au 5 mars 2003


Ce dialogue porte sur la démocratie et la dictature du socialisme. De plus, il traite de la vie à Cuba et de la possibilité d’organiser des états généraux en Algérie pour définir la constitution.

Au 5 mars 2003

Mansour: Je vois que nous n’arrivons pas à trouver un dénominateur commun à partir duquel nous pouvons discuter des conditions nécessaires pour permettre aux populations de prendre en charge leur avenir. Tu continues à croire que le paradigme démocratique européen est le seul valable, quelques soient les conditions des populations qui sont concernées par leurs avenir, alors que moi je continue à croire dur comme fer, que la démocratie occidentale ne peut être que la clef de voûte de toute évolution socio culturelle de toute société, opprimée dans le passé ou à présent.

Claude: La différence vient peut-être de notre éducation et du milieu dont nous sommes issus. Je crois que le critère le plus important pour un individu est la liberté. Je sais qu’avec la démocratie il l’a.

Mansour: A chaque fois que je te demande de me donner un exemple de réussite de ta vision de la démocratie, tu me parles de l’histoire du Canada. Peux-tu réfuter mes arguments que le peuple canadien, à l’exclusion d’une infime minorité indienne ou noire, est issue de la culture européenne. Tu me parles du Canada comme un exemple du passage d’un régime colonial anglo-saxon à une démocratie européenne comme l’exemple pour le reste du monde qui souffre d’un manque de liberté individuelle et de cohésion économique et culturelle. Une fois de plus, je voudrais que tu me donnes un exemple d’un pays, en dehors de l’Europe ou de l’Amérique du nord, qui a réussi à mettre en oeuvre ta vision démocratique et a réussi dans son oeuvre.

Claude: Je ne connais pas tous les pays du monde. Je sais cependant que la démocratie au Japon a changé beaucoup de choses. Quant au Canada, ce n’est pas parce que les colons étaient de descendance européenne que leurs rejetons savaient ce qu’étaient la démocratie. La colonie faisait partie du royaume de France et la révolution française n’avait pas encore eu lieu. De plus, les enfants des colons n’étaient pas instruits. Suite à la conquête anglaise, les bourgeois ont réintégré la France et 66,000 francophones pauvres, non instruits sont restés sur leur terre et cherché à survivre dans le nouveau régime. Ce dernier, dans un premier temps, a décidé de les assimiler au monde anglais. Il s’est vite rendu compte que les francophones ne voulaient pas de cette proposition. Ne cherche pas à me faire croire que ces pauvres individus savaient ce qu’étaient la démocratie à ce moment-là. Ce n’est qu’après de longues luttes, qu’ils ont obtenu un gouvernent représentatif mais non responsable. C’était le gouverneur anglais qui décidait tout. Lorsque finalement Londres a décidé de reconnaître la légitimité du parlement Canadien, il a décidé de lui donner tous les droits normaux d’un parlement, dont être responsable. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que les francophones ont commencé à sortir de leur misère et à se redresser la tête. Cela prendra quelques siècles.

Mansour: Même dans l’ex monde communiste de l’Europe de l’Est, tu dois reconnaître que les pays qui ont essayé de singer les démocraties occidentales ont lamentablement échoué. Par contre, la Chine, le VietNam et même Cuba, qui ont tout de même appris les leçons des dragons de l’Asie, ont fait des pas de géants cette dernière décennie dans le domaine économique, sans pour autantcéder un seul pouce à l’hégémonie américaine. Je ne veux pas dire par là que ces pays ont trouvé un moyen de résoudre le problème économique et social de leurs sociétés tout en assurant l’avenir à jamais de leur idéologie marxiste léniniste. Loin de là. Mais ces régimes ont tout de même permis à leurs sociétés de construire justement les conditions d’une réforme politique à long terme, à savoir donner à leur population des intérêts arrachés à court de bras qu’ils finiront par défendre par tous les moyens, y compris une révolution sanglante si nécessaire un jour. La démocratie est en fin de compte la résultante de différents intérêts économiques et sociaux d’une société. Quand les intérêts sont limités à la survie quotidienne, la démocratie n’a en fin de compte aucune chance de survie. Je me souviens toujours d’un fameux discours de Boumediene à la première conférence mondiale du monde islamique au Pakistan, où il avait dit qu’il n’avait pas encore rencontré un seul musulman qui était prêt à aller au paradis avec le ventre creux. Il en est de même de ta vision de la démocratie. Personne n’en veut aujourd’hui, car elle ne peut qu’affamer davantage les populations concernées et qui sont déjà affamées.

