Depuis mars 1944, la nouvelle maison de Crawford Park est en construction. L’affaire est menée rondement. Arrive enfin le fameux samedi où on doit couler la dalle de béton qui couvrira le garage. Les entrepreneurs sont pressés, mais Charles-Émile ne veut pas que le béton soit coulé avant qu’il soit là. Ils croient que c’est pour s’assurer de la présence d’une armature d’acier dans la dalle, mais ils se rendent vite compte que ce n’est pas ce qui préoccupe Charles-Émile qui est accompagné de Claude. Il veut simplement placer dans le béton des statuettes miniatures de Saint-Joseph. Claude le regarde parsemer le béton d’une vingtaine de statuettes au fur et à mesure qu’il est coulé. La dalle terminée, on la nivelle. Puis chacun rentre chez soi. Une heure, à peine, plus tard, Charles-Émile reçoit un appel de la police de Verdun. Il est prié de se rendre au chantier, un incident y étant survenu. Il s’y rend en trombe, traînant toujours Claude à sa remorque. Catastrophe ! La dalle s’est effondrée et tout le béton, entremêlé d’acier et de formes de bois, se retrouve sur le sol. Les supports ont cédé. Heureusement personne n’est blessé. Ils n’en croient pas leurs yeux. Le lundi matin, les ouvriers arrivent pour décoffrer et trouvent le tout pris en un seul morceau. Pour Charles-Émile, l’affaire est claire. Ce sont les entrepreneurs qui sont responsables. Ceux-ci, le plus sérieusement du monde, blâment le client qui aurait mis trop de statuettes de Saint-Joseph dans le béton. Manifestement ridicule, cette prétention veut dissimuler leur incompétence et leur mauvaise foi. Charles-Émile en est insulté. Il aura finalement gain de cause et les entrepreneurs reprendront le tout à leurs frais.
Cet incident gâche l’atmosphère du chantier. La confiance de Charles-Émile s’en trouve ébranlée. Dès que la structure de bois est montée, le toit étanchéifié et la façade en pierres des champs terminée, Charles-Émile change d’équipe après une entente à l’amiable entre les parties. Le chantier reprend une allure normale. La maison est presque terminée à la fin juillet. Le déménagement est prévu pour le 15 août. La nouvelle demeure est superbe, mais elle a coûté plus cher que prévu en raison du changement d’entrepreneur. Finalement toute la famille y emménage avec bonheur.
Quant à Pierre-Paul, il reçoit une autre bonne nouvelle. Il n’aura pas à retourner au collège Notre-Dame en septembre. Il est inscrit à l’école Sacré-Cœur de Ville Lasalle tout près de sa nouvelle demeure. Il devra reprendre sa 4ième année. Antoinette se rendra travailler à son salon quand Pierre-Paul sera à l’école. Charles-Émile l’y conduira. De toute façon, elle a décidé d’apprendre à conduire pour pouvoir être plus indépendante. Elle est très heureuse de son nouvel horaire et apprécie sa nouvelle maison. L’envie d’avoir un autre enfant la reprend. Par ailleurs, la confiance de Charles-Émile dans la protection de Saint-Joseph en a pris tout un coup. Il jette au panier les statuettes qui lui restent. Plus tard, cette histoire aura le don de déclencher chez lui un rire bruyant à chaque fois qu’il la racontera. Il ne s’en privera d’ailleurs pas, y revenant souvent et raillant sa propre crédulité.
L’année scolaire se termine fin juin. Encore une fois, Claude reçoit le premier prix d’arithmétique et le deuxième prix d’anglais (toujours derrière Bordeleau). Si son bulletin est bon, on ne peut en dire autant de celui de Pierre-Paul.
Claude a hâte aux vacances. Il a trouvé un emploi d’été comme wrapper chez Steinberg, le grand magasin d’alimentation qui vient d’ouvrir sur la rue Verdun. Il commence à travailler dès la fin des classes et gagne $ 22.00 par semaine de six jours. Il ouvre son premier compte de banque et y dépose ses économies. Il met ainsi en pratique le conseil que Charles-Émile ne cesse de lui répéter: «Si tu veux avoir de l’argent dans la vie, travaille et économise !». C’est ce qu’il fera toujours.
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