au 24 juillet 2002


Ce dialogue traite brièvement des élections législatives en France mais surtout de la situation de la Kabylie et de ses revendications suite à l’élection générale dans ce pays.

Au 24 juillet 2002

Mansour: Je voudrais certainement avoir ton appréciation sur les dernières élections législatives françaises, d’autant plus que les résultats du premier tour semblent aller conformément à tes souhaits. Comme tu sais, un des plus grands inconvénients aux USA c’est que nous sommes complètement coupés du reste du monde. Les seules informations qui intéressent cette nation sont celles sur la situation en Afghanistan, au Pakistan, en Inde, en particulier et de temps en temps au Moyen-Orient quand il y a un acte terroriste commis par les Palestiniens. Voila l’univers dans lequel les Américains se pavanent. Le teste du monde n’a aucune importance, notamment quand il s’agit de l’Europe continentale.

Claude: Les législatives françaises se sont conclues comme j’espérais: la victoire majoritaire du parti de Chirac, l’annihilation des triangulaires qui a éliminé ainsi Le Pen, la défaite des communistes (qui ne devait avoir aucun député alors qu’ils en auront encore 20 suite à leurs « deals » avec le PS) et la défaite de certains gros canons du Parti socialiste, tels Martine Aubry, ce qui a donné une certaine satisfaction à mon petit coeur d’ex-politicien. Les loups sont sortis du bois, les masques sont tombés, les Français les ont vus tels qu’ils étaient et les ont jugés sévèrement. J’en suis très heureux. Avec l’équipe choisie par Chirac et qui sera dirigée par Raffarin, je suis confiant que le tir sera corrigé et que la France reprendra son allure fière, progressive, dynamique et sera à nouveau un leader du monde. J’espère surtout que les Français deviendront motivés pour travailler et qu’ils seront récompensés pour leurs efforts. Et Dieu sait comme nous avons besoin de la France ces temps-ci, car ti-Bush devient, jour après jour, de pire en pire. Il faudra bien un jour que les hommes politiques de la communauté européenne se lèvent et fassent entendre la voix du bon sens. Vivant en France, j’ai été cependant désappointé de la campagne électorale aux législatives. Je m’attendais à une campagne plus présente dans la vie de tous les jours. A part les nouvelles, que je qualifierais d’une ampleur minimum, de certains débats d’invités à la télé, du reportage des journaux, je n’ai ressenti aucun enthousiasme chez les Français. C’est comme si une majorité silencieuse, a décidé, tout d’un coup, de voter et de remplacer les mécréants qui les ont harassés depuis 5 ans. Le taux d’abstention élevé m’a aussi surpris. Les études faites suite à l’élection ont démontré que les opinions des non-votants étaient partagées entres les partis et, par conséquent, n’auraient pas changé le résultat du vote. Les arrogants du PS retournent maintenant à leurs devoirs et chercheront à se ressourcer pour la prochaine élection dans 5 ans. Pour ma part, je crois que la notion de gauche et de droite va aller en s’amenuisant et qu’éventuellement on verra lors des prochaines décennies, comme on le voit déjà dans plusieurs communes, des partis qui seront principalement du centre avec tendance à gauche ou à droite, mais qui ne feront pas une religion de leurs positions extrêmes. Ce qui compte en réalité pour la France à tous les 5 ans, c’est d’avoir l’opportunité de choisir un parti avec un programme d’avant-garde, pragmatique, réaliste, collant à la réalité, avec des hommes et des femmes qui veulent l’appliquer et qui sont capables de le faire.

Mansour: Malgré que le gouvernement ait annoncé que le vote en Kabylie a été de moins de 3%, cela ne l’a pas empêché de confirmer ces résultats et de les accepter

Claude: C’est un scandale. D’autres amis algériens m’ont raconté comment le FLN a transporté, par bus en Kabylie le jour de l’élection, des électeurs venant de d’autres régions de l’Algérie. Ajoutés aux votes des fonctionnaires locaux, de la gendarmerie et des soldats de l’armée, c’est cela qui a donné seulement 3%. Et tu me confirmes que Bouteflika a jugé que c’était suffisant. C’est révoltant et c’est une injustice flagrante qui ne tient pas compte que le boycott de l’élection fait partie des revendications de la bataille des Kabyles pour la reconnaissance de leur autonomie. C’est une approche non-violente honorable qui est tout à leur honneur. Nonobstant ce geste honteux du président, les Kabyles doivent continuer à pressuriser le gouvernement et informer davantage le monde de leur situation. Un jour, ils vaincront.

