Ce dialogue traite du rôle du Canada sur la scène mondiale, des Casques bleus canadiens, de l’économie canadienne face aux USA et de la montée de John Kerry et de John Edward dans les primaires démocrates.
Au 22 janvier 2004
Mansour: Merci pour ta leçon concernant la politique internationale du Canada, lors de notre dernier dialogue. Je t’avais bien averti que j’étais un véritable néophyte concernant la politique interne aussi bien qu’externe du Canada. Figures-toi que j’ai commencé à m’intéresser au Canada après le fameux voyage de De Gaulle où il avait prononcé si je me rappelle bien sa fameuse phrase du « Vive le Quebec libre ! « .
Claude: Oui mais cela était en 1967. Tes questions me portent à dire que tu n’as pas suivi beaucoup ce qui se passe chez nous, contrairement à ce que tu fais pour la majorité des autres pays du monde. Du temps de De Gaulle, c’était le prix Nobel de la Paix Lester B. Pearson qui était Premier ministre. Il avait proposé l’organisation d’une milice onusienne, les Casques bleus, pour maintenir la paix dans les endroits chauds du monde. Depuis, le Canada a vue se défiler à sa tête Trudeau, Clark, Mulroney, Chrétien et Martin pour ne mentionner que les plus importants. C’est l’ex PM Diefenbaker qui a tout fait en 1958 pour que Montréal devienne le site de l’Expo 67, mais malheureusement lorsque le temps est venu, il n’était plus le PM et c’est Pearson qui a pris les honneurs.
Mansour: Je sais tout de même que le Canada a été un refuge pour tous les jeunes Américains qui ont refusé d’aller au Vietnam. Je sais aussi que le Canada a tout de même croisé le fer avec les USA très souvent surtout aux Nations Unies. Le Canada a été un des pays les plus protecteurs de la chartre de l’ONU. Ne parlons pas du désaccord entre le Canada et les USA en Amérique du sud et aux Caraïbes. Après tout, c’est le Canada qui a pratiquement tout seul mis en échec le blocus économique des USA vis-à-vis de Cuba. Sans le Canada, il n’y aurait pas plus de 3 millions de touristes visitant cette malheureuse île. Je sais aussi que le Canada est très impliqué en Afghanistan, bien que je me demande si cet engagement, tout comme celui de l’Allemagne, servira l’Afghanistan à long terme ou pas. Je me demande souvent si lesdécideurs au Canada et en Allemagne ont une idée quelconque de la sauce dans laquelle ils engagent leurs pays. Et il en est de même dans le cas de l’Irak. Ce qui me concerne le plus, c’est que d’un côté nous demandons tous de barrer la route aux islamistes, pourtant même en Afghanistan et surtout en Irak nous acceptons les conditions des islamistes, du moins quand il s’agit des droits des femmes. Dernièrement, le soi-disant représentant de la résurrection de la liberté en Irak a décrété tout simplement que la Charia allait une fois de plus décidé des droits des femmes irakiennes, alors que ces femmes avaient, avant l’invasion américaine de ce pays, plus de droits que dans tous pays arabes, y compris l’Algérie ou l’Égypte.
Claude: Le Canada a toujours démontré son amour pour la paix. Il a proposé de créer une force de paix aux Nations Unies, les Casques Bleus, pour temporiser la région du canal de Suez suite à l’invasion par l’Angleterre et de la France. Depuis leur création, en 1956, les Casques Bleus canadiens sont présents aux quatre coins du globe. Diplomates pour certains, soldats pour les autres, les casques bleus contribuent au maintien de la paix, au nom de l’ONU. Ils accomplissent de multiples tâches, au risque de leur vie, souvent de façon anonyme. Pour de nombreuses populations civiles prises au cœur de conflits les Casques Bleus représentent souvent la dernière chance de salut. Canal de Suez, désert du Sinaï, plateau du Golan, les Canadiens sont présents dans une des régions du monde les plus déchirées par les guerres, les conflits ethniques et religieux. Plus de 100,000 Canadiens ont servi, à un moment ou à un autre depuis plus de 50 ans, dans le cadre d’opérations de maintien de la paix des Nations unies. Je suis fier de mon pays d’avoir contribué ainsi à la paix mondiale. Malheureusement, depuis quelques années Le Canada se tourne vers une participation active dans les conflits et se dotent de nouveaux équipements de guerre. Je crois que c’est une erreur et un mauvais tournant qui l’éloigne de sa vraie mission qui était à la mesure de ce qu’est le Canada, la paix avec les Casques Bleus.
