé relève du quotidien, du potin, de la chronique et méritera tout au plus une astérisque au bas d’une page de la petite histoire de cette époque.

Tandis que les événements qui ont conduit à ce référendum et qui sont survenus depuis lors relèvent de l’Histoire et ont une incidence considérable sur notre avenir.  Ce sera donc l’objet de cet ouvrage.  Il n’a aucune prétention scientifique.  Il s’agit seulement de l’effort de réflexion d’un homme qui s’est retrouvé au cœur d’événements majeurs et qui en cherche le sens avant de poursuivre sa route, en tirant partie de l’expérience acquise à cette occasion.

Tout effort de ce genre commence toujours par la recherche d’une constante, ou plutôt d’un prisme au travers duquel l’éclairage cru des événements qui s’enchaînent incessamment les uns aux autres va révéler toute la subtilité de sa composition et la façon dont ils interagissent entre eux.  Une fois cette dynamique analysée et assimilée, il devient possible de dresser des bilans, d’ouvrir des perspectives, et de nous préparer à faire les choix devant lesquels nous nous retrouverons tôt out tard.


Le Secrétariat à la Restructuration était attaché au Ministère du conseil exécutif, et relevait donc de l’autorité du  premier ministre. En qualité de Ministre délégué au Conseil exécutif, je n’avais pas l’autorité qu’un Ministre peut avoir sur un ministère en tant que tel, comme me l’expliquèrent le Secrétaire général du conseil et le Directeur de l’administration.

René Blouin a été élu député à Rousseau pour le Parti Québécois en 1981, défait aux élections générales de 1985, il était passé au cabinet de Jacques Parizeau alors que celui-ci était chef de l’Opposition.  Il m’avait été très chaudement recommandé par Jean Royer.  A ma demande, il devait maintenir une liaison quasi-quotidienne avec le Bureau du Premier Ministre pendant toute la durée de mon mandat.