Mansour: Voilà la démocratie algérienne en action. Vue l’occupation militaire et tous les services de sécurité du régime qui sont installés en Kabylie aujourd’hui, il n’est pas surprenant que seulement 3% des électeurs se soient rendus aux urnes dans cette région. En fait, Bouteflika n’avait pas besoin de votants civils pour atteindre son objectif. Il avait déjà mobiliser le reste de l’Algérie pour mener une guerre sans limite contre la réaction des Kabyles envers son régime. Il a déjà donné quelques indices de son intention en lançant une chasse contre les représentants des partis comme le FFS et le RCD. Un grand nombre d’anciens membres de l’assemblée nationale algérienne de ces deux partis sont sujets à des poursuites judiciaires tout simplement par ce qu’ils ont refusé de se présenter aux élections préparées par le régime. Le vrai malheur est que le reste de l’Algérie n’est pas prête à reconnaître la faillite de ce régime et ne demande que des raisons, même fausses, pour lui donner une raison d’être. Si le mouvement Kabyle est bien mené, tout ce que tu racontes à propos de la non-violence tournera en sa faveur.

Je crois que nous allons vers une guerre civile en Algérie. La situation se complique par le renforcement des islamistes que Bouteflika cherche par tous les moyens à ramener sous sa tente. Ils refusent, car ils savent que son seul but est la destruction de toutes les forces qui se lèvent contre son régime. En réaction, nous voyons une recrudescence des attentats islamistes. Quand ces terroristes arrivent à commettre des attentats au centre même d’Alger et qu’ils trouvent le moyen de se retirer sans difficulté, je ne vois pas comment ce mouvement peut être amadoué par Bouteflika.

Claude: Je crois que tu charries pas mal. Ce n’est pas une raison qui justifie une opposition à Bouteflika. Il faut amener le débat sur un terrain un peu plus sérieux.

Mansour: Bouteflika est une mercenaire étranger. Il n’est pas né en Algérie. Il a eu une éducation marocaine aussi bien du point de vue académique que social. Il est vrai qu’il a participé à la guerre de libération nationale. Mais il l’a fait au moment où il n’y avait aucun danger de le faire (durant les années glorieuses et romantiques de la guerre, 1956/57. À cette période, il était pratiquement impossible de rejoindre les rangs de l’armée de libération en Kabylie). Après un court passage au maquis en Algérie, il a rejoint son parrain Boumediene, au Maroc, où il a vécu jusqu’à la fin de la guerre, comme son parrain d’ailleurs. Après la disparition de Boumediene, plutôt que de rester en Algérie et continuer à lutter pour les valeurs qu’il prétendait avoir, il a choisi de se réfugier dans les Émirats arabes pendant plus de 10 ans, jusqu’au jour où les barons du régime FLN l’ont rappelé pour lui donner une nouvelle virginité politique. Et maintenant il se comporte comme l’héritier de Boumediene. Quelle mascarade!! Aujourd’hui, il a reconnu que le plus grand danger pour le régime FLN, ce n’est pas tellement les maquis islamistes algériens, mais le mouvement démocratique dirigé par les Kabyles.

Claude: Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il voit clair!

Claude: Je ne peux être plus en désaccord avec toi que sur ce sujet de la violence. Je crois que le spectre de la Palestine actuelle qui se dessine exprime bien les méfaits de la contestation violente. Face à un ennemi trop fort pour être contrecarré, il faut user d’une meilleure stratégie, d’une stratégie plus intelligente. Le problème d’Arafat ou de ceux qui ont commandé la violence de la part des Palestiniens, c’est qu’à cause de leurs kamikazes l’opinion publique américaine s’est retournée pour accorder majoritairement sa sympathie à Sharon. C’est ce retournement qui a permis à ti-Bush d’appuyer sans réserve Sharon et de prendre ainsi position pour une des parties du conflit (Israël). Aucun président n’avait fait cela à ce jour. Il a même poussé l’audace de proposer un plan de route de 3 ans pour la reconnaissance d’un état palestinien et imposé le rejet d’Arafat par les Palestiniens. Sans violence, j’ai la conviction que ces positions strictement partisanes et électorales n’auraient jamais être pu être proposées par ce petit politicien du Texas.

Mansour: La décennie qui commence sera violente en Algérie. Mon plus grand souhait est toujours le même, que toute l’Algérie se mobilise contre l’oppression de ce régime. Mais si cela n’est pas possible, pour une raison ou une autre, je suis convaincu que les Kabyles finiront par avoir leur liberté, à travers une Algérie unie ou une petite république berbère kabyle. La contestation non violente et pacifique n’est plus possible avec le régime de Bouteflika. Après plus d’un an d’une telle contestation et toutes les tentatives du régime d’isoler le mouvement de contestation du reste des populations Kabyles, le régime a finalement réalisé que les revendications kabyles sont non négociables. Il n’a pas réussi à diminuer l’impact de ce mouvement sur les populations Kabyles (la preuve est le faible taux de participation, moins de 3%, aux élections législatives). Bouteflika, qui n’est certainement pas prêt à négocier avec les Kabyles, n’a qu’une autre alternative, c’est la violence. Et la jeunesse Kabyle n’a plus rien à perdre aujourd’hui !