Depuis 1945, le Canada a entretenu des relations diplomatiques ininterrompues avec Cuba. Les Premiers ministres Pierre Trudeau et Jean Chrétien ont effectué des visites officielles à Cuba en 1976 et 1998, respectivement. Fidel Castro s’est rendu au Canada, la première fois en 1959 alors que je l’avais invité à venir à Montréal clôturer la campagne de jouet cubain que la Jeune chambre de Montréal organisait et, plus récemment en 2000, pour assister aux funérailles de l’ancien premier ministre Trudeau. Depuis longtemps, Cuba et le Canada cultivent des relations et collaborent dans un vaste domaine d’activités, entre autres, culturelles, éducatives, sportives, commerciales, touristiques et de développement. Ces relations se caractérisent par un dialogue franc et varié, fondé sur le respect mutuel. Bien que des différences importantes existent et persisteront entre les deux pays, les Canadiens et les Cubains partagent de nombreux intérêts et valeurs, notamment un engagement à assurer le bien-être de leur population grâce à l’accès universel aux soins de santé et à l’éducation. Les relations que le Canada a toujours maintenues, nonobstant le blocus des USA envers Cuba, a certainement aidé énormément le peuple Cubain. Le Québe a donné, entre autres, un grand nombre d’autobus scolaire pour le transport des élèves. Et Dieu sait combien les véhicules sont rares à Cuba. Ses politiques ont sauvé le peuple cubain de la misère noire et plus d’un million de Canadiens visitent l’île annuellement en touristes et contribuent ainsi énormément à l’économie cubaine. Cela permet à un grand nombre de Cubains qui travaillent dans le domaine du tourisme de profiter des largesses des Canadiens pour améliorer quelque peu la vie difficile qu’il endure.
Mansour: Je vois mieux l’importance du rôle qu’a joué le Canada dans le passé. Merci. . La politique d’un pays n’est pas simplement limitée aux positions internationales de ce pays. Les politiques domestiques sont peut être beaucoup plus indicatives du comportement d’une société. J’en connais un bout sur ce sujet. Avant de venir aux USA, je pensais tout comme mon frère continu à le faire que les USA sont dominés par les grandes compagnies qui ne pensent qu’au profit immédiat. Mais la réalité est bien plus complexe, comme tu le sais.Pour revenir aux élections primaires du parti démocrate, je t’avoue que je donne ma langue au chat comme on dit. Apparemment, il n’y a plus de favoris pour les caucus de l’Iowa. Et les sondages sont dans tous les sens. Évidemment, le journal «The Des Moines Chronicle», qui a donne son » endorsement » à John Edward aujourd’hui même. Mais il ne fait de doute que John Kerry semble avoir le vent en poupe actuellement. Le grand perdant sera à mon avis Guephart, car s’il ne gagne pas dans cet État, il est totalement détruit.Et si Howard Dean se place en troisième position derrière John Edward et John Kerry, il aura d’énormes problèmes aux prochaines élections primaires dans l’état du New Hampshire où le général Clark semble cherche particulièrement à tirer les marrons du feu. Je pense maintenant que la nomination du candidat démocrate ne sera pas réglée très rapidement, comme je le souhaitais il y a à peine deux semaines. Comme tu le disais si bien dans le passé une semaine en politique est un siècle. Tout peut arriver en moins d’une semaine et je crois que nous allons être témoins d’un choc mardi prochain.
Claude: Oui, tu as raison et la léthargie de Dean m’inquiète. Je crois qu’il a dépassé le point de non-retour et est devant l’inévitable. C’est surprenant et incroyable car il y a à peine quelques semaines toi et moi le mettions gagnant. La politique négative que jouent les Américains peut détruire même le meilleur homme dans quelques jours. Je me demande bien que feront les républicains contre John Kerry. Ils vont certainement trouver quelques squelettes dans son placard pour le salir. On verra bien. mais oublions cela car Kerry n’est pas encore élu. J’ai été surpris de la position du journal de Des Moines en faveur de John Edward. Il est pour moi un inconnu et j’ai cru en début de campagne qu’il n’avait aucune chance. Par contre, il semble être un bon orateur et capable de rejoindre les cordes sensibles des électeurs. C’est un avocat qui est devenu très riche justement à cause de causes célèbres de poursuites collectives. Il a su persuader les jurys de ses causes et s’applique maintenant à gagner sa plus importante, celle de devenir le président des USA. Je ne crois pas qu’il se rende au bout, mais on ne sait jamais de la façon que virevolte sans cesse cette lutte des primaires démocrates. Je trouve le tout très intéressant.
