Marilyn Horne à Montréal


Marilyn Horne à Montréal

Il ne m’est pas arrivé souvent de jouer à la «vedette» (en passant, ce terme employé par le public et les médias me déplaît souverainement parce qu’il exclut d’office les autres artistes). A cette époque cependant, j’ai fait exprès, une fois, de faire ma vedette pour rabaisser le caquet à une diva.

C’était à l’occasion d’un Barbier de Séville produit par l’Opera Guild. Je jouais le barbier Figaro et la très illustre mezzo colorature Marilyn Horne chantait le rôle de Rosina, l’héroïne. Son mari, Henry Lewis, dirigeait l’orchestre.

À peine arrivée à Montréal, Mme Horne est happée par les journalistes et les photographes. Tout le monde se l’arrache, entrevues ici, entrevues là. C’est à peine si elle a le temps de répéter. Or, c’est son premier Barbier. C’est aussi le premier Barbier de Lewis.

L’opéra ne lui étant pas familier, Jackie, comme elle se fait appeler de tous, me pose toutes sortes de questions sur les humeurs et comportements typiques de son personnage. Non seulement je lui réponds cordialement mais je l’informe de certains détails importants qui n’apparaissent pas dans la partition; la tradition veut, par exemple, que Figaro prononce deux petits mots parlés (Si, signorina.0 dans le cours de son duo avec Rosine. Celle-ci doit lui donner le temps de les dire avant d’enchaîner avec sa musique.

Mais arrive le soir de la générale. Au deuxième acte, Rosine chante un air durant la scène de la leçon de chant. La tradition veut (encore) que la soprano remplace ici la musique de Rossini par un air de son choix, propre à mettre en valeur ses talents de colorature, c’est-à-dire son expertise dans les vocalises très rapides.

Mme Horne a choisi un air de bravoure tiré de La Donna dei lago de Rossini. Très bien, sauf que cet air dépasse les huit minutes. C’est cinq bonnes minutes de trop. Le spectacle ne peut pas dépasser trois heures. Au-delà, il faut payer les musiciens d’orchestre à taux double! Comme madame et son mari tiennent à garder intact la précieuse aria, ils décident d’éliminer plutôt la musique de la tempête dans la scène suivante. Or, ce long interlude à l’orchestre a été composé par Rossini exprès pour donner le temps à Figaro et Rosine de changer de costume pour le finale (environ cinq minutes, justement). Ni Lewis ni Horne n’y ont pensé.

À la fin de l’acte j’entends de la coulisse le metteur en scène crier de la salle: «Changement de costumes!» Marilyn part se changer. Pendant ce temps, je m’approche de la fosse d’orchestre pour parler à Lewis:

«Il faudrait rétablir la musique de la tempête, Maestro ! Rosina doit mettre sa robe de mariée.

-Mais on ne peut pas, on va dépasser la limite de temps! »

Coincé, Lewis fait venir sa femme et lui explique qu’il faut raccourcir son air de deux ou trois couplets. C’est alors que l’engueulade éclate et que les étincelles se mettent à voler entre la scène et la fosse. A la fin, Horne cède et consent à l’affreuse mutilation.

Le soir de la première, tout se passe bien … jusqu’aux saluts. Comme d’habitude, toute la distribution va saluer en solo devant le rideau, en commençant par le plus petit rôle jusqu’au plus important, celui de Figaro. Dans le Barbier de Séville, Rosina passe toujours l’avant-dernière. Or, son tour venu, Mme Horne refuse d’aller saluer avant moi. Les secondes passent, les applaudissements diminuent. Si ça continue, ils vont s’arrêter! Finalement, la diva doit céder encore une fois. Le public l’accueille avec un tonnerre d’applaudissements. Ayant pris bien soin de les laisser diminuer au maximum, je cours à mon tour devant le rideau. Les bravos reprennent de plus belle.

Magnanime, je décide de partager mon salut avec Marilyn et je retourne la chercher. Elle résiste encore! Derrière le rideau, planté à côté d’elle, je lui lance: «l’m sorry, but no matter how hard you try, you will never make a good Figaro!» Il y a toujours des limites!

Le soir de la deuxième, Horne vient me trouver dans ma loge pour me demander d’être son Figaro dans ses prochains Barbier de Séville. J’ai refusé, prétextant des engagements ailleurs. En fait, je ne supporte pas les «vedettes» qui font de vous des valets de pied.

Heureusement, il y a des vedettes gentilles, et celles-là ne me gênent pas du tout. La soprano Joan Hammond, par exemple. Un jour, devant le New Theatre de Cardiff, au pays de Galles, juste avant le début des répétitions de Tosca, je vois arriver une Rolls Royce. Une grande dame descend majestueusement de voiture en tenant un petit caniche blanc sous chaque bras. Grand chapeau, manteau de vison, chauffeur, suivante. Je me renseigne discrètement: «Qui c’est?» On répond: «C’est Joan Hammond, la Tosca.» Oh pardon! Mais elle était sympathique, Joan, ce qui change tout.