Adieu cousins, cousines, parenté…


De retour à Montréal, Charles-Émile rencontre sa sœur Marie-Rose et Isabelle, la fille d’Albertine, pour régler la succession de Mémère Dupras. Isabelle est là, car sa mère a prédécédé Mémère Dupras, il y a 10 mois, à l’âge de 54 ans. Foudroyée par un cancer sournois, Albertine est morte quelques mois seulement après que son médecin eut découvert sa maladie. Ses filles Aline, Liliane, Thérèse, Jacqueline, Hélène, Isabelle et son fils Gérard ont été terrassés par la perte subite de leur mère. Elle représentait tout pour eux.

Lors du décès, l’oncle Ferdinand, un beau et grand gaillard de plus de six pieds aux épaules bien carrées, au visage heureux et profondément amoureux de son épouse, est à ce point déchiré par le chagrin qu’il en est méconnaissable. Il ne parle plus, il gémit, refuse de manger et de quitter ne serait-ce qu’un moment le cercueil exposé dans le salon de leur maison sur la rue Northcliffe, au sud de la rue Sherbrooke Ouest, à Notre-Dame-de-Grâce. Tout comme sa famille, Claude est durement touché par la disparition inopinée de sa tante qui était aussi sa marraine. À l’instar de son parrain Ferdinand, elle a toujours su manifester une attention particulière à son filleul. Combien de fois ne l’a-t-elle pas gardé chez elle lorsqu’Antoinette était débordée de travail. Elle l’aimait, le gâtait et savait lui faire plaisir. Avec eux, Claude se sentait en sécurité. Charles-Émile pleure très sincèrement lui aussi la perte de sa sœur.

Le matin des funérailles, Claude, installé au pied de la bière de sa marraine, est témoin des dernières prières et des derniers regards de ses cousins et cousines pour leur mère et de ceux de ses parents et des autres membres de la famille. Il est ému devant le geste de Ferdinand qui embrasse longuement Albertine sur le front et lui enlève le chapelet déposé sur ses mains pour le garder en souvenir. À la fermeture du cercueil, Ferdinand, inconsolable, éclate en sanglots. Il pleure comme un homme qui n’a jamais pleuré et qui ne sait pas comment.

Inconsolable, il refuse de quitter le salon pour permettre aux porteurs de tourner le cercueil vers la porte et de le soulever. Ferdinand se cabre dans l’encadrement de la porte, étire ses deux bras et, de ses mains, il s’agrippe au linteau en disant, avec beaucoup de difficulté, «Vous ne la sortirez pas !». Tout le monde est stupéfait. Les porteurs, qui tiennent le cercueil à hauteur de taille, ne bougent pas, ne sachant plus trop que faire. Charles-Émile s’avance pour lui parler, mais Ferdinand ne veut rien entendre. Après quelques minutes, quelques hommes l’entraînent de force dans le corridor et réussissent à l’emmener vers la cuisine. C’est un moment inoubliable qui restera toujours gravé dans la mémoire de Claude. Les funérailles ont lieu à l’église de la paroisse.

Le testament de Mémère Dupras est simple. Le peu qu’elle a doit être partagé entre ses enfants Charles-Émile, Marie-Rose et la famille de feue Albertine. Le partage des petites sommes de son compte de banque est facile à faire. Pour procéder au partage des meubles, de ses accessoires et de ses effets personnels, les trois se rendent au logement de Mémère. Et c’est là que les choses se gâtent. En moins d’une heure, la discussion s’envenime et se transforme en querelle. On se bat pour des riens, un porte-savon qui vaut à peine un dollar ! Rouge de colère, Charles-Émile demande à Claude qui l’accompagne d’aller l’attendre dans la voiture. Une heure plus tard, il vient le rejoindre. En proie à un grand énervement, il annonce «C’est fini». Claude n’a aucune idée de ce qui se passe.

De retour à la maison, Charles-Émile fait le récit des événements à Antoinette. Claude, qui entend tout, comprend que les relations entre les familles sont désormais coupées. C’en est fini des Dupras. Claude ne peut croire qu’il ne reverra plus ses cousins et cousines Duffy et Bibeau (Marie-Claire, Gisèle, Laurette et Marcel). Lui qui les voit de quinze à vingt fois par an depuis sa plus tendre enfance ! Mais l’avenir lui démontrera que c’est bien le cas. Pour des bagatelles, les trois négociateurs ont tout brisé, sans tenir compte des liens profonds qui existaient entre les plus jeunes membres de leurs familles, du plaisir qu’ils avaient à se retrouver ensemble et du besoin qu’ils avaient de se rencontrer. Claude ne reverra que Gisèle et Aline. En 1984, lors de la visite du pape Jean-Paul II au Québec, Claude se trouve devant l’oratoire Saint-Joseph. Il attend, debout sur le chemin de la Reine-Marie, le passage de la «papamobile». Tout à coup, il se rend compte que sa cousine Gisèle est à côté de lui, par le plus grand des hasards. C’est la seule fois qu’il reverra un membre de la famille Bibeau. Plus tard, il rencontrera sur la rue Saint-Jacques, aussi par hasard, le chanteur d’opéra Robert Savoie. C’est le mari de sa cousine préférée, Aline. Désireux de la revoir, il les invite à prendre un repas à sa maison de l’Estérel. Il la reverra plus tard, à l’occasion d’un dîner dans un restaurant de Montréal et à l’enterrement de son père où il rencontrera brièvement les autres membres de la famille Duffy.

Malheureux, Claude se plaint souvent à son père de ce qu’il a fait. Celui-ci lui répond à chaque fois, en haussant les épaules «C’est comme çà dans toutes les familles». Sceptique, Claude se jure bien de ne jamais agir de la sorte.