le 15 avril 2004


Ce dialogue commente la réélection par une majorité écrasante de Bouteflika à la présidence de l’Algérie.

Le 15 avril 2004

Mansour: Ce que je redoutais le plus en Algérie s’est réalisé, et même à une plus grande échelle que je n’aurais jamais pu imaginer. Nous allons nous farcir 5 nouvelles années de Bouteflika, alors que pendant les dernières 5 années il a passé son temps (tout comme notre ami, Bush aux USA) à servir ses amis et surtout à diviser notre société. Toutes les institutions qui doivent former un état de droit ont déjà été détruites par ce Néron du 21ième siècle. Mais pour résumer mes pensées, l’Algérie a finalement rejoint les rangs de la Tunisie et de l’Égypte qui se permettent de soi-disant choisir démocratiquement leurs présidents à 80 ou 90 % des voix exprimées. Même les pays de l’est du temps du goulag n’avaient pas osé prétendre que leurs leaders étaient aussi populaires que chez ce monde arabe véreux et décadent.

Claude: À cause de nos conversations et de l’intérêt que j’ai pour l’Algérie et ses politiques, j’ai suivi de près le déroulement de cette élection et je suis surpris aujourd’hui de ta déclaration. Je ne vois pas sur quelle base tu critiques cette élection. Il y a eu des observateurs internationaux qui ont affirmé que généralement tout s’est bien déroulé. Il y a eu des bureaux de votation partout, et je n’ai entendu aucune plainte valable sur des fraudes électorales. J’ai entendu beaucoup de critiques de ceux qui ont perdu, mais où sont les preuves? Si Bouteflika avait gagné avec une marge de 1% ou 2%, on pourrait penser qu’il a volé l’élection, mais avec une si forte majorité ce n’est pas possible à moins de ne pas compter les votes et de présenter un résultat fictif, ce qui me semble invraisemblable car un tel vol deviendrait évident et serait vite dénoncé.

Mansour: Ce qui est tout de même extraordinaire c’est le comportement des USA et même du reste du monde occidental face à cette farce électorale. Le Washington Post par exemple, qui est le porte parole officieux du «state department», a présenté la réélection de Bouteflika comme une victoire de la démocratie dans un monde arabe qui est assoiffé de démocratie. Ce même journal a tout de même mis sous silence que même si les élections étaient honnêtes, Bouteflika a gagné grâce au support en particulier des fondamentalistes islamistes, qui sont considérés comme les ennemis jurés des USA à travers le monde. Ce même journal nous apprend aujourd’hui que l’Algérie de Bouteflika, qui a ouvertement fait un pacte avec le diable du fondamentalisme, est en fait un allié stratégique des USA dans sa lutte contre le terrorisme islamique mondial.

Claude: Pourquoi le silence? Si Bouteflika est assez politicien pour amener les votes des fondamentalistes à lui, c’est son affaire et tant mieux pour lui, mais sûrement les fondamentalistes ne représentent pas une majorité en Algérie. S’ils sont 10% ou même 20%, la marge de la victoire de Bouteflika est suffisamment grande pour couvrir cette alliance même si elle n’avait pas eu lieu. C’est comme Mulroney qui a eu l’appui des séparatistes du Québec alors qu’il se présentait Premier Ministre du Canada. Il a manœuvré pour avoir le plus de votes possible et il a réussi. Cela ne veut pas dire qu’il appuyait la politique des séparatistes ou qu’il avait fait une alliance avec eux. Il les a toujours dénoncé et combattu comme Premier Ministre par la suite.

Mansour: Va comprendre quelque chose à cette logique. Mais la véritable raison de ce chaleureux appui des USA à Bouteflika est en fait très simple à trouver. Il ne faut pas oublier que les compagnies pétrolières américaines ont investi des dizaines de milliards de dollars dans le sud algérien, à tel point qu’elles contrôlent aujourd’hui la majorité de la production des hydrocarbures en Algérie. Grâce au pétrole, tout d’un coup, les Bouteflika, Kaddafi, et émirs arabes sont devenus des alliés stratégiques de ce pays qui mène une guerre contre la dictature de Saddam et les terroristes d’Al-Queida. Que les princes saoudiens en particulier, ou les Bouteflika supportent ouvertement tous les mouvements fondamentalistes à travers le monde, ne semblent pas affecter la sécurité des citoyens américains, puisqu’ils sont, après tout, les pourvoyeurs de la plus grande drogue des américains, à savoir leur soif pour le pétrole.

Claude: Je comprends très bien ton argumentation sur cette politique surprenante des Américains. Peux-tu les blâmer d’avoir besoin de tant de pétrole? Que ferais-tu à leur place? Ils semblent jouer avec le feu mais peuvent souligner que Kaddafi a quand même déposé les armes. Non ?

Mansour: La presse européenne par contre a été un peu plus indépendante dans son évaluation des élections algériennes, même si les gouvernements européens ne voient rien à redire à ce sujet, malgré les résultats incroyables de l’élection.