Mansour: Ceci étant dit, je me range du côté de ton appréciation d’une bataille serrée et prolongée pour les démocrates. Il ne fait pas de doute que depuis près d’un mois nous n’entendons plus de nouvelles de Bush. On ne parle que des accusations portées par un candidat démocrate contre un autre. Il ne fait pas de doute, à mon avis, que ces accusations vont finir par avoir des effets négatifs au moment des élections présidentielles, mais je crois comme toi, que cette bagarre féroce entre les candidats démocrates donnera au public américain une idée de tout ce qui est en jeu durant ces élections et cela profitera certainement a tout candidat présidentiel sélectionné les démocrates. Si le public américain arrive à se concentrer sérieusement sur les résultats réels du président Bush, je pense qu’il finira par le rejeter. Sa politique extérieure est finalement dénoncée par une grande majorité des Américains. Ils se rendent compte que l’Amérique a totalement détruit tout le crédit international qu’elle avait avant l’arrivée de Bush. Je ne vois pas une grande différence entre l’appréciation des candidats démocrates de la politique extérieure de Bush. Ils sont tous d’accord que l’Amérique se retrouve totalement isolée à l’extérieur. Et le public américain finira par comprendre que cet état de chose ne peut pas continuer si l’Amérique veut continuer à jouer le rôle de super-puissance incontestée dans le reste du monde. Sur le plan domestique, Bush continue à rappeler que l’économie américaine se porte très bien, mais quand les statistiques de l’emploi arrivent tous les mois le public américain se rend de plus en plus en compte que cette soit disante « economic recovery » que Bush célèbre tous les jours ne profitent qu’a ses amis, les grands magnats financiers du pays. Quand un pays aussi vaste et aussi riche que les USA n’arrive pas à créer plus de 1000 emplois par an, il y a certainement un grand problème qui reste à gérer. Et les nouvelles du côté de l’emploi ne peuvent pas être meilleures dans les mois à venir. La contraction des effectifs continue aux USA. Je viens juste de voir aujourd’hui qu’une grande société d’assurance américaine à l’intention d’éliminer plus de 45,000 emplois durant l’année 2004. Même la dévaluation continue du dollar n’a pas finalement engendré une grande demande pour les biens américains à l’étranger, pour la bonne raison que le reste du monde est dans la même situation économique, en dehors de la Chine. L’Europe étouffe sous le poids de ses déficits budgétaires. Le Japon continue à patauger dans la crise économique et financière qu’il subit depuis près de 20 ans. Dans de telles circonstances, je ne vois d’où viendra le miracle économique qui pourrait sauver la peau de Bush.
Claude: Ton analyse de la situation économique américaine me semble juste et à moins que les baisses d’impôts aux riches viennent changer la donne subitement, je crois que tu auras raison. Il n’y aura pas de miracle économique aux USA très bientôt. Ti-Bush aura été un fiasco autant avec ses politiques intérieures qu’extérieures. Heureusement, que les USA sont un pays suffisamment fort et capable de subir la présidence d’un tel chenapan à sa tête sans trop d’effets négatifs sur sa société.
Mansour: Compte tenu de tout cela, je continue à croire que les démocrates pourraient
défaire Bush, mais à une seule condition, c’est de présenter un front uni en novembre 2004. Mais connaissant ce parti, je me demande s’il est capable de présenter un front commun. Nous le saurons après la convention démocrate à Boston. Mais je t’avoue que j’ai d’énormes appréhensions concernant les militants de Howard Dean. J’ai rencontré quelques supporters américains de ce candidats à Washington et je t’assure qu’ils ne sont pas prêts à supporter quelqu’un d’autre, car la grande raison de leur support a Dean est l’impression qu’il est temps de chasser tous les politiciens qui ont une vie incestueuses a Washington. Et si un sénateur est retenu comme candidat, ces gens-là ne bougeront pas un petit doigt pour faire élire un démocrate. Il y a aussi le problème des noirs. Il ne fait pas de doute que Sharpton a démontré sa maîtrise de l’anglais et a posé des jalons qui touchent de très près la société noire aux USA. Mais le problème c’est qu’aucun candidat présidentiel démocrate ne peut accepter les demandes faites par ce candidat noir. Cela risque, une fois de plus, d’affaiblir le candidat démocrate en novembre prochain. Et sans un appui total de la population noire, il se fera détruire aux prochaines élections par Bush, même si la situation économique ne s’améliore pas et si la guerre en Irak continue a causer des douleurs chez les familles américaines.
