Triste été


Triste été

En mai 1969, il m’arrive quelque chose de nouveau, d’étonnant, d’inquiétant même. Engagé pour chanter Lescault dans le Manon de Massenet, à Vancouver, je m’aperçois à ma grande stupeur que je n’ai pas le moindre trac.

Immédiatement, je me suis dit: «Si tu n’as pas le trac, Savoie, tu n’as plus rien à faire dans ce métier.» Qu’il s’agisse d’un opéra, d’un concert, d’un récital ou d’une simple chanson, le trac, c’est essentiel. Quand on ne sent plus rien, c’est le temps d’abandonner.

Or, à la première de Manon, je n’avais rien senti, ni au moment de me réchauffer la voix ni en mettant les pieds sur scène. Ça y était, j’étais saturé de la profession. Il ne me restait plus rien à donner.

J’ai commencé à prendre les avions en horreur, et j’ai arrêté de chanter. Puis je suis allé voir des amis, dont Peter Dwyer, directeur du Conseil des arts du Canada à Ottawa, et le maire Drapeau, pour qu’ils me trouvent un job. Ni l’un ni l’autre n’ont rien voulu entendre. «Chante, Bob! » c’est tout ce qu’ils ont trouvé à me répondre. Mais je n’avais plus le cœur à chanter. J’ai passé l’été 1969 dans ma cour.

Et puis, il y a eu cette dame chez Eaton, debout derrière moi dans l’escalier roulant, qui m’a posé la main sur l’épaule en disant: «Lâchez pas, monsieur Savoie. C’est si beau de vous entendre!» En septembre, mon agent m’a offert de participer à une création mondiale à Marseille. Je me suis remis au travail.