Claude: Je n’aurais jamais pensé que tu m’aurais écrit un texte avec des idées pareilles. Tu es tellement attaché à cette idée d’un état socialiste et totalitaire que tu dénigres au plus haut point les principes de la démocratie qui a fait ses preuves partout où elle a été appliquée honnêtement. Je ne parle pas des «République Populaire et Démocratique» comme s’appelaient les pays sous le joug des soviets, comme l’Algérie, où le mot démocratique n’était dans le nom que pour tromper la population. Tu me parles de la Chine, du Vietnam et de Cuba pour me démontrer que ce genre de régime est bon. Je te dis et répète que s’il n’y a pas de liberté, l’homme ne peut s’épanouir complètement. Certes plusieurs, les privilégies de ces régimes, le font mais je parle de la masse des gens de ces pays. L’idéologie marxiste-léniniste mène à une dictature. On a vu dans tous les pays qui à ce jour ont appliqué ces préceptes ce que cela donné. Les gouvernements ont presque tous été rejetés pas les populations qu’ils contrôlaient et on s’est vite aperçu que ces populations étaient pauvres, déprimée, sans ambition, sans énergie et sans motivation. Le régime les avait usés. Et cela non seulement en URSS mais aussi dans les pays voisins qu’elle contrôlait comme la Pologne, la Hongrie, les pays Baltes, la Tchécoslovaquie, l’Allemande de l’est et autres. La Chine et le Vietnam d’aujourd’hui sont devenus des dictatures de parti qui pratiquent le capitalisme. Depuis que la Chine a mis de côté son socialisme à outrance, elle a pris son nouvel envol. Sa transformation est surprenante. Mais les Chinois travaillent pour des salaires de 50-100 euros par mois, de longues heures et vivent tassés ensemble dans des appartements fournis par le gouvernement ou les entreprises. Mais il n’y a pas de liberté. Pas de liberté de choix, de parole, de rassemblement, de voyage, de pensée. Tout est dirigé par la dictature du parti qui se dit Populaire et Démocratique et les prisons sont remplies et débordent de dissidents. Même l’Internet est contrôlé. Il ne faut pas se faire leurrer que tout va dans le meilleur des mondes là-bas. Il faut se rappeler l’URSS de Breznev dans laquelle tout semblait aussi aller sur des roulettes mais qui quelques années plus tard a vu son système imploser. Suite à cette situation, le rouble s’est dévalué et la misère a envahi toute la population qui pourtant avait réussi avec le temps à ramasser des économies pour bien vivre une retraite. Le système socialiste a été suivi d’un système mafieux. Heureusement, aujourd’hui à cause de la démocratie, les choses s’améliorent. Mais cela prendra encore plusieurs décennies, car la démocratie n’est pas une potion magique qui transforme une société subitement. Elle permet aux individus de trouver leur chemin, de faire leur vie, d’utiliser leurs talents et de réussir. J’ai confiance que la Russie de demain sera puissante et que son peuple aura un train de vie similaire aux Européens de l’Ouest. Quant à Cuba, il est vrai que j’admire Castro, qui pour moi est un vrai révolutionnaire, mais la situation économique et le mode de vie des Cubains d’aujourd’hui ne soit pas à envier. Ils sont tous éduqués mais ont des salaires de crève-faim. J’ai vu des médecins agir comme chauffeur de taxi pour pouvoir avoir accès aux touristes et à leurs pourboires. Ils gagnent ainsi plus d’argent que leur profession leur permet dans ce système qui est presque communiste. Ils vivent dans des logements infects. Ils sont endoctrinés et même s’ils aiment Fidel et comprennent sa doctrine, plusieurs «los bulseros» embarquent sur des embarcations fragiles pour traverser le détroit de mer jusqu’à Key West aux USA afin de pouvoir vire normalement. Plusieurs journalistes qui sont dissidents sont en prison. Ce n’est pas un exemple de société à envier, non plus.

Mansour: Je n’ai jamais dit que ce que le vrai journalisme n’existait pas à Cuba. Par contre, ce que je voulais te rappeler, c’est la désuétude d’une partie de la population qui n’est certainement pas unique à Cuba ou à des pays socialistes comme la Corée du Nord, comme tu le sous entends. Que tu aies une haine viscérale contre tout régime soit disant socialiste, c’est ton droit le plus absolu. Mais j’espère que nos discussions essayent de dépasser nos penchants politiques et analyser la situation de différentes sociétés à travers le monde nonobstant leurs régimes politiques.