Claude: Elle a sa vie à perdre et qu’elle peut conserver si une autre stratégie que la guerre civile est choisie. Que dois-je faire pour que tu comprennes que la guerre est la solution des faibles. Où est le Gandhi algérien?

Mansour: Même si les dirigeants du mouvement berbère, pour une raison ou une autre, sont prêts à négocier une paix des braves avec Bouteflika,

Claude: Il ne s’agit pas de négocier une paix des lâches et mettre de côté des choses fondamentales. Une paix des lâches n’est qu’un cataplasme, une remise à demain des conflits potentiels. Il faut une paix des braves. Ce n’est pas une solution. Et pour l’obtenir il faut continuer à contester jusqu’à ce que les principes fondamentaux de l’autonomie des Kabyles en Algérie soient assurés. Contester sans violence est la voie de la réussite.

Mansour: Je doute fort que la jeunesse kabyle serait disposée à suivre son leadership. Ma plus grande appréhension aujourd’hui concerne la réaction du monde occidental, en général, et de la France en particulier, face à cette nouvelle phase douloureuse de l’histoire de l’Algérie. Et si je les dernières appréciations des résultats des dernières élections données par la voie officieuse du quai d’Orsay, à savoir Le Monde, je commence à croire que la voix des Kabyles sera étouffée par les considérations géopolitiques françaises d’aujourd’hui. Mais si les catholiques de l’Irlande du Nord ont réussi à surmonter toutes les barrières géopolitiques que la Grande Bretagne a réussi à ériger contre eux, la Kabylie fera de même.

Claude: Les sacrifices de vies irlandaises face au succès apparent de leurs revendications ne sont pas une justification pour une guerre civile en Algérie. Les Irlandais ont choisi la mauvaise voie. Le semblant de règlement positif ne guérira jamais les blessures qui ont cicatrisé le cœur de chacun des Irlandais. Ces marques sont indélébiles et feront toujours mal. Ce n’est pas une façon d’obtenir son indépendance, son autodétermination, son autonomie car après, la vie ne sera jamais agréable. Non, il y a mieux et je te suggère de comparer là le succès des Indiens plutôt que celui des Irlandais.

Mansour: Plus d’un million de Kabyles vivent aujourd’hui en dehors de l’Algérie, et notamment en France. Ces Kabyles ont déjà l’expérience de la vie clandestine, durant la guerre de libération (la fédération du FLN ne France, était à 80% kabyle). Et si les Kabyles sont forcés de prendre les armes pour défendre leur culture et leurs valeurs sociopolitiques, ils n’auront pas trop de difficultés pour se procurer les armes nécessaires (aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur). Au pire les Kabyles n’hésiteront à pas faire appel à l’aide matérielle Israélienne si nécessaire. Et je te garantis qu’Israël n’hésitera pas une seconde à utiliser la cause berbère, ne serait-ce que pour affaiblir un maillon de l’opposition arabe à l’expansionnisme israélien au Moyen-orient.

Claude: Voilà un argument peu impressionnant. En somme, tu me dis qu’il est bon de faire un «deal» avec le diable pour réaliser ses ambitions. N’est-ce pas simplement triste (et révoltant) de penser à une telle solution? Donc, chaque groupe d’opposition dans chacun des pays arabes ferait bien de faire appel à Israël pour aider sa cause et affaiblir la cause arabe dans le monde. Pourquoi ne pas préparer une troisième guerre mondiale tant qu’à y être? Comme tu dis c’est le pire, et je ne vois pas comment des gens, animés d’un idéal grand comme l’autonomie du peuple Kabyle, accepteraient de s’abaisser au point de s’allier avec un partenaire totalement incompatible et inacceptable. Ce serait de la folie et une erreur impardonnable. Ce serait une très mauvaise stratégie.

Mansour: La Kabylie ne manque pas d’atouts pour lutter contre ce régime inhumain qui étouffe tout un peuple. Même à l’apogée de l’empire romain, les Berbères algériens n’ont pas hésité à se soulever contre l’oppression de cet empire. Il en a été de même du temps des Arabes, des Turcs et des Français. Il en sera de même avec le régime de Bouteflika. Ce régime disparaîtra grâce aux sacrifices des Kabyles. «I can bet on that today».

Claude: Je le crois mais pas de la façon que tu l’entrevoies. «I would bet a coke on that ! ».

OK ?