En 1955, le visage de Montréal est anglais. L’élite anglaise contrôle l’économie et maintient toujours une grande influence sur le gouvernement provincial via le financement qu’elle lui procure. Plusieurs nationalistes ressentent un sentiment de rébellion qui bouille dans leur cœur. Ils sont agacés de voir si peu de Canadiens français à la tête des grandes compagnies canadiennes et en concluent qu’ils n’ont pas leur place dans le régime politique canadien. Ils sont fiers de voir Maurice Richard, le fabuleux Rocket du Canadien, devenir le meilleur joueur de hockey au Canada qui remet à leur place les joueurs anglais des autres clubs qui sont assignés à le couvrir et qui le font très agressivement. Sa vigueur, son endurance, sa vitesse (d’où le nom Rocket) et son habileté hors de l’ordinaire en font le sujet de toutes les conversations. La façon avec laquelle il déjoue les joueurs adversaires et ses yeux qui semblent de feu lorsqu’il arrive au but excitent ses partisans. Surtout, ils admirent son leadership et son humilité face à la gloire et la façon toute simple par laquelle il s’exprime intelligemment. Il est l’idole de tous les Canadiens français.
Claude a l’opportunité de le voir jouer une dizaine de fois et chaque fois c’est un grand spectacle. Il suit de près sa carrière, partie par partie et est fier et excité par tous les records qu’il accomplit dont celui de 50 buts en 50 parties. Il garde dans ses albums toutes les découpures de journaux du Rocket dont celles d’une chronique sportive à laquelle Richard collabore. Ce dernier exprime des critiques, souvent justifiées, sur la ligue Nationale de Hockey et particulièrement sur son président Clarence Campbell qu’il juge arrogant et partisan.
Lors du match du 13 mars 1955, à Boston, alors que les Bruins sont en désavantage numérique et que le gardien du Canadien est retiré pour un attaquant supplémentaire (c’est un geste risqué du coach Dick Irvin car il reste 6 minutes à jouer), Hal Laycoe des Bruins frappe le Rocket à la tête avec son bâton, alors qu’il le dépasse. Le jeu continue jusqu’au prochain hors-jeu. Richard, en furie, patine vers l’arbitre Udvari et indique la blessure à sa tête d’où le sang jaillit. Alors qu’Udvari s’apprête à imposer une punition au joueur du Boston, Richard se retrouve près de Laycoe et perd son contrôle. Il lui assène des coups de son bâton sur sa tête, ses épaules et finalement le brise sur son dos. Il ramasse un autre bâton sur la glace et lui assène un troisième coup sur le dos. Il est finalement empoigné par l’arbitre de lignes et les deux tombent sur la glace. En se relevant, Richard frappe l’arbitre de lignes de deux bons coups de poings. Face à toutes ces frasques, Udvari impose à Laycoe une punition de 15 minutes et une de match au Rocket.
C’est la deuxième fois cette saison que le Rocket frappe un officiel. Il est convoqué aux bureaux de la ligue Nationale et explique qu’il s’est retrouvé étourdi à la suite du coup qu’il a reçu sur la tête et croyait que c’était un autre joueur des Bruins qui l’avait empoigné et non l’arbitre des lignes. Clarence Campbell, le président de la ligue, n’en croit rien et, face à cet acte intolérable, impose à Richard une suspension pour les trois derniers matchs de la saison et ceux des éliminatoires de la coupe Stanley. C’est d’une sévérité inhabituelle. Richard voit s’évaporer ses chances de terminer premier compteur de la ligue (buts et assistances compris). Il occupe actuellement le premier rang avec seulement trois points d’avance sur son jeune coéquipier Bernard Geoffrion. Claude est fort désappointé. Les Montréalais et tous les amateurs Canadiens français de la province de Québec sont choqués de la tournure des évènements et révoltés de la décision de Campbell. Ils le honnissent.
Le premier match à Montréal, après la décision, a lieu quatre soirs plus tard contre les Red Wings de Détroit. C’est le jour de la St-Patrick et une foule immense est devant le Forum pour manifester sa colère contre le mauvais traitement fait à son héros par Campbell qu’elle perçoit comme une injustice. Claude, curieux comme à l’habitude et aussi pour manifester son mécontentement, est aux premiers rangs de cette foule, juste en avant de la porte principale de l’aréna, sur la rue Ste-Catherine Ouest. Les policiers refoulent les manifestants de l’autre côté de la rue afin de laisser rentrer les détenteurs de billets. Dès que la partie commence, la masse de manifestants se pressent vers l’avant et Claude emporté par la vague humaine se retrouve à peine à dix pieds du bâtiment. Les policiers, qui ont fait venir des renforts, entreprennent de repousser les manifestants de l’autre côté de la rue et Claude, prisonnier de cette foule, ne peut que suivre le mouvement n’ayant pas d’autre place à aller.