Claude: Je ne crois pas vouloir te faire sous-entendre quoi que ce soit. Je sais qu’il y a de la pauvreté dans plusieurs pays démocratiques, mais cela est dû en grand partie à la corruption qui vient gâter les bienfaits d’un régime démocratique. Avec le temps cela se règle. Pour certains pays, ça prend plus de temps que les autres.

Mansour: Il n’y a pas de société qui est aujourd’hui immunisée contre toute attaque d’où qu’elle vienne. Mais je crois que toi et moi sommes tout de même suffisamment informés de ce qui s’est passe depuis l’invasion de la Baie des cochons à Cuba.. Voila une petite île, avec une population qui ne dépasse pas 10 millions d’habitants, qui a été mise en quarantaine par le pays le plus riche du monde pendant près de 50 ans. Et pourtant malgré ce blocus américain, ce petit pays a réussi tout de même à assurer un niveau de vie nettement supérieur à toutes soi-disant démocraties «Made in America» aussi bien dans les Caraïbes, en Amérique centrale et en Amérique du sud. Peux-tu vraiment aujourd’hui contredire les conclusions de tous les rapports de la banque mondiale depuis le début des années 70 ? À ce jour, le niveau de vie des couches les plus vulnérables de la société est certainement nettement supérieur à Cuba que dans le reste du monde latino. Aucun Cubain ne peut mourir de famine, aucun malade à Cuba, qu’il soit pauvre ou membre du parti au pouvoir, ne manque de soins, d’une qualité que même les élites dans le reste du monde latino américain ne peuvent même pas acheter.

Claude: Tu as raison sur ces points. Fidel leur a donné l’éducation, la santé, la protection sociale et les Cubains mangent à leur faim.

Mansour: Dans un autre ordre d’idée, je suis d’accord avec toi sur les conditions que tu as énumérées pour que des états généraux puissent enfin redonner une constitution viable à long terme pour l’Algérie en particulier pour la sortir de son passé politique. La différence entre toi et moi c’est que de ton côté tu penses que ces conditions nécessaires pour au moins initier un mouvement démocratique en Algérie existent aujourd’hui, alors que de mon côté je m’égosille à essayer de te démontrer le contraire. Même les soi-disant partis politiques agréés aujourd’hui en Algérie, ou la fameuse centrale syndicale l’UGTA, ne sont même pas capable d’appliquer des méthodes démocratiques dans la gestion interne de ces institutions, encore moins d’accepter le dialogue national et surtout son verdict. Depuis plus de 40 ans, le président du parti des forces socialistes (FFS), Ait Ahmed, a demandé une assemblée constituante, soi-disant pour permettre à toutes les forces politiques du pays d’avoir la liberté de s’exprimer. C’est le même leader qui entre parenthèses a mis la Kabylie à genou suite à son aventure séparatiste de 1963. Il ne croit même pas aux critères élémentaires de démocratie dans son propre parti. Il désigne et limoge le leadership de son parti à son bon vouloir. Il n’a jamais permis aux militants de son parti, même du temps où ce parti était illégal en Algérie, de choisir démocratiquement son leadership sur le terrain. Il en est de même du parti RCD, un autre parti Kabyle, issu de la révolte Kabyle du printemps de 1980. Initialement Saïd Saadi avait créé ce parti pour se révolter contre la manière dictatoriale avec laquelle Ait Ahmed avait géré la révolte des Kabyles. Mais tout comme Ait Ahmed, Saïd Saadi a très rapidementadopté les mêmes méthodes. Je n’ai pas à te décrire la gestion des partis du régime (le FLN, NAHDA, RND etc…). Voila les acteurs potentiels d’une réunion d’état généraux pour définir l’avenir de ce pauvre pays.

Claude: Il y a plus que les politiciens qui doivent participer aux états généraux d’une nation. Il y a les artistes, les universitaires, les travailleurs, le milieu des affaires, les entrepreneurs, les intellectuels, les sportifs, les femmes, les étudiants, etc… en somme tous les représentants de toutes les composantes de la société algérienne. Ensemble, un consensus émergera sur le genre de pays que doit être l’Algérie pour rencontrer les désirs de la majorité. De là, une constitution peut être écrite pour refléter les orientations acceptées par les états généraux. Il est temps que la politique cesse d’être influencée par les Ait Ahmed de ce monde.