La marche du sel


L’impôt sur le sel rapportait 15,000,000 de francs-or annuellement au gouvernement britannique. Le produit de cette taxe était investi dans le budget des dépenses militaires qui a lui seul représentait près de 30% du budget total et presque cinq fois celui des écoles.

C’est donc dire que cette taxe servait à maintenir l’Inde dans son état de servitude en fournissant à l’armée anglaise, qui occupait le pays par la force, l’argent dont elle avait besoin pour assurer son existence.

Le peuple était trop pauvre pour payer une telle taxe sur un produit aussi essentiel à leur survie et à celle de leur bétail. À cette époque, le revenu moyen par habitant (y compris celui des radjas millionnaires) n’était que de quelques centimes par jour. Ceux qui habitaient au bord de la mer auraient pu en fabriquer en faisant bouillir de l’eau mais cela était interdit.

C’est à cet interdit que le Mahatma décida d’inviter tout le peuple de l’Inde à violer cette interdiction qu’il qualifiait de « hors la loi ». Le 12 mars 1930, il prévint la police de son plan d’action et il se mit en marche vers l’océan en compagnie de 79 amis dans le but de recueillir de l’eau de mer, le faire bouillir sur la plage et de consommer le sel qui cristalliserait sur le bord de la chaudière.

Avant le début de cette campagne de désobéissance civile, Gandhi avait publié la règle à suivre par chaque volontaire qui désiraient le suivre dans ce geste de résistance non-violente.

Young India par M. K. Gandhi
27 février 1930

– Le Satyagrahi ne se laissera pas aller à la colère
– Il supportera la colère de l’adversaire
– Il n’usera jamais de représailles mais il ne se soumettra, pour quelle que raison que ce soit, à aucun ordre donné dans la colère
– Il se laissera arrêter et ne s’opposera pas à la saisie de ses biens
– Il ne laissera quiconque s’emparer d’un bien qui lui aura été confié et il le défendra au prix de sa vie mais sans jamais rendre violence pour violence
– Pas de représailles, pas de jurons ni de malédictions
– Il n’insultera pas ses adversaires, ne se servira d’aucun des cris et d’aucunes formules contraires à l’esprit de l’ahimsa
– Il ne saluera pas l’Union Jack mais il ne l’insultera pas non plus, ni les personnages officiels anglais ou indiens
– Durant la campagne de désobéissance civile, si quelqu’un insulte ou s’attaque à un personnage officiel, il protégera ce personnage contre l’insulte ou l’attaque, même au risque de sa propre vie.
Ces règles ne s’adressaient pas à quelques ascètes ni à l’élite du peuple; elles étaient publiées à l’intention de tous et elles furent respectées à la lettre par des millions d’Indiens. La peur avait disparu. La prison était un honneur et même la terreur ne parvint pas à ébranler les convictions du peuple.
Le 5 avril, Gandhi atteignit la mer à Dandi avec ses disciples et des dizaines de milliers de personnes. Le lendemain, il en tira du sel et violait publiquement la loi. Son exemple fut suivi partout en Inde et la police était en état d’alerte.

Les dirigeants du Congrès Indien furent arrêtés un par un et le Mahatma lui-même fut emmené de nuit à la prison de Yeravda.

Pour intimider le peuple, la police multiplia les charges à coup de lathis ferrés. Dans la ville de Peschavar, les forces de l’ordre ouvrirent le feu à bout portant sur la foule paisible. Les manifestants au premier rang tombèrent sous la mitraille et aussitôt après, un second rang se présenta, la poitrine découverte devant les soldats qui refusèrent de tirer.

Un camion transportant des prisonniers eut une crevaison. Les manifestants qui venaient d’être arrêtés se dirigèrent, au pas de course, à la prison où le conducteur du camion devait les amener. Le cortège fut ovationné tout le long de la route.

Un jeune écolier, refusant de rendre son sac de sel, est rué de coups. Le sang coule mais il demeure imperturbable devant cette violence. L’officier qui commande le peloton arrête ses hommes et dit au petit garçon: « Tu es brave. Je n’ai jamais vu faire la guerre de cette façon. »

L’histoire de l’Inde parlera toujours de ces événements d’avril 1930. Dans les rues, 10, 20, 30, 40,000 personnes s’assoient par terre en bloquant toute circulation parce que l’on leur refuse le droit de défiler paisiblement. La cavalerie charge mais les chevaux s’arrêtent à quelques pieds des premiers manifestants. Les bêtes refusent d’avancer…

Tant de brutalité fit perdre tout respect aux britanniques.