L’Opéra du Québec


L’Opéra du Québec

L’Opéra du Québec a finalement vu le jour en 1970. À la suite d’un rapport défavorable soumis au Ministère par Léopold Simoneau, le ministre de la Culture, Jean-Noël Tremblay, avait mis la clé dans la porte du Théâtre lyrique de Nouvelle- France, à Québec. Le temps était venu, avait-il décidé, de remplacer cette petite troupe municipale par une compagnie d’envergure provinciale.

Nommé directeur artistique du nouvel Opéra du Québec, Léopold Simoneau part en claquant la porte après un an. Le conseil d’administration, outrepassant son mandat, lui avait imposé un metteur en scène pour une production de Rigoletto, ce qu’avec raison Simoneau n’avait pas accepté. (Léopold a fini par s’exiler en Colombie-Britannique avec sa femme, l’excellente soprano Pierrette Alarie, où ils ont fondé Opera Piccola.)

J’ai été gâté à l’Opéra du Québec, j’y ai beaucoup chanté. L’avantage pour les artistes, c’était que les représentations de Montréal étaient suivies d’une autre série à Québec, où le Grand Théâtre venait d’être construit. À Québec, on engageait l’orchestre et les chœurs locaux. Là comme à Montréal, l’opéra faisait salle comble tout le temps.

Les productions de l’Opéra du Québec étaient également présentées au Centre national des arts, à Ottawa. Je me souviens entre autres d’un I Pagliacci dirigé par Franz Paul Decker où Louis Quilico chantait Tonio. Indisposé, mon collègue n’avait pu assurer les représentations à Ottawa. De passage à Montréal par hasard, je l’ai remplacé à la dernière minute. Pas de répétition musicale ou scénique … Cela m’a rappelé le Falstaff au Scottish Opera. J’ai d’ailleurs remplacé Louis à d’autres occasions, par exemple à Londres dans Rigoletto et dans Iphigénie en Tauride, de Gluck. Quel rôle impossible que celui de Thoas dans Iphigénie: rien que des fa dièse et des sol aigus. Pas étonnant que Louis ait été malade, rien que d’y penser je le suis aussi.

Du côté de l’administration, cependant, les choses ne se passaient pas aussi bien à l’Opéra du Québec. Favoritisme, coups bas, collusions avec les imprésarios, incompétence de tous ordres, défoncements budgétaires, en fait tout allait mal. La presse finit par avoir vent de l’affaire et, finalement, en 1975, l’organisme se fait couper les vivres en raison de son déficit. Encore une fois, Montréal n’a plus d’opéra. Songez donc, ça fait presque un siècle – depuis 1890 – qu’on essaie d’en implanter un!

Les mois passent. Entre mes contrats à l’étranger, je ronge mon frein. Finalement, aux élections provinciales du 16 novembre 1976, l’art lyrique perd un important allié politique. Jean-Paul L’Allier (pardonnez le jeu de mots), ministre de la Culture, est défait en même temps que la grande majorité des députés libéraux. La grande vague péquiste balaie les rouges comme elle a englouti les bleus aux élections fédérales de 1993. J’ai regretté le départ de M. L’Allier. C’était un homme cultivé, ce que nous n’avions pas eu si souvent à la tête du ministère de la Culture.

Le 17 novembre 1976 au matin, j’appelle Joseph Rouleau chez lui. Mon copain vient de rentrer définitivement de Londres avec sa famille. Désormais, c’est au Québec lui aussi qu’il veut vivre et chanter.

« Jos, il faut faire quelque chose. On vient de perdre nos appuis à Québec mais il nous faut quand même un Opéra à Montréal. Qu’est-ce qu’on fait?»

Cinq jours plus tard, quelque part dans un sous-sol de Ville Mont-Royal, une dizaine d’artistes, dont Colette Boky et son mari Jacques Létourneau (le Pirate Maboule), Pierre Duval et l’avocat Marc Bourgeois, sont réunis pour FAIRE QUELQUE CHOSE. Ce soir-là s’est créé un mouvement visant à doter le Québec d’une troupe permanente représentant toutes les disciplines des arts de la scène, visuels et d’interprétation.

Ensuite, tout va très vite. Nous recrutons des membres, nous formons un conseil d’administration en bonne et due forme et, avec l’aide de Me Bourgeois, nous nous constituons en société sans but lucratif en vertu de la troisième partie de la Loi sur les compagnies. Vrai, nous ne connaissons rien aux choses juridiques, mais tout s’apprend quand l’enjeu en vaut la peine.

Enfin, nous baptisons notre association Mouvement d’action pour l’art lyrique du Québec. Le MAALQ est né.

Nos membres actifs sont musiciens, danseurs, scénographes, metteurs en scène, chanteurs solistes et choristes. Nos membres adhérents sont les mélomanes et, plus simplement, tous ceux qui veulent soutenir notre cause.

Je décide d’accepter moins de contrats à l’extérieur afin d’avoir du temps pour m’occuper de l’affaire. Pour commencer, je dirigerai la barque de chez moi, à Pierrefonds.

Les réunions sont fréquentes et nous discutons ferme: quel type de lobbying convient-il d’exercer auprès du gouvernement pour que l’opéra renaisse? Que voulons-nous mettre au programme de nos premières saisons? Comment allons-nous faire de la place aux chanteurs débutants, la relève si chère à mon cœur?

