Le Jazz


Les années ’40 ont été la période de l’âge d’or du jazz à Montréal. C’est à l’endroit surnommé the corner, à l’intersection de la rue Ste-Antoine et de la rue de la Montagne, que se trouve le point focal du jazz à Montréal. Le Rockhead’s Paradise et le Café St-Michel y sont installés. C’est la période durant laquelle Oscar Peterson devient un pianiste de jazz reconnu. Les blancs opinent que le talent de Peterson trouve son influence dans les compositeurs européens comme Liszt, tandis que les noirs argumentent que c’est Duke Ellington et la communauté noire qui sont son inspiration.

Des musiciens qui se disent de jazz jouent cette musique pour le plaisir des clients de cabarets à travers la ville. Mais ce sont surtout des musiciens blancs, avec leur forme de jazz, qui sont engagés pour les spectacles de showgirls, de comédiens et de chanteurs ainsi que pour les orchestres de danse de jitterbug et de mambo. Les propriétaires de cabarets engagent normalement deux orchestres. Un pour les spectacles qu’ils présentent et l’autre pour la musique d’ambiance entre les spectacles. C’est durant la prestation de cette dernière que les musiciens noirs incorporent de la musique bebop, sans trop exagérer afin d’éviter des critiques du propriétaire.

C’est au Aldo’s de la rue Crescent que se produit le musicien de renom et autodidacte Steep Wade, pianiste et saxophoniste de bebop, qui influence Peterson. Il le prend sous son aile en lui rappelant que les espoirs de la communauté noire reposent sur ses succès. Aldo’s est l’endroit préféré de Claude où il va souvent écouter Oscar Peterson et d’autres excellents musiciens noirs.

Peterson croit alors que le jazz n’a pas le respect qu’il mérite comme forme artistique et que les blancs sont incapables d’accepter le talent artistique et les succès des noirs.

Des jam sessions chez Aldo’s et ailleurs sont populaires et permettent aux musiciens de se laisser aller et de créer leur musique. Avec les boîtes de nuit ouvertes jusqu’à tôt le matin, les clients ont l’opportunité d’entendre des sessions incroyables et les propriétaires en profitent car les musiciens ne sont pas payés à ces heures tardives. Ces jam sessions servent aussi à mesurer et à classer le travail des jeunes musiciens et des nouveaux arrivés en ville.

Le jazz permet aux musiciens noirs de vivre de leur musique dans les boîtes de nuit. Par contre, Peterson constate qu’aucun musicien noir ne joue dans un orchestre à Montréal ou à Toronto. Quant à Rufus Rockead, propriétaire du Rockhead Paradise, il n’engage que des musiciens noirs dans son orchestre. Il fait quelques fois exception dans un lounge qu’il opère au sous-sol de sa boîte de nuit.

En apprenant les commentaires de Peterson, Claude lui donne raison car il a engagé une dizaine de fois, depuis sa sortie du Mont-Saint-Louis, des orchestres parmi les meilleurs de Montréal et il n’a jamais vu un musicien noir faisant partie de ces orchestres. De même pour les orchestres animant les nombreux bals et danses auxquels il a participé. Même si ces orchestres sont multiethniques et sont composés de Français, d’Anglais, d’Italiens, de Cubains, d’Espagnols et d’individus d’autres nationalités, il n’y a pas de noirs. Claude réalise tout à coup qu’il existe une discrimination raciale contre les noirs dans ce milieu à Montréal. Il ne comprend pas pourquoi car il sait que les noirs sont de grands musiciens. Se rappelant son voyage en Virginie où la discrimination est flagrante, il réalise qu’à Montréal plusieurs Montréalais ont des propos non discriminatoires mais agissent autrement.

Finalement, le jazz perdra de sa popularité et, d’après les connaisseurs, ce serait à cause de l’élection de Jean Drapeau comme maire de Montréal en 1954. Sa politique d’éliminer le crime organisé affecte considérablement les revenus des boîtes de nuit qui diminuent radicalement. Les propriétaires de celles-ci se voient obligés de réduire considérablement leurs budgets de musiciens pour faire face aux nouvelles contraintes budgétaires. De plus, la venue de la télévision encourage les banlieusards à demeurer chez eux pour se divertir. Les propriétaires de boîtes de nuit désespérés se tourneront vers le striptease. Chez Paree deviendra la boîte de nuit la plus populaire.

Avec la disparition des boîtes de jazz qui pullulaient depuis les années ’40 disparaissent les endroits qui servaient effectivement de site d’entraînement pour les musiciens de jazz. A la fin des années ’70, il n’en existera plus un où ils peuvent jouer leur musique dans un endroit dédié au jazz, la créer et être compétitifs avec leurs semblables.

Peterson ne croit pas que le futur du jazz soit rose car sans ces boîtes de nuit de nouveaux talents hors de l’ordinaire ne peuvent émerger. Les Montréalais devront attendre le futur spectacle annuel du Festival de Jazz de Montréal pour obtenir des performances de qualité.