À l’intérieur du Forum, pendant ce temps, les spectateurs découvrent que Campbell, nonobstant la fureur des Canadiens français contre lui, a décidé d’assister au match et est à sa place habituelle. Il est assis dans la section rouge en arrière du but du Canadien. La foule le hue, l’insulte, certains amateurs s’approchent de lui. Un le gifle, un autre lui lance des tomates, d’autres des hot-dogs, des cacahuètes. Dès que les policiers réussissent à rétablir le calme, une autre incident éclate et excite encore plus les spectateurs. Les huées recommencent et sont de plus en plus fortes et constantes. Campbell, qui est venu avec trois jeunes femmes, ne bronche pas. La première période est à peine terminée qu’une bombe à gaz lacrymogène est lancée sur la patinoire et gagne l’ensemble de l’enceinte du Forum. Les spectateurs se ruent vers les sorties et les autorités décident d’annuler la partie et de faire évacuer le bâtiment (Campbell annoncera le lendemain que la victoire est accordée par défaut à l’équipe de Détroit).
La foule de spectateurs se précipite vers les sorties et une grande partie sort rapidement sur la rue Ste-Catherine. Elle débouche sur les manifestants qui sont surpris de les voir car ils ne savent pas ce qui s’est passé à l’intérieur. Peu à peu, ils apprennent de la bouche des spectateurs qu’une bombe a été lancée dans le Forum. Soudainement, la foule se soulève spontanément et Claude en est témoin. C’est une émeute. Ce sera «l’émeute Richard». Claude a peur et réalise qu’il n’a aucun contrôle sur la situation et ne peut sortir de ce «guet-apens». Le kiosque de journaux du parc Cabot (devant le Forum et à droite d’où Claude se trouve) est mis à feu et d’impressionnantes flammes très hautes excitent la foule. Celle-ci se divise en deux dont une partie sur la rue Ste-Catherine Ouest et une autre sur la rue parallèle au nord. Tous se dirigent vers l’Est jusqu’à la rue Guy et beaucoup plus loin. Les fenêtres de commerces éclatent, ceux-ci pillés, les autos renversées et mises à feu, les fenêtres des tramways qui attendaient en ligne la sortie des spectateurs sont brisées et plusieurs tramways sont brûlés. Des dégâts sont également faits sur une rue parallèle au nord de la rue Sainte-Catherine jusqu’à la rue Ontario est. La police est impuissante face à cette foule déchaînée qui démolit tout ce qu’elle trouve sur son passage. Malgré tout, seulement soixante manifestants sont arrêtés. Face à cette situation incontrôlable, le maire Drapeau demande à Richard de faire une déclaration publique à la radio pour calmer les esprits et éviter une répétition le lendemain de ces démonstrations. Le Rocket accepte et demande à ses admirateurs et à la population de cesser ces actes et de rester chez eux. Il est écouté.
Claude a eu peur d’être brûlé par le feu du kiosque, car il était, à un moment donné, très proche du brasier. Il se dégage peu à peu de l’étau de la foule. Il la suit sur la rue Ste-Catherine et ne peut croire ce qu’il voit. Il lui semble que les gens sont devenus fous, qu’ils se foutent de tout, surtout de la police et se lancent dans une destruction totale et inexplicable de tout ce qui leur tombe sous la main. Il n’a jamais vu un tel comportement, ne peut l’expliquer et durant les semaines qui suivront, lira tout ce qui sera écrit sur «l’émeute Richard» pour mieux comprendre. Il hésitera longuement avant de participer à une autre manifestation publique dans sa vie.
Claude lit les déclarations des nationalistes canadiens français qui affirment que la suspension décrétée par Campbell est un exemple typique des sentiments des Canadiens anglais envers les Canadiens français. Même si Claude sait que de tels sentiments existent puisqu’il les ressent régulièrement à Verdun, il ne croit pas que ce soit le cas pour la décision de Campbell car, à son avis, il ne pouvait tolérer qu’un joueur de la ligue, même si c’est le meilleur, s’en prenne physiquement aux arbitres. Même s’il n’aime pas Campbell, il défend sa décision dans le cas de Richard devant ses confrères de Poly et ses amis de Verdun. Il a beaucoup de difficulté à convaincre qui que ce soit. Il réalise que le sentiment nationaliste est répandu et profond et qu’il peut rendre aveugle et irraisonnable.
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