Claude: Oui ça va mal pour Dean et pour ses partisans. En général, j’ai remarqué que ses partisans sont des nouveaux en politique et apportent une énergie déferlante pour changer les choses. La descente de leur candidat les frustre énormément et, comme toi, je crains que leur enthousiasme s’éteigne avec la défaite de Dean. C’est triste pour le parti démocrate car il a vraiment là une chance d’augmenter considérablement son support chez la population américaine. Quant aux noirs, je me demande depuis la nomination de Colin Powell, comme secrétaire d’état, et celle de Condeleeza Rice dans le cabinet de Bush, si le fait que ces deux personnes de descendance noire occupent des postes aussi importants à la tête du pays, à cause d’une décision de ti-Bush, que cela ne viendra pas influencer un grand nombre de noirs à voter pour lui. Il y a aussi un autre noir qui est secrétaire à l’éducation et dans le cabinet. Il me semble que le président a fait un grand effort pour montrer aux noirs qu’ils les traitent de façon égale aux blancs, ce que le parti républicain du passé n’a jamais clairement démontré.Il est vraiment un homme qui pense toujours à l’aspect électoral. C’est un animal politique rare.
Mansour: Pour ce qui estdes effets de la chute du dollar sur les marchés monétaires sur le Canada, tu ne fais que confirmer mes dernières remarques concernant la domination du Canada par ce géant qui est juste au sud de vos frontières. En plus, du fait que plus de 70% du commerce extérieur canadien est lié directement aux USA, il ne faut pas oublier que ce monstre du sud a imposé d’énormes quotas et tarifs sur les deux produits les plus importants pour l’économie du Canada, a savoir le bois et l’agriculture. Dans une telle situation je ne comprends pas pourquoi le Canada n’a pas tout simplement fixé un taux de change base uniquement sur la valeur du dollar USA. La Chine a toujours maintenu le même taux de change avec le dollar et a réussi à survivre la fameuse crise financière asiatique tout en protégeant ses marches extérieurs (notamment sa position dans le marche américain). Qu’est ce qui a empêche le gouvernement de Chrétien d’atteler la valeur du dollar canadien au dollar américain. Je sais que le Canada n’a pas la puissance économique suffisante pour répondre à toutes les mesures d’exclusion que les USA ont imposé au Canada ces derniers temps, mais je me demande pourquoi le Canada n’a pas demandé au «world trade organization» de condamner le comportement des USA vis a vis du Canada. Je t’avoue que je ne suis pas un expert du commerce extérieur mais il me parait tout de même que les USA usent et abusent de leur pouvoir dans le commerce mondial. La communauté européenne à juste dernièrement obligé Bush d’abandonner sa politique de protection de la sidérurgie américaine car elle menaçait d’imposer des sanctions économiques énormes sur les USA. Est ce que le Canada n’a pas ce genre de levier vis-à-vis des USA ?
Claude: Le Canada et les Canadiens sont choqués de l’attitude de ti-Bush envers leur pays et le non-respect de l’entente du libre-échange, l’Alena. La chute du dollar américain est une politique qui, à mon point de vue, a été décidée par ti-Bush. Mais pas nécessairement envers le Canada mais aussi envers les autres pays qui font des affaires avec les USA. La balance commerciale américaine est tellement négative qu’elle a atteint un sommet incroyable. Je crois que le président américain a décidé unilatéralement de faire diminuer la valeur du dollar pour augmenter la production aux USA et réduire ce déficit commercial. Évidemment, il n’a pas annoncé cela sur la place publique mais je crois que nous avons détecté cette politique lorsque le secrétaire au commerce O’Neil, un ex homme d’affaires fort respecté qui avait été président Alco, a semblé dévoiler dans un interview cette décision. Il a vite perdu son poste. Le président et le nouveau secrétaire au commerce ont vite fait de nier catégoriquement que c’était la nouvelle politique américaine, ce qui n’a pas empêché, depuis ce jour, que le dollar baisse constamment. Le Canada n’est pas le seul affecté par ce changement radical. Quant aux problèmes du bois d’œuvre et de l’agriculture, je t’ai déjà expliqué lors d’un précédent dialogue, que le Canada a opté pour faire valoir son point devant la justice selon les prévisions de l’Alena suite à de tels conflits. Il a aussi demandé à la WTO de se prononcer sur ce sujet. Nous sommes dans l’attente de ces opinions et nous sommes très optimistes que l’attitude des USA sera dénoncée et que le Canada sera compensé.
À très bientôt
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