Ensuite, pendant six mois, le MAALQ est logé gratuitement au nouveau complexe Desjardins, où un comptable agréé de nos amis nous fait don du mobilier qu’il a décidé de renouveler: belle grande table en teck, chaises, machine à écrire. Loyer, équipement, tout est fourni par des amis. Finalement, le président de la Guilde des musiciens, Gordon Marsh, nous offre un bureau, avec salle de conférence, au quatrième étage de l’édifice de la Guilde, à l’angle des rues Maisonneuve et Alexandre-de-Sève. Encore une fois à titre gracieux.

Confortablement installés dans nos locaux définitifs, nous engageons le combat. Les uns après les autres, tous les députés provinciaux représentant le Grand Montréal et la ville de Québec, ainsi que tous les ministres et superministres du Parti québécois, reçoivent notre visite. (Nos dépenses de voyage sont couvertes par la cotisation annelle de 25 dollars de nos quatre cents membres.) Partout, on nous reçoit très cordialement. Après tout, le slogan du P. Q. Est «Le Québec aux Québécois! ». Nous avons la ferme intention de le faire appliquer à l’opéra.

Au bout de trois longues années, le vent commence à tourner, grâce au docteur Camille Laurin (ancien chanteur lui-même), ministre de la Culture, et à Jacques Parizeau, ministre des Finances. Ce sont eux qui ont rendu possible la création de l’Opéra de Montréal, le premier en l’inscrivant à son Livre blanc, le second en épongeant le déficit de 1,5 million de dollars de l’Opéra du Québec.

Ce que le MAALQ n’a pas obtenu, cependant, c’est ce pour quoi il a bataillé avec le plus de fougue. Il n’a pas obtenu des pouvoirs politiques l’institution d’une compagnie permanente pour les chanteurs professionnels et pour leur relève, pour tous ceux que la province forme à coups de millions dans nos conservatoires et universités et qui, encore aujourd’hui, se trouvent sans débouchés à la fin de leurs études.

Pourtant, notre dossier était solide. Nous avions établi un plan d’action quinquennal précis, appuyé par des budgets réalistes et une bonne programmation. Tout le milieu des arts de la scène y aurait trouvé son compte. J’ignore le nombre exact des démarches que mes compagnons et moi avons faites pour promouvoir ce concept. (En fait, je le saurais en fouillant dans mes boîtes d’archives, mais je ne le ferai pas, de peur que notre échec me saute encore une fois à la figure.)

Néanmoins, en janvier 1981, l’Opéra de Montréal est créé. Le ministre Denis Vaugeois nomme Jean-Paul Jeannotte à la direction artistique et Jacques Langevin à la direction générale. Quant aux membres actifs du MAALQ, les professionnels de l’art lyrique qui ont tant sué pour le faire revivre, ils sont tenus à l’écart des postes importants. Joseph Rouleau, Jacques Létourneau et moi devons nous contenter du siège au conseil d’administration que nous offre le ministre. En fait, celui-ci nous jette un os pour nous empêcher de japper. Très bien, nous nous ferons chiens de garde alors! Membres du conseil, nous nous tiendrons au courant de tout et, surtout, nous tâcherons de protéger les chanteurs.

Tous les trois, nous finissons cependant par démissionner. Pas ensemble, l’un après l’autre. Je suis parti le deuxième, après Jacques, lorsque j’ai vu Bernard Uzan entrer dans les rangs. Joseph n’a pas été long à suivre.

Le bilan de l’aventure du MAALQ? Elle a échoué pour mes compagnons et moi. Nous avons reçu une leçon politique dont nous ne nous sommes pas relevés. Nous voulions un Opéra à Montréal? Il Y en a un. De quoi nous plaindrions-nous? Du fait, Messieurs les Responsables, que l’Opéra de Montréal a boycotté les artistes du MAALQ, qu’il nous a fait payer le prix fort pour avoir osé nous occuper de nos affaires. La suite de l’histoire, tout le monde la connaît. Ceux qui ne seraient pas informés n’ont qu’à lire les distributions des opéras présentés à Montréal depuis quinze ans. Où sont nos chanteurs?

J’ai quand même chanté deux fois à l’Opéra de Montréal. D’abord dans Tosca, la première œuvre montée par la nouvelle compagnie et dans laquelle, après notre longue lutte, je tenais à figurer. Tous les rôles principaux ayant déjà été distribués, Jeannotte m’a offert le petit rôle du sacristain. Ce fut le seul rôle de second plan de toute ma carrière.

Ensuite, celui de Belcore, dans L’Elisir d’amore de Donizetti, qui a marqué ma retraite définitive de la scène en décembre 1981. En juin déjà, au moment de signer mon contrat, ma décision était prise. Je ne chanterais plus jamais à l’Opéra. J’en avais assez des costumes, des perruques, des metteurs en scène, des chefs d’orchestre, des valises, de tout. «Tu n’es pas sérieux?» a fait Jeannotte en apprenant la nouvelle. Oui, j’étais sérieux. Cette fois, c’était bien fini. Je tirais ma révérence.

Le soir de la dernière représentation de L’Elisir, on m’a fait une petite fête au Salon vert de la Place des Arts. Jean Claude Delorme, alors PDG de Téléglobe Canada et président de l’Opéra de Montréal, a lu devant les invités un poème joliment tourné qu’il avait composé durant le spectacle même. Je l’ai conservé.

Mais si c’était à refaire, je ne changerais rien. Mes convictions n’ont jamais bougé. Si le MAALQ avait eu gain de cause en 1981, la relève serait assurée. Ce seraient des Québécois qui occuperaient en majorité la scène de l’opéra de la Place des Arts. Et ce serait eux que vous, le public, applaudiriez à tout rompre aujourd’hui.

Chapitre 7: Administrateur des arts 

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