La « strap »


Dès le début de l’année scolaire 1943, Jean-Claude consulte le surveillant de la salle d’études pour des questions sur ses devoirs, comme il l’a toujours fait chez les Soeurs. Il obtient rarement l’aide qu’il recherche et retourne bredouille à sa place. Une fois, à propos d’un problème d’arithmétique, il s’approche du surveillant, le frère Janvier, un nouveau frère convers. C’est un colosse aux joues rouges originaire de Saint-Lin. Il se fait répondre de regarder dans son dictionnaire ! Jean-Claude a beau lui répéter qu’il s’agit d’un problème d’arithmétique, le frère ne veut rien savoir. Jean-Claude retourne à sa place en haussant les épaules, sous le regard des autres élèves.

Insulté par ce geste, le surveillant lui ordonne de se rendre au bureau du préfet de discipline, le frère Cécilien. Celui-ci lui ordonne de s’asseoir et part s’enquérir auprès de son confrère de la nature du délit. À son retour, il lui reproche son manque de respect et le met en garde contre toute récidive, car il devra alors agir plus durement à son endroit. Se dirigeant vers son pupitre, il en sort du tiroir un morceau de cuir d’un pied de long et de trois pouces de large. Jean-Claude n’a jamais rien vu de tel ! La prochaine fois, l’avise le préfet, il sera obligé de lui en administrer des coups sur les mains. Jean-Claude vient de comprendre qu’il s’agit de la fameuse strap, l’instrument de terreur du frère Cécilien.

Le lendemain, à l’étude, Jean-Claude soupçonne le frère Janvier de le surveiller continuellement. Il ne peut s’empêcher de lui jeter un regard inquiet de temps à autre. Voyant son manège, le frère l’appelle en avant et l’accuse d’impolitesse et d’attitude méprisante. Il lui ordonne encore une fois de se rendre au bureau du frère Cécilien qui reprend le scénario de la veille. Mais cette fois le préfet de discipline se rend à son bureau, y prend la strap et demande à Jean-Claude de tendre la main droite. Ce dernier veut s’expliquer, dire qu’il n’a rien fait, mais comprend vite qu’il est trop tard, que jugement est rendu. Le frère Cécilien lui dit de se taire et ordonne à nouveau de tendre sa main droite. Jean-Claude s’exécute, avance la main tout en fermant les yeux. Il reçoit aussitôt son premier coup de strap.

La douleur est fulgurante, bien pire qu’il ne l’avait imaginée. Sa main est devenue toute rouge et il se met à pleurer. Le frère Cécilien l’accuse de n’être qu’un hypocrite. Il lui ordonne de cesser de verser ses «larmes de crocodile» et d’avancer la main de nouveau. Jean-Claude, qui croyait en avoir fini, comprend qu’il s’est trompé et que la sentence est de trois coups, toujours sur la même main. Il devra subir les deux autres en silence. Il tend à nouveau la main et reprend son souffle. Cette fois-ci, il ne ferme pas les yeux. Le grand frère Cécilien prend son élan, mais au moment de recevoir le coup, Jean-Claude ne peut s’empêcher de retirer sa main. Le coup «passe dans le beurre» et le Frère en est tout déséquilibré. Furieux, celui-ci l’accroche par l’oreille et la serre fortement en l’avisant que cela lui vaudra deux coups de plus. Il a intérêt à ne pas répéter ce petit stratagème ! Jean-Claude vient de comprendre qu’ici, le préfet de discipline est le bourreau et lui, la victime. Coupable ou non, il lui faut recevoir sa punition sans mot dire afin de sortir de ce bureau le plus vite possible. Surtout agir en conséquence pour ne pas y revenir. Le troisième coup et les deux derniers sont administrés rapidement. Jean-Claude a l’impression que sa main est en feu, sinon en sang. Il quitte aussitôt ce bureau de malheur et court prestement vers l’abreuvoir du corridor pour y mettre sa main sous l’eau froide. Reprenant ses esprits, il se promet bien qu’il ne retournera plus jamais chez le préfet de discipline. Hélas, l’injustice qui règne dans cette institution l’y ramènera souvent.