Claude: Ces résultats sont-ils faux ou bons? Quelle preuve existe qu’ils sont truqués ?

Mansour: En conclusion je crois que l’Algérie est plus loin de son rêve de démocratie que jamais après ces élections. L’élite du pays est aussi pauvre intellectuellement que le reste du peuple algérien. Les partis politiques du pays ne sont que des artifices du régime lui même, qui est en fait une grande mafia militaro affairiste. Les organisations non gouvernementales, qui sont supposées servir à éduquer notre peuple et à lui donner le courage nécessaire pour remettre en cause les fondements mêmes de ce régime, ont failli lamentablement à ce jour. En fin de compte, l’Algérie a tout simplement rejoint le troupeau des soi-disantes nations arabes.

Claude: Il me semble que tu exagères un peu. Tu ne réponds pas à mes questions par tes explications. Probablement parce que les élections n’ont pas été volées. Tu disais que la culture politique du pays ne peut lui donner un rythme de croissance normale et d’amélioration de ses valeurs? Peut être que cette élection est le premier pas vers une modification de cette culture et un renouvellement démocratique de la nation.

Mansour: Et pas plus tard qu’hier soir, je disais à mon épouse Sharon que ces élections ont démontré une dernière fois que les Kabyles ne pourront jamais faire cause commune avec le reste de l’Algérie. Un jour ou l’autre les Kabyles se soulèveront en masse pour demander une séparation pure et claire entre les soi-disant arabes et les berbères qui peuplent ce pauvre pays. Et dieu sait que j’ai toujours lutté contre ce schéma de l’avenir de notre pays l’Algérie. Mais les radicaux berbéristes finiront par avoir le dernier mot. Et il arrivera un jour où l’unité territoriale de l’Algérie sera impossible à sauvegarder, à cause de l’attraction de ce monde arabo-musulman sur la majorité des populations en Algérie. Et les Kabyles en particulier n’accepteront jamais de se faire absorber entièrement par cette culture, fondamentalement moyen- orientale. Si je dois jouer au Nostradamus, je dirais que dans un demi-siècle nous verrons un petit état, non viable, entre parenthèses, économiquement se créer, et se rapprocher étroitement de l’Europe pour se protéger des cultures arabo-musulmanes du Moyen-orient. Ce qui me fait le plus mal au cœur c’est que la naissance de ce nouvel état embryon se fera dans la douleur, et que les Kabyles vont souffrir énormément avant de se libérer de cet étau arabo-musulman du Moyen-orient.

Claude: Je le souhaite. Pourtant tu as toujours ét. un grand défenseur de la centralisation. Alors que moi je suis un fédéraliste décentralisateur. Rappelle-toi nos échanges passés… Je crois que l’Algérie peut rester une s’il elle admet les différences de sa population et accorde à chaque groupe ethnique, dont les Kabyles, une certaine autonomie politique tout en demeurant dans le giron fédéral. Pourquoi une telle proposition ne pourrait-elle pas être adoptée?Elle le sera peut être le jour ou la Kabylie se révoltera et que le danger de scission deviendra manifeste. Si les Kabyles entreprennent une stratégie pour se rendre à cet objectif, ils l’obtiendront. C’est un long chemin, mais la désobéissance civile dans la non-violence rapporte des fruits à long terme et évite des morts. A quand la grande stratégie pour l’autonomie de la Kabylie? En blague, je te dis que si tu fais une recherche tu verras que Nostradamus a sûrement écrit sur ce sujet.

Mansour: Plus grave encore, je pense que la lutte de la Kabylie pour défendre son identité et sa culture ne sera que le début des conflits internes que le reste de l’Algérie aura à faire face, comme tu dis. Les Chaouis du constantinois n’accepteront jamais la domination politique des arabes de l’ouest du pays (région supportant aveuglement Bouteflika aujourd’hui). Et comme les populations de l’est sont plus nombreuses et plus pauvres, elles poseront le problème du partage du pouvoir politique. Et les arabes de l’ouest, bien moins nombreux que les arabes berbérophones de l’est se rapprocheront de plus en plus de leur allié culturel, le Maroc. Et dans moins d’un siècle, j’ai l’impression que l’Algérie d’aujourd’hui sera divisée en trois entités géographiques et politiques, la république Kabyle, une république du constantinois et une province nouvelle du Maroc à l’ouest du pays. Pour ce qui est du sud du pays, tout dépendra des convoitises françaises et américaines. Je ne serais pas étonné de voir le vieux rêve de de Gaule, la création d’une nation saharienne, voir le jour, pour enfin acquérir légitimement toutes les ressources du désert, pour la France en particulier et peut être un compromis avec les USA.

Claude: Voilà d’autres explications qui militent pour une fédération Algérienne. La séparation pure et simple ne donne rien, à mon avis. Mais la réunion des composantes ethniques du pays dans une grande fédération sera un ensemble plus grand que la somme des parties. La population profitera davantage du développement politique et de la richesse globale du pays, et chacun pourra protéger, sa langue, sa culture, ses coutumes et sa religion.