L’effort de guerre


La guerre vient bousculer le cours normal des choses. Plusieurs soirs, il y a black-out. Après le crépuscule, pour éviter la surprise d’un bombardement ennemi, les sirènes installées à travers la ville de Verdun sont tous activées en même temps et leur bruit déchirant signifie qu’il faut éteindre toutes les lumières de la ville, y compris celles des maisons. Les mêmes sirènes hurlent aussi certains jours pour les exercices de protection civile. Les soirs de black-out, la famille se réunit autour de la radio, à la noirceur en s’éclairant à la chandelle derrière les rideaux tirés. Leurs émissions préférées comme Inner Sanctum Mysteries leur font alors encore plus peur.

Au nom de l’effort de guerre, il faut développer la production industrielle et agricole pour assister, habiller et nourrir les troupes canadiennes et alliées. King demande aux Canadiens d’économiser les matériaux et de limiter leur consommation de nourriture et de produits stratégiques. En 1942, il impose le rationnement dans toutes les régions du pays. La famille comprend que c’est la seule façon logique de distribuer également à chaque Canadien le minimum vital. Les denrées et le matériel se font rares. C’est le cas pour le sucre, la viande, le café, le thé, les légumes en conserve, le beurre, le coton, la laine, les machines à écrire, l’huile de chauffage, l’essence, le caoutchouc, les souliers et les automobiles. Ce sont les pénuries de nourriture qui affectent le plus Antoinette. Le gouvernement encourage les familles à se faire « des jardins de la victoire » et des conserves à la maison. Il change la mode pour diminuer la quantité de tissu dans les complets, les robes et les jupes.

Un système de contrôle des marchandises est établi en assignant un prix et une valeur à chaque produit en fonction de sa rareté. Chaque Canadien, incluant les enfants, reçoit un carnet de coupons de rationnement pour les six prochains mois. Les familles ne sont pas limitées à certaines quantités d’aliments rationnés car elles peuvent utiliser leurs coupons comme elles veulent. Sauf qu’une fois les coupons utilisés, elles ne peuvent plus acheter le produit rationné avant le mois prochain! Le marchand ramasse les coupons et s’en sert pour commander de la nouvelle marchandise. Charles-Émile échange ses coupons de viande avec ses amis pour leurs coupons d’essence car il veut aller à Saint-Jérôme au moins une fois par mois. Et même s’il y a un marché noir qui se développe, que certains font des profits exorbitants et quelques dirigeants bénéficient de favoritisme, Antoinette trouve que le système de rationnement est un inconvénient acceptable. Les gras de viande sont conservés et échangés à la boucherie pour des coupons. En ce début de 1942, Jean-Claude et Pierre-Paul apportent aux soeurs du pensionnat leurs coupons personnels car elles en ont besoin pour se procurer de quoi les nourrir. À la maison, le baloney devient populaire.

Le système de transport public tourne au ralenti. Les entreprises manufacturières transportent leurs ouvriers au travail et les reconduisent chez eux debout dans la grande boîte arrière de leurs camions. Un jour, Jean-Claude est témoin de la mort d’un ouvrier qui a perdu l’équilibre en sautant de la boîte pour tomber et se retrouver la tête sous les roues du camion en mouvement. Il n’oubliera jamais cette scène affreuse.

On ne trouve plus ni soie, ni fibres synthétiques et certaines jeunes femmes se tracent une ligne à l’arrière des jambes pour faire croire qu’elles portent des bas. À l’école, on administre aux enfants une dose hebdomadaire d’extrait de malt, pour s’assurer qu’ils reçoivent toutes les vitamines nécessaires à leur croissance. Tout est conservé et ramassé par les autorités, boîtes de métal, ferraille, papier, pneus, tout morceau de caoutchouc, linge, aluminium…

Les femmes aident beaucoup. Elles travaillent dans les hôpitaux pour remplacer les infirmières parties à la guerre. Plusieurs d’entre elles, comme la cousine de Jean-Claude, Jacqueline Duffy, s’enrôlent comme femmes militaires, les CWACS. D’autres se retrouvent par milliers dans les industries de guerre. Parmi celles-ci, des épouses de soldats qui doivent gagner de l’argent pour payer les places des enfants dans les nouvelles garderies de jour et pour le fonctionnement de la maison. Quelques unes s’occupent des achats pour les femmes qui travaillent et qui leur laissent leurs listes de besoins et leurs coupons de rationnement le matin avant de partir. Celles qui restent à la maison écrivent des lettres aux soldats, oeuvrent dans des organismes bénévoles comme la Croix-Rouge, ou dans les groupes d’auxiliaires. Elles cousent, préparent des paquets pour les soldats, font des vêtements pour les enfants d’Angleterre, recueillent des fonds en organisant des concerts et ainsi de suite…